lagloiredesmots Ceux qui ne m'ont pas laissé grandir Disparition

Disparition

— Je vous répète que vous n’avez pas le droit !

Failenn Malachi haussa le ton mais rien n’y fit. Les portes vitrées s’ouvrirent et se refermèrent les unes après les autres, les bottes de Senko claquant lourdement à chaque pas marquant l’avancée vers son seul et unique objectif : le bureau du directeur des ventes. Trottant derrière lui, Kalina tentait d’apaiser la scientifique révoltée par l’attitude de son collègue.


Lorsque le dernier rempart tomba et qu’il pénétra dans le bureau, Svilen s’étonna de ne pas trouver l’objet de ses recherches à sa place traditionnelle, le cul posé dans son fauteuil en cuir lumineux. Les bribes d’une conversation basse se dissipèrent quelque part sur sa droite, et les talons précipités dans son dos annoncèrent l’arrivée imminente des deux femmes. Aussitôt entrée, Malachi se confondit en excuses. Depuis l’un des deux canapés faisant office de petit salon, Kalsta soupira.


— Eh bien, cela faisait un moment, Agent Senko. Pas assez à mon goût mais qu’importe, vous arrivez à point nommé.


Un costume gris anthracite parfaitement cintré donnait à Vico Kalsta l’allure d’un homme important à qui tout réussissait. Comme à chacune de leurs rencontres, leurs regards se croisèrent, abysses obscures contre ciel azuré.


— C’est rare, les gens qui trouvent que je tombe à pic.


Svilen remarqua la silhouette enfoncée dans un fauteuil bien trop large pour sa petite carrure, et Kalsta esquissa un sourire.


— Mariam, je vous présente l’Agent Svilen Senko, membre éminent de la brigade des Javhunt. Et le plus à même ici de vous aider.


A la base, la femme qui se retourna vers lui devait être jeune. Ses traits avaient probablement vieilli sans qu’elle ne s’en rende compte. L’inquiétude lui avait rongé les sangs sans qu’aucune Javelin n’ait à intervenir. Une gamine que la vie n’avait pas épargnée ? Plutôt une jeune femme qui n’avait pas réfléchi et qui regrettait, une fille à peine sortie de l’adolescence qui voulait s’amuser et qui prenait à présent conscience de la portée de ses actes.


Pas la première que Svilen rencontrait, mais la seule qui avait eu le cran de gravir les quatorze étages de la Sagaie et quémander une entrevue avec un responsable. Rien que pour cela, Svilen décida qu’elle méritait qu’il écoute son histoire.


— C’était juste pour rire. Pour lui faire peur, vous comprenez ? Parce qu’il voulait toujours m’accompagner partout. Il faisait des caprices quand je sortais et que je refusais qu’il vienne. Je n’ai jamais connu mon père et le sien s’est tiré quand il est venu au monde. Notre mère nous a quitté l’année dernière. J’étais fatiguée de jouer à la maman. Alors mon ami a dit qu’il allait l’emmener dans la forêt, pour le faire grandir. Il a dit que c’était possible, qu’il savait comment faire. Que ça se faisait. Qu’il y avait déjà eu des cas d’enfants qui devenaient adultes, en seulement quelques heures, mais que ça coûtait beaucoup d’argent. Il m’a dit de ne pas m’inquiéter, qu’il connaissait quelqu’un et que ça irait. Je voulais un peu de temps pour moi, alors j’ai dit à Gaby d’aller se promener avec Hank. C’était hier, aux alentours de midi. Je lui ai préparé un pique-nique. Mais ils ne sont pas rentrés le soir. Et ce matin, j’ai entendu qu’une petite fille était morte, tuée par une Javelin. Ils ont dit qu’elle aurait dû grandir mais que quelque chose avait mal fonctionné. Alors j’ai eu peur.

— Vous auriez dû avoir peur avant.


Cassante et glacée, la voix de Senko figea Mariam et Kalina vit sa frêle silhouette trembler et ses yeux clairs s’humidifier. Elle avança d’un pas, posa une main qu’elle espérait chaude et réconfortante sur son épaule maigre.


— Nous le retrouverons, assura la rouquine. Savez-vous où exactement votre ami a-t-il emmené votre petit frère ? Avez-vous essayé de le joindre ? A-t-il quelque chose sur lui que nous pourrions tracer ?


