Fyctia
PROLOGUE
Assis sur le lit de mon minuscule studio, je relis pour la quatrième fois le mail qui s’affiche sur mon écran d’ordinateur.
« Nous avons le plaisir de vous annoncer que votre candidature au poste de compositeur chez Great Hit Entertainment a été retenue. »
Je n’en crois toujours pas mes yeux. Je me pince la joue. Moi, un petit musicien de province, issu d’un milieu modeste, j’avais réussi à passer avec brio l’entretien d’embauche pour l’une des plus grosses agences d’entertainment* du pays ? Sans blague ? J’ai le cœur qui bat à mille à l’heure et je ne peux pas m’empêcher de sourire béatement.
Soudain, le doute s’empare de moi.
Et si je n’étais pas à la hauteur pour ce poste ?
J’essaie de chasser cette pensée de mon esprit d’un hochement de tête. Mais elle est toujours là. Cette petite voix. Celle qui te fait perdre confiance en toi et qui te fait te sentir minable. Celle qui te chuchote à l’oreille : attardé, tapette, sale merde, tu ne mérites pas de vivre, crève !
Tous ces mots-là, je les ai entendus de la bouche même de mes semblables alors que je n’avais que quinze ans. Je venais de découvrir pour la première fois à quel point le harcèlement scolaire pouvait être d’une violence inouïe. Comment avoir confiance en soi après ça ? Alors que l’on sort tout juste de l’enfance et qu’on tente de se construire une identité…
En effet, ces dernières années m’ont appris une chose importante : on ne guérit jamais vraiment de ses blessures passées, on apprend seulement à les surmonter. Et parfois, on en fait une force.
C’est ma volonté, en faire une force.
Dans la société coréenne, il n’y a pas de place à l’individualisme, on doit rentrer dans un moule parfait, propre et sans brèche, se fondre dans la masse, ne pas faire de vague tout en faisant honneur à nos ancêtres, nos parents, notre patrie. Dès notre plus jeune âge, on fait peser sur chacun de nous une pression énorme qui nous écrase peu à peu.
Mais moi, je ne suis jamais rentré dans ce moule. Déjà petit, alors que tous mes amis voulaient être avocat, médecin ou encore chef d’entreprise, j’avais toujours voulu être musicien, mais très vite mon père s’était opposé à cette idée. Lui qui rêvait d’un fils fort, qu’il emmènerait jouer au baseball le dimanche au parc, tous ses espoirs s’étaient évaporés lorsqu’il avait compris que sa progéniture n’était qu’un faiblard, une mauviette de premier ordre qui avait mis plus de temps à marcher et à apprendre l’arithmétique qu’à jouer du piano. Le pompon avait d’ailleurs été d’apprendre mon homosexualité. Après ça, il a décidé de définitivement couper les ponts avec moi.
Ma mère, au contraire, m’avait toujours soutenu. C’est d’ailleurs elle qui m’avait inscrit à mes premiers cours de piano dès l'âge de quatre ans. Et puis, lorsque j’avais composé mes premières mélodies à tout juste neuf ans, elle avait été convaincue que son fils était un petit prodige à la carrière toute tracée ! Je me souviens d’ailleurs que mon père lui reprochait souvent d’être trop gentille avec moi et que c’était sa faute si j’étais aussi fragile et, bien sûr, si j’étais devenu gay… C’est probablement une des raisons pour lesquelles ils ont mis fin à leur mariage. Mais ma mère est une femme forte. Malgré l’étiquette de femme divorcée et de mère célibataire que la société lui a collée, elle a surmonté les épreuves et les préjugés pour moi, pour que je vive ma vie pleinement et que je sois épanoui. Je l’ai toujours admiré pour ça.
C’est pour ça que je me suis battu, pour elle. Malgré mes nombreux handicaps dans la vie, j’ai toujours voulu prouver au monde qu’être différent ne voulait pas dire être un « loser ». Voilà pourquoi à seulement vingt-deux ans, j’ai déjà effectué mon service militaire* et terminé mes études afin de pouvoir me consacrer pleinement à ma carrière de musicien.
Seulement, ça faisait déjà plusieurs mois que j’essayais de décrocher un contrat, en vain. Le néant. Le vide intersidéral. Les échecs, les refus et les contrats douteux s'enchaînaient. J’avais donc fini par me résigner…
Et pourtant, c’est là, sous mes yeux. La preuve qu’à force de travail et de persévérance on peut y arriver !
« Nous avons le plaisir de vous annoncer que votre candidature pour le poste de compositeur chez Great Hit Entertainment a été retenue. »
Je ferme mon ordinateur, encore un peu sonné par la nouvelle et attrape la grosse peluche de panda qui m’observe depuis tout à l’heure de son œil attendri. Je la serre contre moi en trépignant d’excitation.
« On a réussi Barney ! »
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Agence d'entertainment : En Corée du Sud, la K-pop est une véritable industrie, les artistes sont gérées par des agences, d'énormes entreprises qui prennent en charge tous les aspects de leurs carrières, de leur formation à la commercialisation de leur musique en passant par toute la production musicale, le merchandising, les concerts, la promotion etc. Les artistes ne sont donc ni plus ni moins que les produits de ces agences.
Service militaire : En Corée du Sud, le service militaire est toujours obligatoire pour les hommes. Ils peuvent l'effectuer quand ils le souhaitent avant leurs 30 ans.
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Enika
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Lyaure
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Mollusk20
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AgatheDcls
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KateLyse
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