Fyctia
Chapitre 4 : Arthur
13 décembre 2025
Je descends du train qui vient de s’arrêter en gare, avec mon sac de sport sur le dos. L’air froid mord la peau de mon cou et je me maudis d’avoir oublié ma fine écharpe grise. Sur le quai, les lettres de la ville s’étalent en gros : ÉVERESTELLE.
Depuis janvier, je viens dans cette ville tous les mois, au moins un week-end. J’adore ses paysages, ses rues pavées et le calme ambiant qui y règne. Elle me change de Lyon et de son agitation. Ici, tout semble plus lent, plus calme, comme si la ville elle-même me donnait une pause bien méritée.
Ma vie a changé depuis ce soir de Noël où j’ai vu mon monde s’écrouler. Une peine de cœur est la douleur la plus violente que j'aie jamais connue. Elle est dévastatrice, impitoyable et cruelle. Elle s’est insinuée dans chaque parcelle de mon corps, chaque muscle, jusqu’à mon souffle. J’ai eu l’impression de tomber dans un gouffre, où des milliers de piques m’attendaient pour me transpercer. J’ai cru ne jamais réussir à me relever.
Et pourtant, jour après jour, semaine après semaine, j’ai relevé la tête. Chaque petit pas a été une victoire, une façon de lutter contre ce poids invisible. Loin d’être facile, mais au fil du temps, je me suis rendu compte que cette douleur était une force.
Si je viens chaque week-end dans ce havre de paix, ce n’est pas seulement pour me ressourcer. J’ai un but bien précis. Comme une mission à accomplir pour faire le deuil de ma relation passée. Pour l’instant, je n’ai pas réussi à atteindre ma cible, mais je sens que j’y suis presque. Encore un pas, encore un week-end ici, et peut-être que je pourrai enfin tourner la page.
Je sors de la gare et profite des rares rayons de soleil de la journée. L’hiver approche à grands pas et nous amène des jours plus longs. Je connais la ville par cœur. J’en ai visité les moindres recoins, découvert tous les restaurants et les bars. J’ai testé tous les Airbnb proposés aux alentours, sauf celui vers lequel je me dirige. Je n’ai pas eu de nouvelles de la propriétaire, mais peu importe. Rien ne m’effraie ici. Au contraire, je me laisse porter par l’instant présent.
L’odeur des marrons grillés et de cannelle flotte dans l’air, portée par la brise froide. Des guirlandes lumineuses s’enroulent autour des lampadaires qui attendent la tombée de la nuit pour diffuser leur douce lumière. Des banderoles sont accrochées un peu partout dans la ville, indiquant la date du prochain triathlon : du 20 au 25 décembre. Une ligne blanche en dessous précise que les inscriptions ouvrent aujourd’hui, ce qui explique sans doute l’effervescence inhabituelle autour de moi. D’ordinaire, tout est plus calme.
Bien que je passe du temps ici, je ne me suis jamais intéressé à ce qui s’y passait, ses évènements, ses traditions. Je viens ici pour me reconstruire, pour avoir des réponses à mes questions. Rien d’autre ne m’intéresse. Même si je suis intrigué par ce triathlon qui se déroule en plein hiver. J’ai du mal à imaginer des coureurs en short et en débardeur, alors que les sommets autour d’Éverestelle disparaissent sous la neige. La ville en est dépourvue, pas un seul flocon à l’horizon.
Je longe la place centrale, où quelques chalets en bois, installés pour le marché de Noël, vendent du vin chaud et des biscuits aux épices. Je devrais m’arrêter et prendre le temps d’observer les étals devant moi. Mais mon regard se pose sur la rue que je dois emprunter, et un frisson me parcourt. Un mauvais pressentiment ?
Un couple se trouve en bas de l’immeuble où je dois me rendre. Ils sonnent à l’interphone, je suis trop loin pour entendre ce qu’ils disent. Puis la porte s’ouvre pour eux. Je presse le pas pour me faufiler juste avant que la porte ne se referme. D’habitude, j’ai un message, un numéro à contacter, ou bien un code pour récupérer des clés. Mais pas cette fois. Je me contente de chercher le nom de la propriétaire sur les boites aux lettres : Cléo Volpe, 1er étage.
Bingo !
Je monte les marches deux par deux, mon sac toujours sur le dos. Je reprends mon souffle avant d’appuyer sur la sonnette à côté de la porte en bois. Une belle rousse ouvre la porte, un large sourire sur le visage. Ses yeux verts, derrière des lunettes rondes aux montures dorées, me détaillent. Est-ce qu’elle est en train de me reluquer ?
— Bonjour, je viens pour la chambre à louer, je lui dis en lui dévoilant également mon plus beau sourire.
Elle penche légèrement sa tête, ses sourcils se froncent et elle pince les lèvres. Aïe, ça commence mal pour moi.
— Aujourd’hui ? elle me demande, sceptique.
Je sors mon téléphone pour lui montrer la confirmation de réservation reçue une semaine plus tôt. J’aurais dû la contacter avant de partir, ou bien durant les deux heures de train qui me séparaient d’Éverestelle. Je le lui tends en tentant de garder un air serein. Elle fait défiler le mail d’un doigt parfaitement manucuré et se mord l’intérieur de la lèvre.
— Je vois…
Elle relève la tête vers moi, me rend mon téléphone, puis sort le sien. Elle pianote rapidement en grimaçant.
— C’est rare, mais ça arrive.
— De quoi ?
Un poids tombe au fond de mon estomac.
— La double réservation. Vous avez réservé en même temps qu’eux, me répond-elle d’un ton calme étonnant malgré la situation.
Elle se pousse de l’encadrement de la porte, hoche la tête en direction du couple assis sur le canapé. Celui qui m’a précédé en bas de l’immeuble. La chambre aurait-elle été à moi si j’avais marché plus vite, sans me laisser distraire par le marché de Noël ?
Une vague de chaleur me caresse le visage, tandis qu’une autre, provenant du couloir, plus froide, frappe ma nuque.
— Et ? je l’encourage à continuer.
— Malheureusement, Enzo et Amanda ont réservé quelques secondes avant vous, d’après ce que j’ai sous les yeux. Ce que je ne comprends pas, c’est pourquoi vous n’avez pas reçu de mail d’annulation.
Je ne le comprends pas non plus, mais je me garde bien de le lui dire. Je laisse tomber mon sac à mes pieds, ce qui fait sursauter Cléo, les yeux toujours rivés sur son écran.
— Je vous conseillerais bien de vous diriger vers un autre Airbnb, mais…
Elle laisse sa phrase en suspens, comme si elle hésitait à aller au bout de sa pensée. C’est agaçant. La tension monte progressivement en moi. J’enfonce les mains dans les poches de mon jean pour ne pas briser mon téléphone, que je serre un peu trop fort. Elle me regarde enfin dans les yeux, gênée, avant de poursuivre :
— À cette période de l’année, tout est complet.
— J’imagine que ça a un rapport avec le triathlon.
Elle hoche la tête.
— J’ai peut-être une solution pour vous.
Elle pique ma curiosité, assez pour qu’un sourire étire à nouveau mes lèvres.
— Entrez. Nous allons voir ça ensemble.
Elle s’écarte pour me laisser entrer chez elle. Je ramasse mon sac et lui passe devant. Je veux pouvoir repartir d’Éverestelle avec les réponses que je cherche depuis presque un an. Et il est hors de question que je fête ce nouveau Noël avec des doutes.
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Tatiana Le Maître
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Il y a 2 heures
Louisa Manel
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Il y a 4 jours
Scriptosunny
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Debbie Chapiro
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Il y a 11 jours