Fyctia
Justice
— Putain de merde.
— Ouais, ça m’a fait cet effet-là aussi.
Reka était pourtant habitué aux cadavres. Vedran savait qu’il n’en n’était pas à son premier, encore moins son dernier. Il savait aussi que Reka détestait recevoir un sac mortuaire de petite taille. Et il détestait avoir à lui demander de les ouvrir.
— Kalista Vagen. Cinq ans. Son père a obtenu une Haste via l’ami d’un collègue. Sur le point d’être licencié, sa femme a menacé de le quitter. Vagen dit que c’était pour l’aider. Aider sa femme à s’occuper de leur fille. Aider leur couple. Faire en sorte que les choses aillent mieux. Ce genre de foutaises. La petite mouillait le lit quasiment tous les soirs. La mère était à bout. Elle dit qu’elle aurait voulu qu’elle soit plus grande. Juste un peu. Que les choses auraient été plus faciles avec un enfant moins jeune.
— Les Haste accélèrent la croissance, pas la maturité, marmonna Reka en dézippant la housse protectrice. Svil a rué dans les brancards, non ?
Baissant les yeux sur les lambeaux de chair, Vedran grimaça. Son estomac gargouilla, menaçant de souiller les restes de la gamine. A la lueur des néons que Reka orienta en direction de la table, Kalista Vagen n’avait plus rien de la fillette souriante des photographies réquisitionnées au domicile de ses parents. Il avait trouvé à son arrivée un tas de chair rouge et noir fumant parsemé de cloques. Elles avaient éclaté durant le trajet jusqu’à la Division. L'odeur nauséabonde lui sauta au visage et le prit à la gorge. Les parents n'avaient pas souhaité approcher du sac contenant ce qu'il restait de leur gamine avant qu'ils ne l'embarquent et pour une fois, Vedran n'arrivait pas à leur en tenir rigueur. Ou pas suffisamment. La femme qui pleurait sur son perron n'avait pas l'air dévastée par la mort de son enfant. Elle craignait la suite des événements. Les jugements des uns et les représailles des autres. Cette histoire ferait du bruit dans les rues, et les associations militant contre la Sagaie ne tarderaient pas à venir frapper à sa porte. Ils seraient nombreux à camper sur sa pelouse, à brandir des pancartes peu élogieuses. A réclamer justice.
Du sang et du pue coulèrent hors du sac lorsque Reka l’ouvrit. Vedran s’écarta alors que les fluides chutèrent au sol dans un clapotis sinistre et serra les dents. Lui aussi, souhaitait que justice soit faite. Que la Sagaie et le gouvernement corrompu qui la finançait soit condamnés. Que les Javelin soient détruites, et interdites. Que le couple Vagen soit puni pour avoir voulu arracher à leur fille son enfance. Kalina avait eu cet âge aussi, mais il n’avait pas souvenir que son frère et sa belle-sœur aient un jour souhaité que leur fille unique grandisse plus vite. Au contraire, ils chérissaient chaque instant, l'encourageaient à grandir à son rythme et profiter pleinement de son innocence.
— Je l’ai envoyé à la Sagaie. Quitte à défoncer quelqu’un, autant que ce soit Kalsta. Ou ces connards d’ingénieurs. Senko n’est pas fait pour être flic. Mais c’est un putain d’outil efficace quand il s’agit d’obtenir des réponses.
Reka se garda de commenter que lui non plus n’était pas fait pour travailler pour des flics. Ou tout ce qui s’en rapprochait. Svilen et lui avaient grandi dans les basfonds de l’Arche, desquels Vedran Slava les avait tirés au détour d’une descente cauchemardesque. Ils devraient se rendre utiles pour la Division, les avait-ils prévenus. Reka se souvenait être incapable d’écrire son nom à l’époque, mais Vedran avait été impressionné par son sang-froid et la précision de ses gestes lorsqu’il avait soigné Svilen. Et il avait été impressionné par Svilen.
— Les gens pourraient mentir, déclara Reka, le latex de ses gants claquant contre sa peau alors qu’il les enfilait. N’importe qui de menaçant peut faire dire n’importe quoi à un individu terrorisé. Vous me l’avez fait à moi.
— T’étais un gosse. Un gosse qui pissait encore au lit.
Vedran recula encore d’un pas. Des sons mouillés résonnèrent dans la salle d’autopsie lorsque Reka plongea ses mains dans les entrailles éclatées de Kalista Vagen. Les gamins Senko, dénutris et sales qu’il avait rencontrés des années plus tôt étaient devenus des hommes stoïques devant l’horreur. Peut-être l’étaient-ils déjà durant l’enfance. Vedran ne se souvenait pas avoir déjà vu l’un d'eux rire aux éclats ou éclater en sanglots comme Kalina l’avait fait depuis sa naissance.
Les yeux en amande de Reka s’étrécirent, ses orbes dérobés aux ténèbres rivés sur les instruments métalliques qui fouillaient la chair de sa petite patiente déformée.
— Comme quoi, même quand la Haste fonctionne correctement, on mouille encore son lit. Voulez que j’aille témoigner au procès des parents ? Lâcha-t-il d’une voix traînante.
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Jessica Lament
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Il y a 4 ans