Fyctia

— Alice ! m'interpelle Amir, dès 08h23...

Ne me dites pas que je vais devoir l'embrasser lui aussi ? Les profils de marathoniens à la peau mate n'ont jamais été mon style à ce jour mais par les temps qui courent... Je ne suis plus sûre de rien. Et puis d'abord, c'est quoi mon style ?

— J'avais peur que tu sois en repos ! m'annonce-t-il sans empathie aucune.

— Si seulement... Mais j'ai encore quelques jours à tenir avant ce luxe. Qu'est-ce qu'il y a ? Tu me fais peur ! lui réponds-je, hésitante.

— Je suis dans la mouise...

— Amir, qu'as-tu fait d'illicite ?

— Rien ! Justement... Ils veulent regarder un film de cul ensemble... Maintenant ! me chuchote-t-il tout en lançant des regards inquiets autour de lui.

— Qui ça ?

— Mes vieux !

— Et alors ?

Le détachement de ma réponse me surprend moi même. Il y a trois jours encore, j'aurai fait une attaque, ou au moins un petit malaise. Aujourd'hui, plus rien ne semble pouvoir me choquer...

Est-ce grave ?

— Comment veux-tu que j'organise ça ? Hein ? me questionne-t-il affolé.

— Et bien, réserve la salle de cinéma du rez-de-chaussée, comme d'habitude... Non

?

— Et si Mathieu nous tombe dessus ?

— Il ne dira rien.

— Ok. Et si c'est une famille ?

— Ce serait plus problématique, oui... Demande à un complice de jouer la sécurité, Lilian par exemple.

— Impossible... Lui et moi nous sommes...

Amants ? Ex-amants ? Le suspense est intenable !

— En sorte de compétition, pour tout, tout le temps. Il ne m'aidera pas sur ce coup là.

Naze... Un simple concours de taille d'attribut.

— Est-ce que tu pourrais monter la garde, toi ? me demande-t-il alors.

— Moi ? Je sais que je suis en surpoids mais je n'ai pas une tête de videur, si ? Et puis mon groupe, j'en fais quoi ?

— Bah, exceptionnellement, ce sera cinéma pour tous. Qu'en-dis tu ?

Amir à l'air plutôt gentil. Je suis nouvelle, il a de l'expérience, vaut mieux l'avoir dans mon camp.

— Ok, je capitule.

— Tu me sauves la vie !

— À charge de revanche alors.

— Compte sur moi. Et où je trouve ça, par contre ? Je suis pas un mec comme ça !

— Un mec comme quoi ? me moqué-je gentiment.

— Un mec, tu vois... s'empourpre-t-il.

— Non je ne vois pas... m'amusé-je à le taquiner un peu plus. Je rigole ! Demande à Margot.

— Tu crois ?

— Sans l'ombre d'un doute ! C'est un expert.

C'est comme ça qu'à dix heures passées de dix minutes, une fois tous nos résidents installés confortablement devant l'un des plus célèbres films de Rocco, je me suis retrouvée au sous-sol à étaler une immense banderole devant la porte du cinéma.

— C'est parfait ! Impossible d'y entrer sans marcher dessus, bien vue Alice, me complimente Gisèle.

Veuve et fidèle dans le virtuel comme dans la mort, elle a choisi tout comme la plus vieille des deux Ginette, de me tenir compagnie dans le couloir.

— Je me suis dit que personne ne voudrait détruire notre chef-d'œuvre. Mais du coup, on y met quoi sur cette banderole ? je leur demande alors.

— Notre titre ? me proposent-elles à l'unisson.

— Oui, très bonne idée !

— J'ai ramené des bombes de couleurs, je trace au crayon et vous remplissez ?

— Moi je veux bien mais si je m'assoie par terre, je ne me relève plus !

— Pareil pour moi, je préfère rester sur ma chaise et te regarder faire.

— Tu as notre confiance, Frida Kahlo !

J'ai comme l'impression de m'être faite avoir de A à Z sur ce coup là...

