Fyctia

08h35. Dans le vestiaire, j'ôte mon bonnet tout neuf et réchauffe mes mains sur le radiateur... Éteint...

L'enveloppe encore intacte, fourrée hier à la va vite dans mon sac, m'y attend toujours. Elle m'appelle, me hurle de venir en découvrir son contenu. Mais je ne suis pas encore prête à l'affronter... Alors je la plie en quatre, l'enfonce dans la poche arrière de mon jean et m'engouffre dans les méandres de l'Espérance pour une nouvelle journée.

Mais depuis mon arrivée, tous sourient à mon passage. J'ai l'impression d'avoir un énorme bouton en plein milieu du front, ou de défiler en culotte dans un lieu public...

— Au moins ils sont heureux ! Mission accomplie, tente de me rassurer Margot lorsqu'à dix heures et au bord du gouffre, je me réfugie derrière son comptoir.

— S'il-te-plaît? rassure moi, t'as quoi toi ? Dis moi que ce n'est pas passible d'une peine de prison ?

— Non. C'est même plutôt cool ! Et puisque tu me le demandes, acceptes-tu d'être ma témoin ?

— On dirait une demande en mariage ! Vas y, abrège mes souffrances, le plus vite possible !

— Alors voilà Alice, la liste de mes cinq fantasmes...

— Quoi ?

— Allez, tu n'as qu'à m'écouter ! Mais tu ne juges pas ok ?

— Vas-y, je t'écoute... Et je ne juge pas !

— En numéro un... Coucher avec le boss.

— Avec Mathieu ?!

— Affirmatif. Pas juger on a dit, hein !

Margot est donc homo.

J'acquiesce en silence, le sourire aux lèvres en imaginant cette scène. C'est vrai qu'il est plutôt chou avec son petit air d'intello, notre boss...

— En numéro deux... Coucher avec Mathieu ET Camille Lou en même temps.

— What ?!

Margot est donc bi !

— Pas juger Alice !

— Ok. Ok. Continue.

— Faire l'amour avec un ou une parfaite inconnue.

— Classique.

— Rejoindre le club des 30 000.

— C'est quoi ça ton truc chelou ?

— Trente mille pieds, c'est l'altitude de croisière des avions de ligne...

— Je vois. Et le dernier ?

— Faire l'amour un jour je l'espère... avec l'amour de ma vie. ..

— C'est beau ! Je te le souhaite. Merci Margot pour m'avoir choisi comme témoin.

— Ce fut un plaisir. Et toi ? Qu'as tu eus ?

— Je n'ai pas encore osé regarder...

— Mais qu'est-ce que tu attends, ouvre-la ! Je t'aide si tu veux !

— Alors j'espère que tu as ton brevet de secourisme, car je vais probablement faire un arrêt cardiaque... J'hyperventile déjà.

— Mais arrête un peu, allez, soit fun ! Prends exemple sur les vieux !

Touchée...

D'une main tremblante, je sors alors l'enveloppe ratatinée de la poche arrière de mon jean. Je la décachète et inspire un grand coup...

— "Raconte une anecdote intime", je lis à voix haute.

— Tu vois, tranquille ! Allez, balance.

— Je... Je n'ai pas grand chose à raconter.

— Tu ? Tu as déjà fait l'amour, non ?

— Pour être honnête, ma première fois était un désastre et je préférerais oublier les suivantes... Surtout celui qui s'y rattache...

— Oh... Ma belle, viens me faire un câlin.

J'accepte son étreinte et y verse un bout de ma peine.

— On va dire que je valide ton défi. Et je te souhaite de vivre de meilleures expériences. Suffit de trouver la bonne personne, me nargue-t-il.

Ravigotée par cette petite pause, et ce début de complicité, je suis prête pour assurer mon atelier de confection décoratives. Ce serait mentir que de dire que l'image de Mathieu et Margot n'est pas restée un long moment incrustée derrière mes paupières...

