Fyctia

J'ai volontairement omis de parler de Jaekyung à mes amis. Disons que je n'ai aucune envie qu'ils apprennent que j'étais un souffre-douleur au lycée... Je détourne le regard en vitesse pour ne pas me faire remarquer. Mais c’est sans compter sur Wonbin qui, déjà bien alcoolisé, se décide à aller lui taper la causette ! J'essaie de l'en dissuader discrètement mais c’est trop tard. Il l'interpelle en hurlant, avec de grands gestes de la main.

— Hé, monsieur la star ! s’égosille-t-il.

J’aimerais disparaître dans un trou de souris… J’avais oublié à quel point Wonbin peut devenir gênant lorsqu’il a bu ! Je n'ose même plus regarder vers eux et je prie pour qu’ils ne m’aient pas repéré. Je décide alors de m'éclipser aux toilettes en attendant que Wonbin se calme.

J’ai à peine le temps de franchir la porte que quelqu'un retient avec son pied.

C’est lui.

— Oh ! Mais ce serait pas mon pote Tong-Joon que voilà ?

Il est ivre. Une bouffée d’angoisse se propage dans ma poitrine, une impression de déjà-vu. Cette scène me rappelle douloureusement mes années lycée.

— Jaekyung, t’es bourré ! S’il te plaît, ne fais rien de stupide… le supplié-je presque d'une voix tremblante.

J’essaye de garder la face mais je n'en mène pas large en réalité.

— Bah alors, pourquoi tu pleurniches Tong-Joon ? Tu crois quand même pas que je vais t'enfoncer la tête dans les chiottes ? On est plus au lycée !

Il s'avance vers moi en titubant, je recule mais me retrouve rapidement piégé entre le mur et lui. Il s’approche encore jusqu’à coller son buste contre moi.

— Jaekyung, laisse-moi partir, tu m'écrases !

Je me débats mais il s’appuie de plus en plus sur moi. Son visage n’est à présent plus qu’à un cheveux du mien. L’expression de son visage est différente, sombre mais pas comme d’habitude. Ses yeux brillent, ils ont l'air humides, comme s’il venait de pleurer, ça le rend tout à coup plus humain et je me surprends même à être attendri par cette vision.

Bordel ! Il est encore plus canon comme ça…

Mon pouls s’accélère à mesure qu’il approche son visage du mien. Ses lèvres, son souffle chaud… Je perds pied un instant.

Mais qu’est-ce que je suis en train de faire !

— Jaekyung ! Arrête ! hurlé-je en le repoussant violemment.

Il recule et manque de tomber, il se retient au mur derrière moi et se met à rire, un rire nerveux qui me donne presque la chair de poule.

— Quoi ? T’as plus envie finalement ? Pourtant, j'ai cru comprendre que t’aimais ça, embrasser des mecs ! crache-t-il.

La brutalité de ses mots me heurte de plein fouet et me coupe presque le souffle… Le sang me monte aux joues. De la honte mêlée de peur et de colère s’empare de moi. L’effroyable sensation d’être percé à jour, d’être à nu aux yeux de tous.

Comment il a su ?!

Je le pousse à nouveau, avec plus de violence cette fois. Il s’étale sur le carrelage. Je regrette tout de suite mon geste, je ne pensais pas qu’il tomberait si facilement... Je me penche alors sur lui pour m'assurer qu'il va bien mais il m'attrape par le col de ma chemise et m'attire vers lui. J’essaie d’échapper à sa prise mais il rapproche davantage mon visage de lui. Il me fixe avec profondeur, avec ces mêmes yeux brillants. Jinnie débarque alors dans les toilettes et se précipite vers lui pour l'arrêter.

— Jaekyung ! crie-t-elle. Mais qu'est-ce qui te prend ? T’es fou ou quoi ?

Elle est obligée de le gifler pour qu'il revienne à la raison et me lâche enfin. Il est bien trop saoul, il tient à peine debout. J'aide Jinnie à le relever et à l’accompagner jusqu'à la sortie, il marmonne désormais des choses incompréhensibles. Nous le déposons directement dans un taxi.

— J-je suis désolée Kangjoon, vraiment... Je sais pas ce qui lui a pris… J’ai super honte ! s’excuse-t-elle avant de monter aux côtés de Jaekyung.

Je la rassure d’un mouvement de tête.

— Ce n’est pas à toi de t’excuser Jinnie, tu n’as rien fait de mal.

— Et merci aussi de m'avoir aidé à le porter…

— Y’a pas de quoi… Fais attention en le raccompagnant, rentre bien.

Elle me remercie d’un sourire gêné avant de se confondre à nouveau en excuses à base de courbettes et de moues chagrinées. Elle finit par me saluer puis monte dans le taxi. Je regarde le véhicule s'éloigner dans la pénombre. J’ai encore du mal à réaliser ce qu’il vient de se passer... Tout s’est passé si vite. Je prends quelques instants pour reprendre mes esprits. J’ai bien failli faire une connerie ! Le comportement de Jaekyung me trouble de plus en plus. Son impulsivité me déconcerte autant qu’elle m’effraie et pourtant quelque chose en lui m’obsède. J’ai besoin de comprendre ses agissements.

Est-ce que c’est un genre d’addiction au danger ?

Et puis, en repensant à ce qu’il sait à présent sur moi, un frisson me parcoure l’échine.

Après m'être quelque peu remis, je retrouve mes amis à l'intérieur.

— Qu’est-ce qu’il se passe Kangjoon ? Tout va bien ? s'inquiètent-ils devant ma mine déconfite.

— Oui ça va, répondis-je.

Ils ne cherchent pas à en savoir plus et la soirée reprend son cours, comme si de rien n'était. Mais je ne parviens pas à passer à autre chose, je me sens sali et surtout tellement bête de m’être laissé attendrir par lui…

Cette soirée s’est avérée être plus éprouvante que je l’aurais imaginé. J’en ressens le contrecoup une fois rentré, dans mon lit. Mes muscles sont encore tendus. L'image de cette scène dans les toilettes ne me quitte plus et je me répète sans cesse ce que j'aurais dû faire et dire pour lui tenir tête.

Je repense alors à toutes ces fois où il s’est montré odieux envers moi. Au début, je croyais qu'il cherchait seulement à m’intimider, comme lorsque nous étions lycéens, mais en y réfléchissant bien, c’est différent... C’est plutôt comme s'il n'est pas capable de se maîtriser en ma présence et que, malgré tous ses efforts pour entretenir des rapports cordiaux avec moi, l'idée que je sois proche de lui, lui est insupportable. Un éclair de lucidité me secoue alors. Et s'il éprouvait en fait de l'attirance pour moi ? C'est vrai après tout, qui essaierait d'embrasser la personne qu’il déteste ? Même pour persécuter son pire ennemi, c'est plutôt la dernière chose que l'on aurait envie de faire... Okay, il était saoul, mais l'alcool n'est-il pas un désinhibiteur de nos désirs enfouis ? Comme toutes ces personnes ivres qui rappellent leurs ex pour leur avouer qu'elles les aiment encore...

Cette hypothèse est à la fois folle et effroyablement crédible. Mais je n’ai aucune envie d'aller vérifier mes suppositions ! S'il est en proie à un dilemme avec lui-même qui ébranle toutes ses convictions, ce n'est pas mon problème. Je ne suis pas sa chose et surtout, je suis déterminé à ne plus me faire avoir. Je ne suis plus le Kangjoon naïf de mes quinze ans.