Fyctia
Panne
— Qui vient-on voir ? demanda Kalina.
— Vico Kalsta, le directeur des ventes.
— Tu crois qu’il aura des informations ?
— Il a plutôt intérêt. Sa marchandise, sa merde.
Une merde savamment dissimulée sous un amas de cristal. Chaque fois qu’il mettait les pieds dans l’un des ascenseurs de la Sagaie, Svilen avait l’impression d’être une de ces miniatures qu’on exposait dans les galeries marchandes, celles qui faisaient rêver les enfants qui n’avaient pas totalement perdu leurs âmes. A l’approche des fêtes de fin d’année, les visiteurs faisaient office de petits personnages prisonniers de ces boules à neige que les bambins d’antan secouaient avec acharnement.
Les notes joviales qui retentissaient à chaque étage rappelaient autant de chants de fête que de mélodies destinées à rameuter les gosses fauchés près des boutiques de friandises. Entêtantes et régulières, elles agaçaient. Du moins, elles agaçaient Svilen. Presque autant que les tremblements de la cabine qui survinrent quelques secondes après que le cadran numérique lumineux ait affiché le quatorzième étage.
— Qu’est-ce qui se passe ? S’affola Kalina.
Svilen serra les dents et s’agrippa à la rambarde métallique.
— Les joies de la technologie.
Au-dessus d’eux la ligne de néons vacilla. Derrière la vitre, l’Arche parut chahutée de secousses. Une impression, se dit-il, comme un effet d’optique. Juste une impression. Quand la voix robotique résonna à nouveau, hachée et mal en point, Svilen sut que l’Arche ne s’écroulerait pas.
La ville allait bien, l’ascenseur un peu moins. Les hauts parleurs sophistiqués annonçaient un incident technique et s’en excusaient, incitant au calme et au suivi scrupuleux d’instructions que Svilen n’écouta pas. Un incident, encore. La Sagaie était passée maître dans l’art de multiplier les incidents.
— Recule.
Si Kalina avait été formée au maniement des Kanone, elle n'en mena pas large lorsque Svilen dégaina le sien, pointant le canon brillant en direction des portes closes. Elle en avait déjà vu, savait ces armes dangereuses et délicates, en connaissait les risques autant que les atouts. Surtout, elle rêvait d’avoir un jour le droit d’en posséder une. Plus que l’insigne et la veste, être autorisé à utiliser un Kanone signifiait être membre à part entière de la brigade des Javhunt. Une élite née pour chasser les utilisateurs déviants de Javelin. Une unité impartiale et intransigeante, chargée de s’assurer que ces instruments dédiés à la transformation temporelle ne tombent pas entre de mauvaises mains, et soient utilisés correctement, dans le respect d'une charte soigneusement élaborée au cours de la dernière décennie.
— Tu ne vas pas utiliser ça ici –
Les Kanone avaient leur propre chant. Un sifflement long et continu, aigu, presque douloureux lorsqu’ils puisaient l’énergie nécessaire à la décharge programmée par l’utilisateur. Kalina avait appris qu’il y avait plusieurs niveaux, et que le rayonnement variait en fonction de l’accréditation du porteur. Plus élaboré qu’une arme de poing standard, le Kanone de Senko arborait un halo lumineux vert d’eau, là où le rayon de radiations serait propulsé une fois le chargement terminé. Des frissons naquirent le long de la nuque de Kalina, jusqu’à sa colonne vertébrale. Un cliquetis sonore se fit entendre une fraction de seconde avant que Senko ne presse la détente. Chargement terminé. Elle se recroquevilla au fond de la cabine, contre la vitre et se boucha les oreilles sans parvenir à étouffer le bruit de la détonation. Si, il avait utilisé ça, ici.
Svilen avisa le cylindre connexe à la crosse de son arme. Une barre clignotait, deux autres restaient statiques. Il avait peut-être un peu exagéré, mais après tout, la Sagaie n’avait qu’à investir dans des ascenseurs qui tenaient la route. Jetant vaguement un regard par-dessus son épaule, il avisa la jeune femme. Un trou béant faisait désormais office d'ouverture mais les vitres de la cabine avaient tenu bon. Avec un peu de chance et force de persuasion, la Sagaie n'exigerait de la Division aucun frais. Svilen savait qu'il avait largement de quoi dissuader l'empire technologique de porter plainte.
— Tu as démoli l’ascenseur. Et la moitié du couloir, constata Kalina en s’extirpant des débris. Ça n’a pas l’air d’affoler grand monde.
En effet, les couloirs étaient déserts. Pourtant, en tendant l’oreille, Svilen crut entendre des voix. Pas que des voix, songea-t-il alors que son ouïe malmenée par l’explosion retrouvait de sa superbe. Une mélodie qu’il n’avait pas l’habitude d’entendre dans les locaux retentissait quelque part dans le lointain.
— Tu entends ?
— Rectification, tu as démoli l’ascenseur et attenté à la vie de mes tympans.
— J’ai juste ouvert la porte. On dirait une alarme.
— En quoi c’est étonnant ? Tu as fait sauter une porte avec une décharge électromagnétique. Ça prouve que leur système de sécurité est opérationnel. Ils doivent sans doute évacuer les visiteurs et le personnel.
6 commentaires
cedemro
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Il y a 4 ans
lagloiredesmots
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Il y a 4 ans
cedemro
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Il y a 4 ans