Sur sa nuque, Svilen sentit peser le regard de Malachi. Du plomb glissé dans le col de sa veste, assez froid pour procurer une sensation de brûlure et le démanger. Il ne se retourna pas pour le lui rendre. C’était une bonne chose, que les rumeurs sur les Haste commencent à se répandre comme une traînée de poudre. Bientôt, la Sagaie étoufferait l’affaire, encore. Mais pour l’instant, une partie de la population doutait. L’affaire Vagen était encore toute fraîche, et suffisait à nourrir la curiosité des uns et les soupçons des autres.


Mariam avait douté suffisamment pour venir ici, chercher de l’aide et des réponses. Il ne la félicitera pas pour autant. Elle avait été assez stupide pour autoriser un individu à emmener son petit frère loin d’elle et lui permettre d’en faire quelqu’un d’autre. De lui arracher son enfance. De modifier le cours naturel des choses. De réaliser l’inacceptable.


Son oreillette connectée bipa, réduisant au silence les salutations peu courtoises qu’il réservait habituellement à Kalsta et il s’éloigna, laissant Kalina épancher les pleurs coupables de Mariam et recueillir autant d’informations que possible sur ce nouveau nid à emmerdes. Trouver le gosse prendrait le dessus sur l’interrogatoire de Kalsta, que ça lui plaise ou non. Sa binôme n’en démordrait pas. Elle irait seule, s’il refusait de l’accompagner. Et Vedran le tuerait. Depuis toujours, Senko préférait tuer qu’être tué.


— Senko, lâcha-t-il en prenant l’appel, une fois suffisamment éloigné des oreilles indiscrètes.

— C’est moi.


La voix rauque et suave de Reka déversait des coulées de miel sur son âme, adoucissait sans cesse son ressenti et apaisait ses maux. Une bénédiction pour son humeur, devenue grave trop vite, et à laquelle il avait dû s’y habituer rapidement, pour être capable la reconnaître entre mille.


— Qu’est-ce que tu veux ? Grogna-t-il.

— Le vieux est passé. J’ai les mains dans la gamine. Je voulais savoir comment tu allais.

— Comment je vais à ton avis ?

Svilen soupira, sortit dans le couloir et s’adossa à un mur, aussi gris et froid que l’Arche toute entière.


— Et toi ?


A travers les grésillements de l’oreillette, Svilen entendit les instruments s’entrechoquer et fouiller les parties spongieuses d’un corps qui n’avait plus rien d’humain. Il détestait que Reka ait à faire ça. Il détestait que Reka ait à voir ça. Voir ce qu’il aurait pu devenir. Ce qu’ils auraient pu être.


— Trouve-le. Trouve ce fils de pute, et ne le laisse pas s’en tirer, souffla Reka dans le kit main libre qu’il devait porter durant l’autopsie. Il faut qu’il souffre, Svil. Qu’il saigne, comme elle a saigné. Qu’il hurle, comme elle a hurlé. Qu’il brûle et suffoque. Qu’il sente ses os craquer et ses muscles se déchirer. Il faut qu’il ait mal, mal à en crever. Qu’il implore de l’aide, mais que tous restent là à le regarder. Le système judiciaire n’apprend rien à ces gens-là. Ils sortent de taule et recommencent aussitôt. Ils ne se rendent compte de rien. La mort subite est douce et facile. Ils doivent recevoir le même traitement que leurs victimes. Ou ils ne comprendront jamais.


Tu as aimé ce chapitre ?

1 commentaire

Sand Canavaggia

-

Il y a 4 ans

Sombre, affaire qui sème la colère et une forme de vengeance vers ceux qui infligent ces morts dans la souffrance, il n'y a pour l'instant pour moi aucun indices ou tu les dissémines tellement bien que l'histoire ne cesse de m'enfoncer dans leur questionnement sans m'apporter de pistes, l'intrigue me captive, mais à ce stade j'aimerais coller les indices, je vais attendre tes prochains chapitres quitte à reprendre ma lecture du début pour m'assurer de mes premières pensées...Je ne peux pas trop dire encore parce que je suis un peu trop immergée dans l'instant de ce que je lis...Merci de ces deux nouveaux partages, bonne suite à toi😉
Vous êtes hors connexion. Certaines actions sont désactivées.

Cookies

Nous utilisons des cookies d’origine et des cookies tiers. Ces cookies sont destinés à vous offrir une navigation optimisée sur ce site web et de nous donner un aperçu de son utilisation, en vue de l’amélioration des services que nous offrons. En poursuivant votre navigation, nous considérons que vous acceptez l’usage des cookies.