Fyctia
Chapitre 5 : Sélène -2-
Il ne me faut que quelques minutes pour rejoindre le plus grand bar de la ville. Il est tenu par une amie d’enfance, Charlie. Elle l’a racheté il y a quatre ans, sur un coup de tête. Elle était jeune, sans expérience, et pourtant, elle a réussi à rendre cet endroit incontournable à Éverestelle.
Emmitouflée dans ma doudoune noire, une épaisse écharpe grise qui me masque la moitié du visage, je m’arrête devant le bar. Charlie ne lésine jamais sur les décorations de Noël. Chaque centimètre carré est décoré : guirlandes, boules, pommes de pin, cheveux d’ange, casse-noisettes géants. Attendez…
— C’est une blague…, je lâche en fermant les yeux.
Deux casse-noisettes géants encadrent la lourde porte en bois du bar. Leurs grands yeux noirs me fixent, figés dans un rictus inquiétant. Leur bouche entrouverte semble prête à se refermer sur moi si je m’approche trop près. C’est ridicule, je vais forcément devoir me rapprocher d’eux pour entrer et je sais qu’il ne se passera rien, qu’ils ne bougeront pas.
Un frisson me parcourt. Ce n’est pas tant leur taille qui m’impressionne. Non, ce qui me retient d’avancer, c’est le souvenir qui remonte à la surface en les voyant.
J’en avais commandé deux l’année dernière pour Noël. Ils étaient magnifiques dans leurs habits vert sapin aux touches dorées. À ce moment-là, je les regardais avec fierté. J’avais toujours aimé les casse-noisettes. Je les trouvais majestueux, impressionnants, beaux. Aujourd’hui, ils ne sont plus que des spectres d’un passé que je tente d’oublier. Je veux échapper au malheur qu’ils me renvoient en pleine face.
Ceux de Charlie sont de la même couleur, à une exception près : ils portent chacun une veste en cuir et des plumes rouges affreuses recouvrent leur haut chapeau.
Je recule d’un pas, j’hésite à entrer. Puis, je secoue la tête. Ce ne sont que des décorations, pas des gardiens maléfiques prêts à me dévorer.
— Ils sont magnifiques n’est-ce pas ?
Charlie a ouvert la porte si vite, que je ne l’ai pas vu sortir de son bar. Ses yeux pétillent d’excitation, comme ceux d’un enfant qui a vu le Père Noël. Mes épaules tendues se relâchent, et je l’accueille avec un grand sourire.
— Tu te surpasses d’année en année.
Elle commence la décoration pour les fêtes de fin d’année dès la mi-novembre. D’abord avec des bougies décoratives en forme de sapins, puis avec des guirlandes lumineuses qui habillent subtilement les murs. Le premier décembre, elle perd le contrôle et finit de tout installer en écoutant la playlist de Michael Bublé à fond et en boucle. Une torture pour nos oreilles, mais une véritable attraction dans notre ville.
Charlie s’approche de moi ; ses manches relevées malgré la fraicheur du mois de décembre, dévoilent une multitude de bracelets colorés. Gérante de bar, fan de Noël et de Taylor Swift. Il n'y en a pas deux comme elle. Elle me serre contre elle pour me saluer, puis me relâche avant de m’examiner de la tête aux pieds.
— Cléo avait parié que tu viendrais en jogging.
J’éclate d’un rire jaune et baisse les yeux sur ma tenue. J’ai enfoncé mon jogging gris dans mes bottes fourrées couleur crème. C’est confortable et chaud, c’est tout ce qui m’importe. Je reporte mon attention sur les géants de bois qui nous font face. Ils m’hypnotisent…
— J’aurais dû te demander si tu étais d’accord avant de les installer. J’espère que tu ne m’en veux pas.
Je cligne des yeux, prise de court, sans vraiment comprendre ce qu’elle insinue. J’ai tourné le dos à Noël, mais je n’empêcherais jamais mes proches d’aimer cette fête. À moins que…
— Est-ce que ce sont… les nôtres ? je lui demande dans un murmure.
Une brûlure vive me traverse de part en part, bien plus douloureuse que je ne l’aurais crue. De l’acide coule dans mes veines, ou peut-être que des milliers d’aiguilles me transpercent le cœur. Charlie baisse ses yeux noisette et hoche doucement la tête.
— Ils auraient fini à la déchetterie de toute façon, j’imagine que c’est mieux pour eux.
Mon amie hoquette en imaginant ses nouveaux compagnons finir broyés, brûlés, détruits.
— J’imagine que Cléo m’attend sagement avec un chocolat chaud, non ?
— On ne peut rien te cacher.
Elle m’ouvre la porte et m’invite à entrer dans son antre. Une vague de chaleur et de lumière dorée m’enveloppe aussitôt, et m’aide à oublier l’air glacé de l’extérieur. J’adore Charlie, j’adore son bar, même en plein mois de décembre, noyé sous une avalanche de couleurs aveuglantes. Il me faut quelques secondes pour m’habituer aux paillettes, aux guirlandes scintillantes et aux éclats dorés qui dansent sous les lumières tamisées.
Le bar est plein, ce qui ne m’étonne pas pour un samedi soir. J’aperçois quelques visages familiers, avant de croiser un regard. Un frisson glisse le long de ma colonne vertébrale. De l’autre côté de la pièce, à demi dissimulé par la lueur d’une bougie artificielle, un homme me fixe. Son regard sombre accroche le mien avec une intensité troublante. Mon cœur rate un battement, mes doigts se resserrent autour de l’écharpe que je déroule doucement.
Pourquoi cette impression de déjà-vu ?
Je fronce les sourcils dans l’espoir de mieux voir ses traits sous sa masse de cheveux ébouriffés et cette barbe qui semble parfaitement taillée. Mais avant que je puisse m’attarder davantage sur lui, une voix familière brise le charme.
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Alyrianna
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Scriptosunny
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Debbie Chapiro
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Justine_De_Beaussier
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Ama Ves
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Bérengère Ollivier
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Scriptosunny
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Natia Kowalski
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Il y a 15 jours