À quatre pattes au sol, j'essaie de dessiner de façon harmonieuse notre fameux "Christmas me... I'm Famous !". Mais j'ai beau être animatrice loisirs, l'art n'a jamais été mon fort...

— Alice ! Par pitié, ouvre-moi ! m'implore alors Amir de l'autre côté de la porte.

— Bah, et les résidents, ils ne peuvent pas rester seuls !

— Tu n'as pas idée de ce qui se passe ici ! Je vais faire des cauchemars pour le restant de mes jours, laisse-moi sortir !

Toujours à quatre pattes, je tire vers moi la banderole afin de lui permettre de s'échapper de cette... Orgie ? Qui semble avoir lieu derrière.

— Par pitié parle moi de quelque chose, que ces images s'effacent de mes rétines !

— Oh... petit joueur... Tiens, aide-moi à dessiner notre titre si tu veux. Ça t'occupera.

— Tout ce que tu voudras. C'est vrai qu'un petit coup de main semble nécessaire là... réalise-t-il alors en se penchant sur la toile barbouillée exposée au sol.

— Fais-toi plaisir ! Après tout, tu m'es redevable d'un service...

— Je vais essayer de rattraper le coup. J'ai quelques talents de graffeur... Je peux ? me demande-t-il en indiquant les bombes de peinture du menton.

Effectivement, une magnifique frise prend forme sous nos yeux. Ses doigts habiles glissent sur le papier et retracent en quelques coups de crayon, les bases d'une fresque digne de ce nom.

— Quel talent ! le félicite Gisèle

— Petit cachottier... le chambre Ginette.

— C'est sublime, je suis carrément jalouse !

— Ce n'est pas difficile, je t'apprendrai si tu veux ? En heures sup' ou sur un des jours de repos que tu n'as pas encore, se moque-t-il gentiment.

— Et bien avec plaisir !

Une heure plus tard, Amir signe son œuvre de son prénom qu'il accole à une magnifique série de symboles que je reconnais plus ou moins aisément.

المحبة هي القوة الدافعة التي تقود نحو كل الأمور.

الصالحة.

— L'amour... joue... les bonnes choses, j'essaie difficilement de traduire.

— Tu lis l'arabe ? me questionne Amir, surpris.

— Un peu. Ma mère m'a appris quelques mots. Dans une autre vie...

— C'est pas mal franchement ! Là tu vois, j'ai écris " L'amour joue un rôle moteur qui mène à toutes les bonnes choses."

— C'est un très beau message Amir, le complimente Gisèle.

— Merci ! Si tu veux t'y remettre Alice, n'hésite pas, je pourrais aussi t'aider pour ça.

— Je vais y songer...

— Ça fait beaucoup de rendez-vous galants, tout ça ! se moque Ginette, comme souvent.

Quelques coups donnés sur la porte nous signalent la fin de la séance de projection triple X. Amir et moi reculons la toile afin de laisser s'échapper une bande de résidents plus heureux que jamais !

— Tu crois qu'il faut que j'aille vérifier l'état de la salle ?

— Malheureusement... Je crois que tu n'as pas d'autres choix que d'entrer de nouveau dans l'antre de la débauche Amir...

— Beurk...

— Aller, je viens t'aider si tu veux, je propose alors à mon compatriote de galère.

Une bonne demi-heure plus tard, nous rejoignons le reste de l'équipe et des résidents à la cantine.

Les enveloppes et moi sommes attendues de pied ferme. Des applaudissements nous sont même lancés lorsque la tant attendue distribution démarre enfin ! Comme à mon habitude, je me garde une missive au pif, et la fourre dans ma poche arrière. Impatients, la plupart des participants démarrent la découverte de leur défi du jour. Jusqu'à maintenant, je préfèrerais m'enfermer dans la solitude du vestiaire pour découvrir mes Xtreme challenges... Mais prise dans la folie ambiante, je libère à mon tour le post-it qui aujourd'hui, est rose fluo...