Fyctia

— Bon, je recommence mais écoute bien cette fois !

Je l’écoute, toujours aussi captivé par son aisance. C’est que je ne m’y attendais vraiment pas ! J’ignorais qu’il aimait tant la musique. Au lycée, il ne faisait partie d’aucun club, je ne l’avais même jamais croisé en salle de musique ni vu à aucun des petits concerts que nous donnions parfois devant les autres élèves.

Il continue de jouer et cette fois, il ajoute quelques paroles. Ce ne sont que quelques mots jetés sur la mélodie, sans réel sens mais c’est la première fois que je l’entends chanter et je suis surpris par le timbre de sa voix. Il est limpide et chaleureux, lui qui a pourtant une voix plutôt grave et basse lorsqu'il parle. Il chante vraiment bien et je comprend à présent mieux pourquoi il a été choisi comme chanteur principal. Je dois bien le reconnaître, je suis impressionné, il a bien plus de talents que je ne l'aurai imaginé ! J'ai beau être un excellent mélomane, le chant n’a cependant jamais été mon fort, je suis donc toujours épaté par les personnes qui savent chanter...

— Alors ?

— C-c’est bien - je me racle la gorge - un très bon début, j’aime beaucoup…

Il me gratifie d’un sourire satisfait.

— Ok, alors vient je te montre ce que j’ai fait.

Je m’installe à côté de lui.

Finalement, nous passons l’après-midi à composer ensemble, à améliorer ce morceau, en créer d’autres, faire des tests… On bouillonne d’idées, on est en parfaite harmonie sur nos choix musicaux et notre vision artistique de l’album. Jamais je n'aurai cru que nous pouvions nous entendre à ce point ! Si bien que le temps passe à une vitesse folle.

Au bout de plusieurs heures, on tient enfin quelque chose ! Réunir nos compétences nous a vraiment permis d'enrichir la composition de base et le rendu obtenu est très plaisant et singulier. Je suis certain que ça plaira à l'équipe ! Je souris avec satisfaction en pensant à leur réaction.

— Et si on lui donnait un nom ? proposé-je. Hum, réfléchissons...

— Moonlight.

Il n'a pas eu à réfléchir très longtemps. Il a sorti ce nom sans la moindre d’hésitation, comme s’il l’avait toujours su. Il me fixe avec intensité et mon cœur s’emballe un bref instant.

— En référence au clair de lune… souligne-t-il devant mon silence. Tu n’aimes pas ?

Je m’éclaircis la gorge.

— Euh si si, c’est… Ça me va.

Il esquisse un sourire et mon cœur manque de nouveau un battement.

— Bon, je pense qu’on peut en rester là ! On a bien bossé, dit-il en s’étirant.

J’acquiesce d’un signe de tête. Je regarde alors l'heure sur mon téléphone : vingt-trois heures passées ! Ça fait plus de sept heures qu’on est là ? Pas possible… Je ne les ai même pas vu passer.

— Ouhla mais il est déjà si tard ! m’écrié-je. Tu devrais vite rentrer dormir, déjà que tu n'as pas dormi la nuit dernière...

Sans même me laisser finir, il vient poser sa tête sur mon épaule. Je me fige.

Qu’est-ce qu’il fout ?

— Juste cinq minutes, murmure-t-il.

Il ferme les yeux et je sens sa respiration se faire plus profonde. Il avait l’air si fatigué que je n’ose même plus bouger pour ne pas le réveiller. Je le regarde juste du coin de l’œil, sans même bouger la tête, mais je ne peux voir que ses cheveux d’un brun sombre qui luisent sous les néons jaunâtres éclairant la pièce. Ils ont l’air doux et soyeux, ils sentent bons aussi, une odeur fraîche et boisée, un peu citronnée, qui me chatouille les narines. Ce n’est pas désagréable.

Est-ce son shampooing ou son parfum qui sent comme ça ?