Et si elle revient me hanter à chaque fois que je croise l'un ou l'autre ?

Mais heureusement, le boulot et la masse de tâches qui me reste à driver vient me tirer de ces idées débridées qui ne me ressemblent pas. Dans la salle d'activités, d'énormes caisses nous attendent, mon groupe et moi. Elles contiennent au moins des centaines de boules et guirlandes de Noël qu'il va falloir customiser selon les codes de notre super thème...

Deux heures durant, nous confectionnons des petits pochoirs aux formes évocatrices et très vite, à l'aide de bombes colorées, nos boules se parent de paires de nénés, menottes, lèvres sulfureuses et autres piments muy caliente.

Gisèle, ma petite mamie chérie, se charge de réaliser des guirlandes de papiers rouges composées d'une myriade de cœurs qui s'entremêlent. Je n'ai pas eu la chance de connaître mes grands-mères, mais si je devais en choisir une un jour, j'en prendrai une comme elle. Car Gisèle, c'est la patience, la douceur et l'amour incarnés dans une seule et même personne.

Un peu avant midi, à l'entrée de la cantine, je jette un œil à notre tableau qui a commencé à se parer de nombreuses croix dans la première colonne.

— On dirait que tout le monde joue le jeu, me lance Margot en même temps qu'un coup de coude dans les côtes.

— Malheureusement... marmoné-je entre mes dents.

Ne pas avoir la main sur les défis proposés a été, je pense, ma plus grosse erreur, je réalise mentalement alors que je croise Hervé sortir des cuisines le sourire aux lèvres. D'ailleurs, c'est vrai qu'aussi bien côté pros que résidents, l'ambiance est particulièrement chaleureuse pour un mercredi aussi gris et glacé qu'aujourd'hui...

— C'est moi ou les beignets à la framboise sont d'humeur... charnelle, ce midi ? nous fait remarquer Mathieu, assis à ma table, quasiment en face de moi.

Oh punaise... Ça y est, nous y sommes ! Après le début du Santa et l'arrivée des premiers défis, voici maintenant ma fin...

— Je confirme qu'ils sont moulés en une belle forme de nichons. Vous avez vu ce petit mamelon rosé là ? lui réponds Margot, mort de rire.

— Carrément, je dirais même un beau bonnet B, confirme Lilian.

— Mes félicitations au chef pour le doigté, hèle alors Amir en direction des cuisines tout en brandissant son dessert.

Je ne sais plus où me mettre et je fuis le regard de Mathieu qui je le sens, tente de croiser le mien. Dire que je dois distribuer la nouvelle salve d'enveloppes maudites à la fin du repas...

— Alice, pourras-tu venir me voir ce soir, avant de partir s'il-te-plaît ? finit-il par me lâcher.

— Bien sûr, réponds-je en hochant la tête.

Foutue. Foutue. Foutue.

A 17h30, Mathieu me fait signe d'entrer. Il est au téléphone alors je m'assois à son bureau en silence. Prête à recevoir mon châtiment.

— Madame Deschamps bonjour. Oui rassurez vous votre maman va très bien. Elle vous a demandé une paire de bas résille ? Ah. Ce doit être pour une activité créatrice, sans aucun doute... Oui voilà. Très bien. À ce weekend madame Deschamps.

Est-il vraiment possible de mourir de honte ? En tout cas, mon corps s'y prépare, je le sens s'enfoncer lentement dans le sol... Un peu comme dans du sable mouvant.

— Ôte moi d'un doute, Alice...

— Oui ?

— Le X dans Xtrem Santa...

Toc toc toc.

— Livraison contre signature, s'il-vous-plaît. Par contre, vu la taille, je l'ai laissé dans le parking, vous le placerez où vous voudrez. On l'a mis sur une palette à roulettes, vous verrez.

Et en cette fin de 05 décembre, l'arrivée du tant attendu sapin de Noël, me sauve la peau des fesses.

Plus que 19 jours à tenir...