Fyctia

Son compliment me prend de cours. Il me fait très plaisir bien sûr, mais je sais aussi que ce morceau n’aurait jamais existé sans la participation de Jaekyung… Et malgré l’animosité que je lui porte, il est hors de question pour moi de me récupérer tous les lauriers.

— Merci beaucoup, je suis ravi que ça vous plaise car j’aime énormément ce morceau aussi, mais pour être tout à fait honnête, je ne suis pas le seul à avoir travailler dessus, je l’ai composé avec Jaekyung…

Il sourcille puis son visage se fend à nouveau en un large sourire.

— Eh bien, c'est génial ! Je vois que cette petite expérience collaborative a fonctionné finalement, vous avez réussi à faire du bon travail ensemble. Bon allez, on reparle de Busan plus tard !

Il sort en claquant la porte.

Je suis en pleine tempête. M. Nam est un véritable ouragan et je ne parle pas seulement de sa carrure imposante et de sa personnalité exubérante ! Il vient de mettre la pagaille dans mon esprit déjà bien assez troublé. C’est un excellent directeur, conciliant, magnanime et juste avec ses subordonnés, à condition d'être investi et assidu dans son travail ! J’ai l’impression d’être en bonne voie pour gagner son estime mais il faut vraiment que je poursuive mes efforts… Le stress me gagne. Je comprends que si je n'y arrive pas cette fois, je peux dire adieu à mon renouvellement de contrat et puis vu les circonstances, je ne suis pas vraiment en position de m’opposer à ce séjour à Busan. Mais comment vais-je bien pouvoir faire pour rester concentré dans ces circonstances ?

J’ai donc traîné au studio jusqu’à tard dans la soirée, comme si mes problèmes allaient se résoudre tout seuls en restant enfermé entre ces quatre murs !

Avant de partir, je comptais passer voir Jaekyung, mais vu l’heure, j’espère en mon for intérieur qu’il ne sera déjà plus là, histoire de retarder l’échéance. J’ai des palpitations à l'idée de me retrouver de nouveau seul avec lui mais autant retirer le pansement d’un coup. Je me rends donc au studio de danse où les Gen-Z ont l'habitude de s’entraîner.

Arrivé au studio, je ne trouve que Min, qui s’apprête à partir. Je n’ai aucune envie qu'il me voie et me demande les raisons de ma présence ici, je rebrousse donc chemin. En reculant dans le couloir sombre, mon dos se heurte à une masse de muscles fermes, je manque de tomber mais une main me rattrape de justesse.

Pitié, faites que ce ne soit pas Jaekyung !

Pas de bol, c'est bien lui. Je me redresse aussitôt, il me toise du regard.

— Tong-Joon ? Qu'est-ce que tu fous là à cette heure-ci ? T’es venu voir Min ? me demande-t-il sèchement.

Il m'aiguise les nerfs et je regrette déjà d’être venu. C’est tout ce qu'il trouve à me dire après son comportement d'hier ? Je lui plaque ma main sur la bouche pour le faire taire, je n'ai aucune envie que Min nous surprenne ensemble...

J'entends alors la porte de la salle de danse se fermer et des bruits de pas se diriger dans le sens opposé au nôtre. Ouf ! Min est parti.

— Non, c'est toi que je suis venu voir ! chuchoté-je.

— Moi ? s’étonne-t-il à l’instant où ma main libère sa bouche. Je pensais qu'après ce qu'il s'est passé hier, tu ne voudrais plus me voir…

Son ton s’est adouci.

— Effectivement ! bougonné-je, et ne crois pas que je suis là parce que ça me fait plaisir ! Je rends uniquement service à Jinnie.

— Jinnie ? Comment ça ?

— Elle s'inquiète pour toi, figure-toi ! Mais tu es apparemment trop égoïste pour t’en rendre compte.

— Je sais…

Il prend un air si désolé que je ne sais pas quoi ajouter de plus. Cette situation me met mal à l’aise, surtout après mes conclusions de la nuit dernière. J’aimerais l'interroger plus en détail sur sa relation avec Jinnie, comprendre si ça a un lien avec son état mais je n'ose pas. Je me contente juste de fixer mes pieds, sans rien dire.

— Et donc toi Tong-Joon, tu viens me voir juste parce qu'on te le demande, comme un idiot ? Je savais déjà que tu étais trop gentil mais là on atteint des sommets, raille-t-il.

Je me vexe.

— Ris autant que tu veux ! Mais j'ai fait une promesse à Jinnie et moi je tiens toujours mes promesses ! déclaré-je avec assurance.

Malgré l'obscurité de ce couloir exigu dans lequel nous nous trouvons, je peux voir ses pupilles brillantes me détailler.

— Au sujet d'hier soir, commence-t-il avec un air grave, je tenais à m'excuser, sincèrement… J’ai vraiment trop bu, et je… Je ne sais pas ce qu’il m’a pris. Je me suis vraiment comporté comme un connard, je te demande pardon.

Je garde le silence. Repenser à la scène d'hier me donne des sueurs froides. Je lui en veux terriblement pour les mots qu’il m’a jeté au visage et l’alcool n’excuse pas tout.

— Ça tu peux le dire, tu t’es comporté comme une merde, l’enfoncé-je.

— Je sais, répond-il avec regret.

Il n’ajoute rien, il ne tente même pas de se justifier.

— Je suis vraiment désolé, se contente-t-il de répéter.

Je suis presque soulagé de voir qu'il est capable d'être sincère parfois.

Non Kangjoon, ne te laisse pas encore attendrir ! Il ne mérite pas ta compassion !

Mais pour le moment, une toute autre chose me préoccupe.

— En parlant d'hier soir... dis-je hésitant, est-ce que tu pourrais, s'il te plaît, ne pas ébruiter, tu sais... Ce que tu as découvert à mon sujet.

Il évite mon regard.

— Hum… Je ne sais pas de quoi tu parles, je ne me souviens pas de tout.

Il prétexte un trou noir mais ne manque pas de faire un pas en arrière, comme pour marquer une certaine distance entre nous. Je doute qu’il ait vraiment oublié ce qu’il m’a balancé mais puisqu’il nie, je ne peux pas lui faire promettre de se taire…

— Les gens avec qui tu étais, c'était qui ? demande-t-il finalement, comme pour noyer le poisson.

— Des amis.

— Je vois... Je regrette d'avoir gâché ta soirée.

— Bon, arrêtons de parler de ça, tu veux ? conclus-je, agacé.

Il soupire et hoche la tête en guise de réponse, il semble vraiment s'en vouloir. Il me regarde avec profondeur et j'y décèle cette fragilité dont m'a parlé Jinnie.

Après plusieurs minutes d’un silence pesant, nous nous décidons à nous diriger vers la sortie.

— Bon, j’y vais. Bonne soirée, lui lancé-je avec détachement.

— Kangjoon… m’interpelle-t-il lorsque je commence à m’éloigner.

Tiens, il ne m’a pas appelé Tong-Joon…

— Je voudrais que tu saches… Je ne t'ai jamais voulu de mal, marmonne-t-il entre ses dents.

Il tourne les talons aussi vite et part dans le sens opposé au mien. Je reste muet, ne sachant que faire de cette honnêteté soudaine. Je le regarde disparaître dans la brume de cette nuit d’automne. La capuche de son hoodie noir rabattue sur la tête, les mains dans les poches, une démarche assurée mais morne. Je réalise alors que Jaekyung porte un masque en permanence, une épaisse couche de peinture et d'artifices qui lui servent à camoufler ses faiblesses. Mais à présent, je peux voir le vernis se craqueler juste sous mes doigts…