Fyctia
track 01 - Genie in a Bottle
J’ébauche un sourire que ma sœur me renvoie, puis elle s’évapore dans l’espace façon Thomas Pesquet. Maman a encore appuyé sur un truc. Elle s’énerve. Et les faux fonds défilent. Elle s’arrête sur une grande bibliothèque, ça lui donne l’impression d’être lettrée. Ou riche. Elle n’est ni l’un ni l’autre. Elle vit chichement dans un appartement quelconque d’un arrondissement quelconque. Celui où je suis née et où j’ai grandi. Maman rêve d’ailleurs depuis toujours. Sur son frigo, entre deux magnets Findus de cette carte de France à laquelle il manque toujours six régions, des photos de cette Espagne rêvée où elle s’installera un jour. Quand elle aura gagné au Loto ou épousé un vieux riche. Mais puisqu’elle ne rajeunit pas, je pense qu’elle ne mise plus que sur la première option.
— M’man, si t’avais rien d’autre à me dire… je tente d’écourter.
Ses lèvres carmin se pincent. Merde, je reconnais ce tic, elle avait quelque chose à me dire. Elle hésite, je le vois à sa crinière faussement brune qu’elle étire en arrière de ses mains parfaitement manucurées. Et mon palpitant s’accélère.
— J’ai mis l’appartement en vente, lâche-t-elle dans un seul souffle.
Mon cœur s’immobilise et tombe tout au fond de mes entrailles. Il fait plouf dans le café tapissant mon estomac. Quoi ? L’interrogation ne franchit la barrière de ma bouche, mais mon cerveau process à toute allure. L’Espagne ? Non, j’suis pas prête, c’est trop tôt ! Mon seuil est encore l’obstacle, comment pourrais-je envisager de franchir une frontière ? Et pourtant, je sais qu’elle m’attends, je sais qu’elle voulait quitter la France dès la fin du deuxième confinement, mais qu’elle ne cesse de repousser à cause de sa fille handicapée : moi. Je freeze, et maman pense que c’est l’écran. Elle appelle ma sœur à l’aide, mais Alba n’y peut pas grand-chose.
— Rita ? s’inquiète maman.
Je ne suis pas en état de la rassurer quand tout en moi bouillonne. Mes organes s’ébouillantent sur thermostat Panique. Mon cœur fait un dos crawlé caféiné, et mes poumons sont bloqués sur le mode apnée. Je tente un sourire qui doit ressembler à un AVC, et je souffle un “d’accord” qui sonne bien faux. Je ne peux guère lui offrir plus. Je suis à mon max.
Deux heures plus tard, la panique surnage encore, mais elle est d’une autre nature. Après ma session Zoom avec Mika, nous avons décidé que cette annonce était le coup de pied au cul qui me faisait défaut. Aujourd’hui, mon objectif est le seuil. Demain, ce sera le couloir. Et petit à petit j’irai jusqu’en Espagne s’il le faut. Un pas après l’autre.
Un écouteur vissé dans chaque oreille, Strauss balance son Ainsi parlait Zarathoustra à un volume sonore relativement mortel pour mes tympans. Mika n’est pas d’accord, elle me répète que je dois le faire sans aucune distraction, surtout pas de la musique, mais… J’en ai besoin. Ma porte en ligne de mire, je respire par à-coups. Je peux le faire. Je dois le faire. Un petit pas pour l’Homme, un grand pas pour l’humanité qui est mienne.
— Vas-y, Rita, tu peux le faire, je m’encourage en marmonnant.
Ou peut-être que je gueule ? Je ne sais pas, je n’entends que le tambourinement de mon palpitant sur fond de Strauss. Il me suffit d’ouvrir la porte et de passer un pied de l’autre côté. Juste ça, et ce sera déjà la preuve que je peux sortir, que je ne suis prisonnière que de ma tête et non de ces murs. J’inspire. J’expire. Ma paume est si moite contre la poignée. J’ai l’impression de crever. Pourquoi c’est si dur, bon sang ? Une goutte de sueur dégringole mon dos. Je sais que Mika m’observe depuis mon écran d’ordinateur. J’peux pas la décevoir. Au moins, si je fais un malaise, elle pourra appeler les secours.
Je presse la poignée. Je sens sans l’entendre, le déclic de l’ouverture. Ce n'est pas le plus dur. Ouvrir le battant non plus, je l’ai déjà fait mille fois pour récupérer mes livraisons. C’est l’anticipation du pas suivant qui me tétanise. Allez ! J’inspire en même temps que j’ouvre en grand, et…
L’expiration suivante est un hurlement de terreur. Une tête me fait face. Une tête qui hurle à son tour. Sans le son. Elle est proche, trop proche. Qu’est-ce qu’elle fout derrière ma porte ? C’est la seule interrogation que formule mon cerveau avant que le coup de parte par réflexe.
Ce fut ma première rencontre avec Idris. Celle de mon poing et de son nez.
33 commentaires
Louisa Manel
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M.B.Auzil
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Anna C
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M.G. Margerie
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Gottesmann Pascal
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Ophélie Jaëger
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Marion_B
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Marion_B
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