Fyctia

08h10. Dans ce qui me sert d'entrée, je m'emmitoufle sous plusieurs couches de vêtements. Je me prépare mentalement et physiquement à affronter tous les degrés au-dessous de zéro. Car dehors, pas de neige certes, mais une météo prévoyant un blizzard à faire friser même les cheveux les plus raides. Et surtout, un vent qui pique autant les fesses que mes grosses joues..

— Putain de froid ! bougonné-je à peine un pied posé sur le trottoir.

Mes gènes ne sont pas conçus pour ça. Ils aiment la chaleur. Le Sud. Mais voilà, tu as décidé de venir vivre ta meilleure vie à Paris, alors assume, j’entends résonner dans ma tête.

J’ai à peine le temps de râler sur mon sort que la silhouette de l’EHPAD apparaît au bout de la rue. Rue que je suis maintenant capable d'arpenter les yeux fermés. Ma première semaine de boulot est déjà loin derrière moi, et la seconde, a filé tout aussi vite. Nous voilà à moins de deux semaines de Noël, et à deux jours de mon premier week-end !

Que vais-je faire de ce temps libre ?

Dormir et rattraper ma dette de sommeil est au programme, c’est certain. Mais compte tenu des événements récents, je ne suis pas contre une petite touche de mystère à la sauce pimentée ! J’ai hâte de découvrir ce que les lutins me réservent cette année ! D’ailleurs, en parlant de surprise, je reconnais la carrure de Lilian, qui semble m’attendre devant le portillon du personnel…

— J’étais sûr que c’était toi ! m'accueille-t-il tout en m’étudiant de la tête aux pieds.

Parle t-il de ma dégaine de bibendum ou de mon message sulfureux d’hier ?

— Ça va ? renchérit-il face à mon silence un poil gênant.

— Hum. Vivement le printemps ! je tente alors de faire diversion.

— Allez viens, je t’offre un café, ou un vin chaud, me propose-t-il tout en m’ouvrant la grille.

— Sérieusement ?

— Je blague. Jamais avant dix heures, malheureuse. T’as quoi de prévu ce matin toi ?

— Oh, tu le sauras bien assez vite !

— Encore des trucs salaces quoi. Ou des déclarations sexy à glisser dans les bannettes de tes collègues préférés ?

Oups…

— Grillée, je réalise à voix haute.

— Tant que tu flattes mes abdos, moi, ça me va !

J’ai honte quelques secondes. Mais vraiment quelques secondes, car ma nouvelle moi s’assume de mieux en mieux !

— D’ailleurs, si ça te dit, rejoins-nous à la salle durant ta pause. Je donne une séance de réveil musculaire tous les mardis et jeudis. C'est réservé au personnel.

— Avec plaisir, un bon décrassage me fera du bien !

— Et te mettra peut-être de meilleure humeur… m’achève-t-il tout en se dirigeant vers une résidente. Bonjour Mme Girard, déjà prête ?

— Toujours pour toi, Lilian !

— Certains se lèvent toujours du bon pied, ça fait plaisir ! me nargue-t-il.

— J’ai tout entendu ! je riposte en m'éloignant à mon tour. Et pour infos, tu me dois toujours un coup !

Un coup à boire ! Putain, un coup à boire ! ai-je envie de crier, trop tard…

De mon côté, je dispose d’environ deux minutes de liberté avant que mes séniors ne débarquent. Alors avant de laisser libre cours à leur imagination débridée, je prépare tout un tas de petit matériel comme du ruban pailleté, des étiquettes scintillantes, des marqueurs colorés et même des images dans le thème de Noël. De notre thème de noël, j’entends.

Et merci Margot pour ton bon plan images sexys libres de droit.

