Fyctia
Chapitre 2 (2/2)
Sa mâchoire se crispe légèrement. Il marche sur des œufs, et je n’ai pas l’intention de lui faciliter la tâche. J’attends toujours des excuses de sa part, alors si je le rends mal à l’aise, tant mieux. C’est la première fois que je le revois depuis cet été. Depuis qu'il a glissé un steak de bœuf dans mon burger en me jurant qu’il était végétarien.
Je doute que son intention ait été malveillante. Non je pense qu’il est simplement… idiot. Le genre à penser que je ne verrais pas la différence. Que ça ne ferait pas de mal. Sauf que j’ai été malade toute la nuit. Ce que personne ne comprend, ou ne veut comprendre, c’est que je suis intolérante à la viande. Mais dans cette famille, je ne suis jamais écoutée. Pour eux, c’est un caprice. Une mode. J'ai entendu ce genre de reproches durant toute mon adolescence. « Isla, arrête cette comédie », « Ce sont tous tes grignotages qui te rendent malade ».
Apparemment, « végétarienne » est un mot trop complexe pour l’élite du Connecticut. Un concept trop abstrait, sans doute. « Tu ne manges aucune viande ? », « Et le poisson ? », « Une fois de temps en temps, ça ne va pas te tuer », ou encore le classique : « Tu devrais manger de la vraie viande au lieu de ces cochonneries protéinées ».
Je n’ai plus envie d'argumenter. Et, de toute façon, je ne devrais pas avoir à me justifier. Je veux être respectée pour tout ce que je suis. Que mes choix, qu’ils soient de santé ou de conviction, soient considérés. Ne pas comprendre une chose n’excuse pas de la mépriser. Et j’ai vingt-six ans, je ne suis plus la petite adolescente rebelle qu’ils semblent encore voir en moi.
— Isla, tu sais bien que…
— Je ne sais rien du tout, Cal. Et je ne suis pas prête à passer au-dessus de ce que tu m'as fait. Alors maintenant, écarte-toi. Je ne suis pas venue pour toi.
Je le fusille du regard. Il soupire, puis obéit sans protester. J’imagine que mon père l’a briefé : pas de vagues aujourd’hui. Je doute que ce soit pour moi. Son image publique est certainement plus importante à ses yeux que le fait de réellement me voir. Il a sûrement insisté pour que je vienne parce qu’il serait gênant de devoir trouver des excuses à mes absences permanentes une seconde fois. Dans cette maison, les apparences passent avant l'amour. Toujours.
Lily, ma sœur, se dirige à son tour vers moi, Aiden à ses côtés.
— C’est pour moi ? demande-t-il en indiquant le sac cadeau dans ma main avant même que je n’aie eu le temps de saluer sa mère.
— Oui, je lui réponds en tendant le paquet avec un sourire. Joyeux anniversaire, Aiden.
Il me l’arrache presque des mains, excité, tandis que sa mère m'enlace.
— Tu m’as manqué, Isla. Je t’en prie, ne coupe plus les ponts ainsi.
Elle semble sincère, mais ma rancune est bien accrochée.
— Alors respectez-moi. Et tout ira bien.
Elle me répond par un sourire coupable et triste. Pas un mot de plus.
— Trop bien ! s’exclame Aiden. Je croyais que tu me ferais encore un cadeau pourri, mais là…
— Aiden, intervient Lily d’un ton réprobateur. Ton langage.
Evidemment. Pas un mot sur l’insulte, uniquement sur le mot employé. J’imagine que je dois prendre la remarque d’Aiden comme un compliment. Le vendeur de la boutique LEGO en bas de chez moi a visé juste. J’allais répondre à mon neveu, mais il s’éloigne déjà. Comme sa mère. Mais Donovan reprend rapidement sa place en me tendant un verre de vin blanc avec son habituel sourire en coin, puis pose doucement une main dans le bas de mon dos. Un geste discret, à l’abri des regards, bien sûr.
Donovan Ashker. Mon idéal depuis… toujours, en réalité. Avec mes huit ans de moins, j’ai longtemps été « la petite sœur ». Invisible à ses yeux. Jusqu’à ce que je ne le sois plus. Aujourd’hui, j’ai du mal à ne pas voir que c’était encore trop tôt. Il avait vingt-quatre ans, j’en avais seize. Il était diplômé de l’université et je n’avais pas encore terminé le lycée.
On se connait depuis toujours, et moi, j’ai toujours été un peu amoureuse de lui. Alors le jour où son regard sur moi a enfin changé, je lui ai donné tout ce qu’il voulait. Avant qu’il ne me brise le cœur pour la première fois. Mon ventre se serre en repensant à ce premier chagrin d’amour, celui qu’on n’oublie jamais. Mais la chaleur de sa main dans mon dos chasse ma tristesse.
Après chaque rupture, chaque déception, je suis revenue à lui. Comme aimantée. Une part de moi croit encore qu’un jour, ce sera le bon moment pour nous deux. Mais pas maintenant. Donovan a toujours été mon seul lien avec la vie que j’avais décidé de quitter quand je ne parlais plus avec ma famille. Ma seule stabilité. Toutes ces années, lui et moi…
— On pourrait peut-être s’éclipser, souffle-t-il à mon oreille.
Je sais très bien ce qu’il veut, ce que ce mot signifie, et mon corps ne tarde pas à réagir. Mais c’est une mauvaise idée. Pas ici. Pas maintenant. Et pourtant, depuis ce matin, depuis ces magnifiques yeux bleus qui me hantent, l’envie est… Mais bon sang ! Sérieusement Isla ? Encore cet enfoiré du coffee shop ?
Je suis sauvée par Grace qui se rue dans mes bras, suivie de son père. Je connais assez Cal pour savoir qu’il veut jouer les boucliers, couper court à ce qu’il peut y avoir entre Donovan et moi. Il ne l’a jamais approuvé. Ça risquerait de compromettre son équilibre bien rangé, alors il se sert de Grace. Clara et Aiden arrivent à leur tour, ainsi que ma sœur. Je sens le piège se refermer doucement.
— Dis tata… commence ma nièce préférée, le regard malicieux. Tu viendras la semaine prochaine à la réception que papa et maman organisent ?
Et voilà. J’en étais sûre. Je hausse les sourcils.
— Une réception ?
Grace hoche la tête et se penche pour me murmurer à l'oreille.
— Je n’ai pas tout compris, mais ils ont dit qu’il fallait vraiment que tu viennes.
Cette petite a bien trop d’honnêteté pour faire partie de cette famille. Je la serre un peu plus fort. Hors de question que je me plie à leur volonté, et encore moins quand c’est fait de manière aussi fourbe.
— Je suis désolée, ma puce, mais le travail de tata ne lui permet pas de s’absenter en ce moment. La… période avant Noël est la plus chargée.
Une esquive express. Ça fera l’affaire, et dans le fond, ce n’est pas tout à fait faux. Ce n’est pas comme si les fétichistes des pieds se déchainaient particulièrement en décembre, mais certains demandent un calendrier de l’avent un peu spécial : une photo par jour. Au moins, ça rapporte. Et ça m'évite de devoir me plier aux exigences de mon père.
— Tu fais quoi ? demande Clara.
Et merde.
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Charlyemorand
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Il y a 6 jours
Angel Guyot
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Il y a 6 jours
labibliothequedeflavie
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Il y a 6 jours
Ady Regan
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Emilie Hamler
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amashford
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Manonst
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mima77
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Justine_De_Beaussier
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Angel Guyot
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Il y a 16 jours