lagloiredesmots Ceux qui ne m'ont pas laissé grandir Vengeance

Vengeance

Il y avait des gamins près du ruisseau. Un feu de camp crépitait tant bien que mal, se débattant avec la pluie qui filtrait à travers les branches. Des adolescents, assez jeunes pour faire preuve d’inconscience mais assez vieux pour savoir que ce qu’ils faisaient était mal. Kalina espérait qu’ils le savaient. Le monde irait mal si la jeunesse ne faisait pas d’efforts. Si les enfants grandissaient de travers, et si leur éducation était laissée à l’abandon.


Dans le viseur de la Javelin bon marché que tous étaient en mesure de se procurer sur internet, le renard paraissait résigné, manquant de forces pour s’enfuir. Elle voulut ouvrir la bouche pour leur crier d’arrêter mais la lame de Senko fut plus rapide. Vive et sans bavure, elle atteignit le cœur de l’animal aux poils roux et mouillés, son poids s’effondrant sur la roche balayée par l’eau glacée du ruisseau. Perchée une centaine de mètres plus haut, la Vierge noire fixait le spectacle, impassible.


L’un des gamins cria quand le renard tomba, la langue pendant de sa gueule ouverte et le regard vide. Un peu de sang commença à tâcher la fourrure déjà abimée et Svilen souhaita que ce fut l’un des mioches à la place du mammifère. Un exemple, dissuadant les autres de recommencer à torturer de pauvres bêtes, juste pour le jeu. Ses bottes accrochèrent les caillasses lorsqu’il s’approcha du canidé et glissa ses doigts gantés dans son pelage. Sous ses doigts, la musculature était atrophiée, des os étaient là où ils n’auraient pas dû être, trop gros ou trop petits, déplacés par la croissance forcée provoquée par les rayons radioactifs. Sous son genou posé contre un rocher détrempé, l’eau était glacée et Svilen dut serrer la mâchoire pour s’empêcher d’immerger le garçon qui tenait la Javelin jusqu’à ce que ses membres deviennent bleus et qu’il suffoque.


Fais-le, susurrait la voix d’or de Reka dans sa tête. Ou peut-être était-ce la sienne. Peut-être était-ce celle du renard qu’il avait achevé. Le sang gicla lorsqu’il retira son couteau de sa chair et se mélangea à l’eau, apportant un semblant de chaleur à son pantalon mouillé. Sur la rive, Kalina réprimandait la troupe d’adolescents insurgés, demandait des identités et faisait le plein d’informations. Elle interrogeait, comme on lui avait appris à le faire à l’académie. Svilen n’avait pas eu le luxe de fréquenter une quelconque institution. La patience et la compassion n’appartenaient pas à son ADN modifié par les Jav, et le tireur dut s’en apercevoir. Il tomba sur les fesses et recula sur son rocher quand Senko se redressa et s’approcha, la lame couverte du sang de l’animal encore dans son poing. Aussi impassible que la Vierge sculptée dans la pierre, il fit tourner l’arme blanche entre ses doigts, puis la lui présenta.


— Tu as peur de ça ?


Un ronronnement plus qu'un grognement accompagna sa question. Le courant dans lequel il pataugeait était assez fort pour emporter le gosse entre les rochers s’il décidait de le pousser. Il pourrait se retrouver coincé et boire la tasse, se noyer ou s’ouvrir le crâne. Le froid engourdirait ses sens. Pas assez de souffrance.


— Ne t’inquiète pas. Tu ne mérites pas un coup de couteau. Si je devais te faire mal, j’utiliserais ça.


Il désigna d’un signe de tête le Kanone accroché à sa ceinture et le gamin pâlit. Une auréole brune tâcha le tissu entre ses cuisses sans que Svilen ne parvienne à savoir s’il s’agissait d’eau ou d’urine. Il posa un pied entre les jambes du gamin, assez courageux pour traîner dans la forêt mais trop faible pour soutenir son regard, et s’accouda contre son genou. Le garçon sentait le feu de camp et l’alcool bon marché, l’herbe et l’eau de cologne. Il devait appartenir à ces couples de l’Arche, qui vivaient bien et confortablement, assez pour gâter leurs progénitures.


— Mais j’ai envie d’utiliser ça, plutôt. Tu permets ?


Il pointa un index en direction de la Javelin dans la main de l’adolescent. Un arc en métal pourvu d’une gâchette et d’une molette sur deux crans. Un gadget permettant d’alterner à moindre mesure les rayons des Haste et des Rein-In, utilisé principalement dans les domaines de l’agriculture et du jardinage.


— Tu as lu la notice de ce truc ? Il est écrit qu’il est strictement interdit de s’en servir sur un être vivant, autre qu’une plante, je veux dire.


Ses yeux en amandes se promenèrent sur la nature environnante, les fougères entassées et les hautes branches secouées par la pluie, luttant pour protéger les visiteurs inconvenants de l’orage à venir. Il n’y avait pas l’air d’avoir de tente sur la rive. Le groupe prévoyait probablement de repartir avant la nuit.


— Est-ce que le renard est une plante ?


Sa voix basse ne parut pas atteindre le cerveau de l’adolescent alors il soupira puis répéta, grondant comme le ciel au-dessus d’eux sa question. Cette fois, son vis-à-vis secoua vivement la tête.


— Bien. T’es donc moins con que t’en as l’air. Donne-moi ça.


La Javelin était légère lorsqu’elle atterrit dans sa paume. Définitivement un gadget, pensa-t-il. Il avait manipulé un tas de Jav, des plus répandues sur le marché aux plus rares et proscrites. Ce modèle n’était pas censé être dangereux, pour peu qu’on s’en tienne à la notice initiale. Mais tout ce qui sortait des labos de la Sagaie l'était potentiellement. L’arc métallique était ponctué de petits trous, rappelant l’extrémité d’un arrosoir, que Svilen poussa contre l’entrejambe souillé de l’adolescent. Il esquissa un faible sourire en le sentant se tendre instantanément et tenter de bégayer quelque chose d’inintelligible.

— Tu veux que je la fasse grandir ? Ou rajeunir ?

Ses pupilles onyx s’étrécirent et son index glissa jusqu’à la gâchette dans une caresse sensuelle. Un doux fourmillement se répandit le long de son aine jusqu’à ses reins à la vision du gamin plus blafard que jamais, tremblant et sanglotant.


— Il n’y a pas d’os là-dedans. Tu ne les sentiras pas se tendre, s’étirer et se disloquer ou se briser, souffla-t-il en pressant un peu plus la Jav contre le paquet du gamin. Ils ne perceront pas ta chair. Ne déchireront pas tes muscles. Ou peut-être que si. Si je vise mal. Mais ce n’est pas grave, pas vrai ? C’était marrant, de voir le renard se tordre de douleur, non ? Ok. Peut-être que tu n’aimes pas les renards. Ce n’est pas grave, tu sais. Moi, je n’aime pas les gens.


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3 commentaires

Emma Hermosa

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Il y a 4 ans

Effectivement tu n’as pas vrmt le mood feel good en ce moment 😉😬
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