Nous restons ainsi de longues minutes durant lesquelles je me tiens toujours aussi immobile. Je me suis presque habitué au contact tiède de son crâne contre mon épaule et je commence moi aussi à m’assoupir. Au bout d’un moment, il se réveille enfin - ce qui me vaut un léger sursaut - et se redresse doucement en baillant.

— Oh wha, désolé ! Je me suis vraiment endormi… T’aurais dû me réveiller !

— T’inquiète, tu avais l'air épuisé, je n'ai pas voulu te déranger… dis-je en me frottant les yeux.

Il rit.

— T’es vraiment trop gentil toi, tu le sais ?

Je ne réponds pas, bien trop obnubilé par la maigre distance qui sépare nos deux visages, je pouvais distinguer aisément chaque plissure de ses lèvres. Je me lève d'un coup, paniqué.

— Bon ! Maintenant que t’es réveillé, je vais y aller, moi aussi j’suis super crevé. Salut !

Je saisis à la hâte mon sac à dos et quitte la pièce d’un pas pressé, laissant Jaekyung seul, me regarder partir avec des yeux ronds.

Pourquoi est-ce que je me suis enfuis comme ça ? Pff, ridicule !

Arrivé à l’ascenseur, je me rends compte qu'il me manque quelque chose : mon téléphone. Purée ! J’ai dû le laisser au studio, je fais demi-tour. Arrivé devant la porte, j'entends une voix féminine à l’intérieur, c’est sans aucun doute Jinnie. Il est presque minuit, elle l’a attendu jusqu’à maintenant ? La conversation semble tendue.

— Pourquoi tu étais avec lui ? lui demande-t-elle.

— On bossait. Jo m'a obligé à l'aider.

— Et tu étais aussi obligé de l'aider jusqu'à si tard ?

— Mais tu me fais quoi là ? Une scène de jalousie ? Nous ne sommes plus ensemble au cas où tu aurais oublié !

— En attendant, tu sais où me trouvais pour me confier tes états d'âme hein, mais quand il s'agit de moi, tu n'es jamais disponible !

Cette discussion ressemble plus à une dispute de couple qu'à une conversation entre collègues. Tout laisse supposer que Jinnie est toujours amoureuse de lui... Mais il est si froid avec elle, ça me fait presque de la peine. Je n'ose pas les interrompre mais en même temps, j’ai vraiment besoin de mon portable !

Je frappe donc faiblement. Ils se taisent et j’entrouvre la porte timidement.

— Te revoilà ? s’étonne Jaekyung.

— J-je suis désolé de vous déranger mais j'ai oublié mon téléphone...

Je m'avance dans la pièce pour le récupérer quand Jinnie m’intercepte en posant doucereusement sa main sur mon bras.

— Tu es le nouveau compositeur c'est ça ? Enchantée, je suis Jinnie ! Je crois que nous n'avons pas encore eu l'occasion de nous présenter en bonne et due forme.

Son ton est mielleux, j’en ai presque un frisson de gêne.

— Oh, enchanté, répondis-je embarrassé.

Elle me sourit. Un sourire doux et lumineux qui ne la rend que plus ravissante.

— En tout cas, on ne m'avait pas dit que le p’tit nouveau était si mignon !

Je reste coi. Une pointe de malice se devine dans son sourire. Elle cherche à rendre jaloux Jaekyung, c'est évident...

Il pouffe. Je ne sais pas si c’est du petit numéro que lui joue Jinnie ou de sa remarque à laquelle il n’adhère pas mais je me sens quand même un peu vexé.

Je lève les yeux au ciel avant de m’incliner légèrement pour remercier Jinnie et m’échappe aussitôt de la pièce. Je n’ai aucune envie de prendre part à leur petit jeu !

— À demain, Tong-Joon ! me crie de loin Jaekyung.

Une fois dans le couloir, j'entends toujours des éclats de voix provenir du studio mais je ne peux désormais plus discerner avec exactitude ce qu'ils se disent.