Fyctia

11h05. Je bénéficie d'environ trente minutes de pause avant d'aller aider certains résidents à descendre et s'installer à table. Dans le silence du vestiaire, j'engloutis mon troisième Expresso. J'observe mon reflet dans le miroir et me rend compte que j'ai autant de vert sous les paupières que dans le fond de mes iris. La faute aux neuf jours consécutifs de boulot ? Pas forcément. À cette folie charnelle qui est en train de s'insinuer doucement dans mes veines ? Peut-être. À ces heures volées à la nuit pour rédiger des mots doux destinés à mes nouveaux collègues ? Assurément !

"Dans des messages anonymes, tu vanteras les vertus physiques et morales de ceux que tu apprécies à l'Espérance". C'est le défi que contenait mon post-it rose fluo, pioché hier.

Alors je vais commencer par Margot ; le plus facile à distraire. Suffira de lui parler du thème de Noël pour détourner son attention assez longtemps de manière à lui glisser le papier sur son bureau. Sa personnalité unique me plaît énormément. Je crois bien qu'on peut parler de coup de foudre. Un coup de foudre disons... Spirituel. Lui trouver une "vertu physique" a été plus complexe. Margot est aussi charmant qu'atypique. Mais je suis persuadée qu'il doit être très doué dans son domaine de prédilection. Alors c'est ce que j'ai écrit mot pour mot. Cash, tout comme lui. Par contre, je ne pense pas que le message reste anonyme bien longtemps... J'ai l'impression qu'il me connaît déjà mieux que personne.

— Hello Darling ! Ça va ? T'as l'air d'avoir fait des folies toute la nuit ! m'accueille-t-il alors que je m'approche de sa tour de guet.

— Si seulement... Bon, ça donne quoi avec ton fantasme numéro 1 ? Ça avance ? tenté-je de détourner son attention, alors que ma main elle, s'immisce furtivement par-dessus le comptoir.

— Tu crois être discrète là, c'est ça ? me coupe-t-il en plein élan.

— Merde, Margot ! T'aurais pu au moins faire semblant ! En plus ça m'intéresse vraiment. T'en es où avec The Boss ?

— Change pas de sujet ! Déjà, voyons voir ce petit mot. Est-ce que c'est coquin ? me demande-t-il, aussi impatient qu'un gamin déballant son cadeau d'anniversaire.

— Ce n'est que mon défi d'hier, détends toi !

— Hum... Intéressant ! Ravi que ma personnalité et mon talent secret te plaisent ! Sait-on jamais, tu auras peut-être l'occasion d'en profiter un jour, me lance-t-il tout en terminant de lire mon billet doux.

— Le plus gros problème de ce Xtreme Santa, tu vois, c'est qu'on va tous finir par sortir les uns avec les autres ! je lui balance tout en commençant à m'éloigner.

— Et ce n'est pas moi que ça dérangerait...

— Les histoires d'amour entre collègues sont trop compliquées et pas dans mes plans !

— Qui t'a parlé d'histoires d'amour, darling...

J'ai le sourire aux lèvres.

Il n'a pas tort !

Je pourrai facilement me retourner et entrer dans son jeu. Mais je préfère les promesses d'un silence plein de potentiel...

Qui sait ?

Et je note surtout qu'apparemment, je lui plais, moi et mes trop grosses formes... On plaît !

Ragaillardie, je file vers ma seconde mission : Mathieu, dont le bureau est à deux pas d'ici. Et sans grande surprise, il ne s'y trouve pas. Après un coup d'œil dans le hall, je prends le temps de déposer proprement mon morceau de papier sur le dessus de son ordinateur portable.

Lui trouver des qualités physiques a été aisé... Bien trop aisé à mon goût. J'ai encore la douceur de ses cheveux imprégnée sous mes doigts, la puissance de son parfum à l'italienne ; flottant derrière lui et particulièrement ici dans son antre, puis surtout, les mystères que cachent ses incroyables yeux bleus ! Des joyaux qu'il camoufle derrière de petites lunettes d'intello - qu'il est d'ailleurs- ainsi qu'une hyperactivité qui me maintient les sens en éveil ! Heureusement qu'il manque souvent de finesse dans ses propos, qu'il n'est pas très doué pour l'écoute active et que c'est mon patron. Sans quoi... Il aurait été bien plus difficile d'y résister !

Je poursuis ma route vers la fin du couloir et notre salle de réunion. Je fonce droit vers les bannettes à courrier, sans piocher dans la boîte de Lindt qui me fait de l'œil sur la table. D'un geste vif, je glisse dans les rangées de Lilian et d'Amir, deux autres de mes missives enflammées. Deux déclarations anonymes diamétralement opposées. Je complimente le premier sur ses attributs physiques dignes des dieux Grecs. Des abdos sur lesquels j'aimerais de nouveau me jeter avec la passion de l'interdit. Alors que j'admire le second pour la lumière qu'il dégage. Un sourire, une générosité et une chaleur qui me rappelle la grande mer de sable d'Égypte...

— Je crois que ce jeu est en train de me monter à la tête... Je réalise à voix haute.

Ça ne va pas du tout... Ce n'est pas moi ça...

Et pourquoi pas ? Qu'ai-je à perdre ? Un boulot peut-être ? Et si c'était ça, la vie ?

Perdue, je cède à l'une de mes plus grandes faiblesses et plonge la main dans la boîte de chocolats. Par principe, je goûte les quatre saveurs proposées dans ce lot. C'est à ce moment que je l'aperçois. Sournoise et bien planquée entre deux piles de livres, elle s'enivre de ma détresse.

— J'espère qu'il y a un défi te concernant ! Histoire que tu comprennes ce que je traverse ! je balance alors à Maryline.

Impassible, l'horrible bestiole ne daigne même pas cligner d'un œil. Elle me dévisage simplement.

— Je me demande vraiment à quoi tu sers toi ? Ah, mais je sais... À rien ! Tu pourrais au moins hocher la tête, que j'interprète tes gestes comme des signes prémonitoires. Remarque, une oreille silencieuse pour écouter mes jérémiades de gamine, ça peut toujours servir... Et t'es moins chère qu'un psy !

Glissant ma main à l'arrière de mon jean, j'en extirpe une ultime missive. Une de celle qui a été la plus rapide mais aussi la plus difficile à écrire.

— C'est la dernière. Celle à laquelle je m'attendais le moins... Mais j'imagine que tu t'en fou aussi ! je fais alors remarquer au félin, qui ne me calcule carrément plus...

Dites-moi que je rêve... Elle dort !

Avant de me faire choper en flagrant délit de discussion avec un animal inconscient, je lève le camp. Sur le chemin des étages, je fais un petit crochet par les cuisines. Je salue l'équipe déjà affairée aux fourneaux puis les dépasse tout en longeant les murs. Je ne fuis pas. Je n'ai pas peur. J'ai juste un dessein en tête ; atteindre le bureau de Clara.

Il est fermé.

Parfait.

Elle est soit en pleine consultation, soit encore en visite en chambre.

Je crois que j'ai des papillons dans le ventre. À moins que ce soit l'adrénaline ? Ou peut-être juste la faim...

— Tes lèvres sont aussi douces que sublimes... je lis une dernière fois à voix haute, avant de lui glisser directement sous sa porte.

C'est comme ça qu'en ce 09 décembre, en plus d'avoir distribué ma cinquantaine d'enveloppes de défis Xtreme, j'ai aussi déclaré ma flamme à cinq personnes différentes...

Et ma vie part doucement en couille...