— J'espère que vous êtes en forme ce matin car aujourd’hui, nous allons réaliser les fameuses cartes de noël ! j’annonce devant leurs moues impatientes. Alors à vous dessins festifs, messages joyeux, photos et autres détails uniques. Offrez vos messages les plus chaleureux ! Ajoutez vos touches personnelles pour créer des souvenirs durables qui réchaufferont les cœurs et les corps de ceux qui recevront ces cartes uniques, faites avec amour.

— Compte sur nous ma petite !

— Alors à vos ciseaux, prêts ? Partez !

Je m'attèle moi aussi à la confection de la première carte de vœux de mon existence. Je l’agrémente de dizaines de petits nœuds et d’un quadrillage noir façon résille. J’y colle quelques autocollants en forme de paquets cadeaux, ainsi que notre superbe titre. Puis avant de passer à la seconde, je fais un tour dans les rangs afin de m’assurer qu’aucune de mes brebis ne s'égare…

— Très originale Henri, la carotte de ton bonhomme de neige au niveau de l’entre jambe.

— Merci Alice !

— Magnifiques tes boules Ginette, un brin poilues non ?

— Juste ce qu’il faut ma chère !

— “All i want for Christmas it's you”, je ne savais pas que tu parlais anglais Gisèle ? C’est génial !

— Mon mari était Américain, il m’a appris sa langue. J’aurais aimé lui offrir cette carte…

— Oh, je comprends… Et pourquoi pas la lui dédicacer ?

— C’est une bonne idée ça. Merci ! Et toi ma fille, qui est-ce-que tu “Want for Christmas” ?

— Qui je veux pour Noël ? En voilà une drôle de question. Pourquoi me demandes-tu ça ?

— Oh, on a bien vu vos manèges ! répond Simone à sa place.

— Dis-donc, on entend et on voit un peu trop bien par là-bas !

— Faut dire que vous n'êtes pas discrets ! s'incruste Hervé à son tour.

Donc ils sont tous au courant ? Intéressant.

Je prends le temps de réfléchir à la question mais n’y trouve aucunes réponses fiables.

— Honnêtement, je crois que seul le Père Noël possède la solution à cette énigme !

— Alors espérons que tu as été bien sage, pour avoir plein de délicieux cadeaux sous ton sapin !

— J'essayerai Gisèle. J'essayerai...

Ou pas !

Car comment résister à un Lilian en short ? Je ne regrette vraiment pas de mouiller mon maillot à la pause...

— Alors tu es venu ! me lance-t-il tout en soulevant l’équivalent de mon poids en fonte.

Clara est là elle aussi. Elle me salue de son tapis, tout comme Martine. Deux des cuisiniers et Amir, eux, sont en plein concours de celui qui fera le plus de pompes en une minute.

— Je t’avais dit qu’un bon décrassage m’était nécessaire ! Je peux prendre un vélo ?

— Bien sûr et après si ça te dis, on va se faire des séries de Squats et Burpees tous ensemble.

— Ça marche. Et désolée pour tout à l'heure. Je ne suis ni du matin, ni de l’hiver. Ça n'avait rien de personnel, je tente de rassurer discrètement l'Apollon que mon sale caractère a peut-être froissé.

— T’inquiète, je n’aime pas quand c’est trop facile… me répond-t-il alors, plus joueur que jamais.

La tête pleine de fantasmes, me voilà partie pour quinze minutes d’échauffement suivi de quinze autre minutes de torture volontaire. Car j’aime le sport, simplement, ça n’a jamais été réciproque. Puis, ragaillardie par cette séance, je rejoins le vestiaire en compagnie de Clara. Me changer devant elle m’émoustille tout autant que cela me stress…

Que va-t-elle penser de mes rondeurs, elle, habituée à modeler les corps pour répondre à certains critères ?

Mais alors que je plonge la main dans mon sac pour en saisir un maillot propre, mes doigts rencontrent une enveloppe… Une enveloppe qui n’appartient pas au Xtreme Santa.

Et on dirait que cette surprenante journée est loin d’être terminée…