Fyctia

Une lueur d’espoir me traverse.

— A moins que ?

Il se redresse et joint ses doigts devant lui sur le bureau, son regard plongé dans le mien.

— Nous pourrions tenter un test. Un lancement à basse échelle. Il faudra que vous soyez productive pour un maximum de ventes avant ce Noël. Mais ça pourrait déjà faire parler de vous pour l’an prochain. Quantités limitées : deux cents chaussettes, pour les premiers arrivés. Et ouverture des précommandes pour Noël prochain.

— Je suis partante, je réponds sans me laisser le temps d'hésiter. Je suis prête à tout.

Mais merde Isla, comment comptes-tu fabriquer deux cents chaussettes en quelques jours ?

— Parfait. Il nous faudra un nom de marque et un site web fonctionnel pour mettre en place le terrain pour l’année prochaine. Plus le matériel nécessaire. Un budget de quatre ou cinq mille dollars, pour démarrer dans de bonnes conditions, devrait faire l’affaire.

— Cinq mille…

Je me sens un peu ridicule de répéter tout ce qu’il dit, mais ça m’aide à mieux assimiler les informations. Et surtout, à encaisser la réalité. C’est une grosse somme. J’ai un revenu confortable, mais un loyer, à Manhattan, c’est très cher. Et tout le reste coûte une fortune aussi.

— Je n’ai pas autant de côté…

— Je ne vous aurais de toute façon pas conseillé de placer vos économies personnelles. C’est le meilleur moyen de tout perdre ou s’écrouler sous la pression.

— Alors… Qu’envisagiez-vous ?

— Il faut vous trouver des financements. Rapidement. Et le hasard fait bien les choses : j’ai une solution à vous proposer. Je travaille avec plusieurs investisseurs, et nous organisons un concours de pitchs la semaine prochaine.

— Un concours de… pitch ?

J’écarquille les yeux, perdue. J’ai l’impression qu’il parle une autre langue.

— C’est comme… un match dans lequel vous pourrez mettre vos idées en concurrence avec d’autres. Vous présenterez votre projet devant un jury. Le gagnant sera financé. Ce sera également l’occasion de vous donner de la visibilité.

— Et… Vous pensez que j’ai une chance ? En étant aussi peu préparée ?

— Ce qui est certain, dit-il en soutenant mon regard, c’est que vous ne risquez pas de réussir quoi que ce soit si vous ne tentez rien. Et pour ce qui est de la préparation… Je vais vous aider, Isla.

Quelque chose dans son attitude m’apaise. Alors que d’ordinaire, je le sais, je serais stressée de toutes mes forces, à cet instant, tout me semble faisable. Je me sens forte. Capable.

— Le concours a lieu lundi soir. Ça nous laisse moins d’une semaine. Votre activité actuelle vous laisse-t-elle la possibilité de me rejoindre ici en fin de journée, ce soir et les suivants ?

Je ne peux décemment pas lui expliquer comment je gagne ma vie actuellement. Il me jugerait. J’en suis certaine. Même s’il se montre finalement bien plus bienveillant que je ne l’avais supposé à notre première rencontre. Certains voient la vente de photos de pieds comme… une forme de prostitution. Je ne dis pas qu’ils ont tort : chacun est libre d’avoir sa vision des choses et de ses choix. Mais chacun est également libre de placer ses propres limites. Malheureusement, rares sont ceux qui respectent les limites des autres lorsqu’elles ne ressemblent pas aux leurs. A part mes deux meilleures amies, tous ceux à qui j’ai pu avouer mon activité m’ont déçue.

— Je peux. Aucun problème. Quelle heure vous conviendrait ?

— Dix-neuf heures ? Nous commanderons de quoi manger.

Est-ce que c’est… Non. Impossible. Sa journée de travail se termine tard, c’est tout. Il m’accorde sa soirée, et ça coïncide avec le repas, voilà tout. Purement logistique. N’y vois aucune proposition autre que professionnelle, Isla. Et pourtant… quand l’intensité de ses yeux se braque sur moi, je sens mes joues s’échauffer.

— C’est parfait. Merci beaucoup.

— Je vous raccompagne, dit-il en se levant.

Sur le chemin jusqu’à l’ascenseur, il me demande de confirmer ce dont j’ai besoin avec mon fournisseur dans la journée. Au moment où nous passons l’entrée des bureaux, je trébuche. Mais merde, ce dénivelé était là quand je suis arrivée ? La honte m’envahit alors que je perds l’équilibre. Jusqu’à ce que ma chute lente et dramatique s’arrête. Grâce à corps dur et chaud pressé contre le mien. Je réalise que les bras, plus que solides, d’Adam sont serrés autour de moi.

Je relève les yeux vers les siens, et mon cœur manque un battement. Ou deux. Bon sang, on se croirait dans une vraie comédie romantique. Sa main effleure doucement ma joue, et j’aimerais qu’il ne la retire jamais. Sauf pour la glisser sur le reste de mon corps. Suis-je la seule à ressentir ce courant électrique qui me réchauffe entièrement ?

— Tout va bien ? souffle-t-il, sa voix douce et grave.

Ma bulle éclate. N’importe quoi, Isla. Les joues brûlantes, je me reprends et m’écarte légèrement. Ce type est celui qui va faire décoller mon entreprise. Une vraie entreprise. Je dois conserver des distances professionnelles.

— Oui, merci. Merci de m’avoir rattrapée.

Je pénètre dans l’ascenseur et son regard me suit. J’ai l’impression qu’il sait exactement tout ce qui vient de se passer dans ma tête.

— A ce soir, Isla, me salue-t-il d’une voix qui ravive la chaleur sur mes joues.

Et merde. Dans quoi me suis-je embarquée ?