SebW Chaman La voix de son maître

La voix de son maître

Boris avait écarté le combiné de son oreille, il entendait néanmoins distinctement chaque syllabe qui lui était destinée. Il connaissait cette longue litanie par cœur, et les menaces qui la ponctuaient, bien que très réelles, ne le choquaient plus.

- « Ne me déçois pas Boris ! Tu sais ce qui arrive aux faibles… »

Boris s’était rallumé un gros cigare, et le savourait à la manière d’un condamné, avec whisky et glace à proximité. Il ne baissait pas sa garde. Bien sûr, ces gens-là ne plaisantaient pas et il ne fallait jamais leur montrer le flanc. Mais il avait toujours préféré jouer la transparence avec eux plutôt que de les mettre au pied du mur en cas de pépin. Il s’en était toujours tiré.

- « Il va combattre… C’est juste le contre coup du choc d’hier soir, c’est l’affaire de quelques jours ! », répliqua Boris en collant de nouveau le téléphone à son oreille droite. Il profita du silence qui suivi pour tirer une grosse bouffée sur le cigare.

- «Il vaudrait mieux... pour lui, et pour toi ! Tu sais ce que ce tournoi représente pour nous, il n’y a pas que l’argent des paris ! ». Boris n’était pas le seul à donner dans la caricature, et cet accent italien un peu trop appuyé l’aurait fait sourire en d’autres circonstances.

- « Ca le gamin ne le sait pas ! Et c’est tant mieux d’ailleurs, ça me permet d’insister sur le prix des produits, et sur les sommes engagées auprès des bookmakers… », tout en répondant au patron, Boris lorgnait d’ailleurs sur la cote de son poulain pour le prochain match. Il caracolait en tête sur tous les sites de paris.

- « Finalement, ce serait bon pour nous s’il avait un petit coup de mou... », reprit-il en lâchant le cigare pour le gros vert rond dont les effluves fumées lui piquait les narines depuis le début de la conversation.

La voix tonna de nouveau, et la surprise failli lui faire lâcher son verre.

- « Mais qu’est-ce que tu racontes, imbécile ! »

La main de Boris retrouva l’équilibre sans qu’un seule goûte du précieux nectar n’échappe au contenant.

- « C’est juste que ça cote est au plus haut… Au-delà des affaires, semer le trouble et s’arranger pour que les parieurs doutent sur sa forme et son état psychique, c’est assurer le pactole à la fin du match ! ». Boris était fier de lui, et persuadé que son idée charmerait Monsieur Marcosi.

- « Tu ne comprends vraiment rien aux affaires. Fais ton job de manager, prépare ton boxeur. Je veux qu’il détruise son prochain adversaire ! Je veux qu’on en parle, qu’il fasse la une des journaux… Tu m’entends, je veux une victoire totale ! ».

- « Ok, d’accord, mais… ».

Boris s’interrompit, le patron avait raccroché. Il claqua lui aussi le combiné sur la base du téléphone et s’enfila le restant du verre en une seule goulée avec sa main libérée du téléphone. La brûlure du breuvage et l’énervement de ces négociations qui n’en étaient pas, le projeta hors de sa chaise, comme un lanceur qui s’affranchi de la gravité pour rejoindre son orbite. Il resta d’ailleurs un moment à flotter en altitude, dans les relents d’alcools et les nuages de fumées de Havanes.

- « Mais quel boulot de con ! », jura-t-il en avalant à moitié son cigare, « Toujours entre le marteau et l’enclume".

Il oubliait sans doute qu’il n’était ni l’investisseur, ni celui qui prenait les coups sur le ring. Juste cette espèce de pantin, trop abîmé pour pénétrer dans l'arène, et plus assez fier pour ne pas se coucher devant l’argent sale de ces mécènes mafieux.

Il avait été boxeur lui-même, à ses débuts. A l’époque où ça castagnait classique, avec gants et protèges dents, et éventuellement quelques anabolisants dans les veines. La mentalité du milieu n’avait rien à envier à celle d’aujourd’hui, ni plus moche, ni plus vertueuse. Les combats en revanche, étaient beaucoup moins risqués. On affrontait un homme, et pas un duo entre l’homme et l’animal. La puissance des coups, la vitesse de lecture du combat et la réactivité de la réponse étaient communes aux deux combattants. On restait dans des normes humaines. Aujourd’hui, si l’homme restait bel et bien sur le ring, il avait, outre sa capacité d’humain à analyser la situation et à bâtir une stratégie, tous les atouts de son totem pour faire mal. La rage du tigre, la puissance destructrice du rhinocéros, la rapidité du guépard et la vision de l’aigle, les capacités de ces gladiateurs étaient décuplées par le lien qui les unissaient à cette cage, à proximité de leur vestiaire.

