Fyctia

— Voilà, on est quittes. Maintenant, toi aussi tu connais un de mes secrets, ajoute-t-il enfin, interrompant ma contemplation.

C'est donc ça la raison. J'étais sûr qu'il n'avait pas oublié ce qu'il m'avait dit ce fameux soir, à l'Omega Club. Je suis rassuré, je sais à présent qu’il n’en parlera pas et que c’est sa manière à lui de me le dire, de me faire comprendre que je peux lui faire confiance. Je laisse échapper un sourire.

— D'ailleurs à ce propos, commencé-je hésitant, comment tu as su ? Pour mon secret, je veux dire…

Il reste muet un instant.

— Une intuition.

— Une intuition ? C'est-à-dire ?

— Déjà, ton comportement avec Jinnie…

— Comment ça, mon comportement avec Jinnie ? Tu insinues que toutes les personnes capables de lui résister sont gays ? je réponds, un peu offensé.

Il rit.

— C’est pas ce que je voulais dire ! Je sais que Jinnie est charmante et qu’elle plaît aux hommes, mais c'est surtout que j'ai tout de suite remarqué que tu ne laissais pas de place à l'ambiguïté avec elle…

— Mouais…

— Et puis... il y a aussi eu cette blague de Jinhyuk.

— La blague de Jinhyuk ? Quand ça ?

— L'autre jour, dans le hall.

Je me souviens alors de la plaisanterie un peu lourde qu'il m'avait faite lorsqu'il y avait les journalistes, au sujet d'avoir des secrets... Cette réflexion m'avait mis mal à l’aise.

— Attends, mais comment tu as pu remarquer ça ?

Il sourit mais ne répond pas. Pour le coup, j'espère vraiment qu'il est le seul à avoir décelé mon malaise à ce moment-là…

— Et aussi... Toutes tes minauderies avec Min, reprend-il avec un air plus sérieux cette fois. Il te plaît, pas vrai ?

Mes yeux s'arrondissent de surprise. Je ne vois pas comment il a pu en arriver à une telle conclusion !

— N’importe quoi ! Je ne minaude pas et puis Min ne m'intéresse pas du tout ! On peut être gay et avoir des amis mecs tu sais, rétorqué-je.

Il hausse les épaules, j'imagine qu'il ne me croit pas. En attendant, je suis sans voix. Je réalise que Jaekyung se souvient avec précision chacun de mes faits et gestes. Je pensais que lorsqu'il ne s’en prenait pas à moi, il se contentait de m'ignorer mais en fait, il passe son temps à m'observer ! Pourquoi est-ce qu’il se donne autant de mal à jouer les indifférents avec moi dans ce cas ? Tout ça ne fait que renforcer mes doutes sur la façon dont il me voit…

— Eh bien, bravo, tu ferais un super détective ! Tu m’as bien percé à jour, raillé-je.

Il affiche un léger rictus. Je fixe alors mes pieds et le bout de mes chaussures qui s'enfoncent peu à peu dans le sable humide.

— Et ça ne te dérange pas ? demandé-je, nerveux.

— De quoi ?

— Que j’aime les hommes.

Merde, pourquoi je lui demande ça ! Il risque de penser des choses bizarres…

Mon pouls s’affole. J’appréhende sa réponse, mais ce n’est pas la même appréhension que toutes les fois où j’ai eu à avouer mon homosexualité. Non, cette appréhension-là est bien plus intense, elle fait naître en moi un espoir qui exacerbe ma crainte du rejet et de la déception. De la peur mêlée à de l’excitation. Il porte à nouveau son verre à sa bouche puis son regard se perd dans la nuit. Je lève à mon tour les yeux. Le ciel est dégagé et on peut apercevoir quelques étoiles, fait suffisamment rare dans les grandes métropoles pour être souligné.

— Ça t’arrive de penser à notre place dans l’univers ? demande-t-il alors.

Je me tourne vers lui, perplexe. Je ne comprends pas le lien avec ma question.

— Pas vraiment.

En réalité, si. Je me demande très souvent quel rôle nous avons à jouer dans cette vie et si chacune de nos actions n'est pas prédestinée… Mais j’essaie de ne pas me laisser dépasser par ces pensées car elles m’angoissent.

— Quand on pense aux millions d’étoiles qui composent la galaxie, poursuit-il, nous ne sommes rien face à cette immensité, aussi petits et ridicules que ces grains de sable sur lesquels nous sommes assis. Notre existence est si insignifiante que je n’ai jamais compris pourquoi la plupart des gens perdent leur temps à se soucier des autres, de leurs préférences, de leurs statuts, de ce qu’ils ont en plus ou en moins… C’est pathétique.

Je l’observe avec attention, surpris par son éloquence soudaine. Ce n’est pas la réponse que j’attendais, mais je comprends son message. Peu à peu, petit à petit, je commence à cerner sa personnalité complexe et sa façon bien à lui d’exprimer ce qu’il ressent. Il est froid, cynique et arrogant, parfois méprisant, autant de défauts qui le rendent détestable… Et pourtant, plus je passe du temps avec lui et plus je me rends compte qu’il ne s’agit en fait que d’une carapace qu’il s’est forgée pour se protéger de tout, mais surtout des autres.

Et tandis que je repense à tous ces mots échangés, ces regards, ces sous-entendus, je sens comme une petite décharge électrique parcourir tout mon corps, mon rythme cardiaque s’accélère et une onde de chaleur se propage doucement dans ma poitrine. Cette sensation n’est pas déplaisante et je ne peux m'empêcher d'esquisser un sourire. Lui aussi me regarde. Les rayons de lune se reflètent dans ses iris sombres qui me détaillent avec intensité. Je sens mes joues s’échauffer et je ne peux désormais plus détourner mes yeux de lui... Nous restons ainsi pendant de longues secondes, silencieux.

— Bon, rentrons ! Je pense que j’ai assez bu comme ça, je commence à dire n’importe quoi, déclare-t-il subitement en se levant.

Je me lève à mon tour, chancelant, et frotte mon jogging de mes mains pour en retirer le sable. Entre temps, Jaekyung est déjà loin. Je le vois se diriger vers l'hôtel d’un pas pressé. Je n’ose pas le rejoindre, mais je finis par le rattraper devant l’ascenseur. Nous montons. Les étages défilent jusqu’au cinquième, pas un mot de plus n’est échangé.

— Bonne nuit Kangjoon, à demain, se contente-t-il de dire avant de regagner sa chambre.

Je reste planté là, plus confus que jamais. Mon cœur tambourinant toujours contre ma poitrine. Pourquoi fallait-il que je le croise cette nuit ? Je ne peux désormais plus penser à autre chose qu'à cette discussion sur la plage et à son regard au clair de lune, ce qui, bien sûr, ne m’aide pas plus à trouver le sommeil ! Je sais déjà que le réveil à sept heures demain matin ne sera pas moins difficile…

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