Il en avait fait les frais. Ca faisait alors un moment qu’il avait raccroché les gants, et il entrainait à l’époque quelques boxeurs de seconde zone. Des types non dépourvus de talent, mais qui n’avaient pas encore eu la chance de disputer le match qui les propulserait éventuellement en première league. Ces deux mastodontes avaient choisi de rejoindre l’arène, ce jour-là, en passant par la salle d’entrainement, et avaient cru bon de haranguer ses boxeurs amateurs. Manque d’intelligence, déficit de modestie, les choses auraient dues en rester là. D’autant plus que ses gars avaient bien réagi, et jouer la carte de l’autodérision, face à ces nouveaux titans du ring. Mais Boris n’avait pas apprécié, et s’était interposé, bloquant le passage des athlètes et exigeant des excuses. Ces boxeurs eux-mêmes lui avaient dit de laisser tomber, mais il s’était entêté. L’un des deux types l’avait mal pris. On avait entendu l’éléphant barrir dans sa cage à l’extérieur, puis le silence et le bruit glaçant d’un os qui se brise. De plusieurs os en fait… En une fraction de seconde, la jambe de Boris avait été pulvérisée par la charge du plus grand des deux combattants, répondant à la pulsion de son totem. L’arrogance était du côté des deux hommes, la réponse instinctive du côté de l’animal.

L'affaire avait fait grand bruit, mais elle avait été très vite étouffée. Ces combats prometteurs pour les bookmakers n'étaient pas encore homologués. Les associations de protection des animaux, les philosophes intéressés à l'étique, les autorités administratives et religieuses, les groupuscules créationniste, étaient déjà en émois. Il fallait éviter cette mauvaise publicité. Les soins de Boris et sa convalescence furent complétement pris en charge par un groupe de mécènes qui spéculaient sur ces nouveaux combats. Ils pariaient des sommes colossales sur ces géants qu'ils entrainaient à grand renfort de sérum du Chaman, ce nouveau gaz qui défrayait la chronique. Pour le commun des mortels, s'était encore une légende, un mythe sans fondements. On proposa ensuite à Boris un gros contrat pour le faire taire. Il tenait sa place de manager chez les pros, et se dit que sans doute, il fallait accepter de perdre quelque chose pour avancer... il avancerait désormais en boitant.

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2 commentaires

SebW

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Il y a 6 ans

Bonsoir Kleo, merci pour ton retour... oui, le passé, erreur de débutant, Roxane m’en a parlé aussi. De mon côté, et comme j’ai déjà pu te le dire, je ne suis pas forcément spécialiste du style new romance. J’ai déjà lu ton prologue et les six premiers chapitres. Ton personnage principal (en tout cas, celui que je vois comme tel), commence à prendre son essor, et cette idée de bracelet, puis de hacher, me plaît beaucoup.., mais celle que je préfère, c’est ta petite tornade sympathique au milieu de tout ça, la petite demoiselle qui adore les histoires de tatie, je trouve ça super bien vu. Côté style, j’aime beaucoup tes phrases courtes et précises, qui manquent un peu dans le chapitre 2 (je pense que tu avais moins de temps pour l’écrire). De ce côté là, je crois qu’on a un problème commun, temps, relecture, ré-relecture. Je lis la suite ce soir, bonne continuation et à bientôt...

kleo

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Il y a 6 ans

Bonsoir Sébastien, voici mon petit retour. Comme tu le sais déjà j aime ton histoire, elle est bien construite. Tu es parvenu à rendre les personnages attachants et on a hate de connaître la suite. Un seul petit bémol mais ce n est que mon humble avis, je n aurai pas utilisé le passé mais le présent dans ton histoire. Voilà. En tout cas bravo et bonne continuation sur Fyctia. Pour ma part, je fais une pause. Mais je ne manquerai pas de venir te lire.
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