Fyctia
Chapitre 17 - ERINE (2/2)
Six… sept… huit…
J’ai largement dépassé les cinq grandes inspirations.
— Hé, tout va bien Dr Peters ?
Les prunelles de mon titulaire me scrutent, mais, à cause du masque, je ne parviens pas à deviner la teneur de cette question.
Le connaissant, ce n’est pas une inquiétude à mon encontre. C’est un piège pour me faire quitter le bloc et retourner à mes contentions.
— Oui parfaitement bien, Dr Walter, dis-je en relevant le menton. Et vous ?
Il plisse les yeux devant ma provocation.
— Parfait, donc si tout le monde va bien, on peut peut-être retirer cette embolie avant que la patiente ne décède ? râle le Dr Parker en nous fusillant du regard. Vous devez retirer le gros caillot au niveau de l’artère fémorale et probablement rechercher un migrant au niveau pulmonaire. Ce serait judicieux de ne pas perdre plus de temps, Dr Walter.
— Le Dr Peters se charge du caillot de l’artère fémorale, déclare mon titulaire, agacé. Je m’occupe de la recherche du caillot pulmonaire.
Mon cœur s’emballe. Pourtant, je ne peux pas reculer. Surtout quand je vois comment il m’observe.
Il n’attend que mon refus.
Je saisis le cathéter et constate sa légère déception.
Va te faire foutre Walter.
Et je commence l’incision.
Je peux le faire.
— Je passe le cathéter dans l’artère fémorale. Image s’il vous plaît.
L’infirmière de bloc tourne l’écran vers moi. J’enfonce mon outil le long de l’artère et repère le caillot. La masse noire se démarque dans le conduit à travers l’écran.
— Je procède à l’extraction du caillot.
Ma voix ne tremble pas. Mes mains non plus. Je suis concentrée, dans cet état second de sang-froid que nous avons appris à construire depuis notre première année de médecine.
Ce n’est pas du sang. C’est de l’eau. Je suis dans un conduit. C’est comme la plomberie.
L’image passe plus sereinement dans mon cerveau. L’odeur du sang reste entêtante autour de mes narines. Mais je reste figée sur l’écran et retire le caillot.
— Doucement… doucement…
Je ralentis le rythme pour ne pas risquer de briser plus ce caillot. J’entends le Dr Walter annoncer qu’il a trouvé le débris pulmonaire. Sa voix est lointaine, toutefois. Je suis ancrée dans mon corps et concentrée sur ma propre manœuvre.
Plus rien n’a d’importance.
La masse rougeâtre pend au bout du cathéter quand je le retire.
— Aiguille et fil de soie s’il vous plaît. Aspiration.
La courbure de l’acier mord le tissu fin de l’artère tandis que je suture. C’est la partie la plus difficile. En tête à tête avec la chair à nue, je sens la nausée revenir en force.
Je récite mes cours tandis que je recouds l’incision. Le texte de mes manuels et les schémas passent devant mes yeux. Je relie ma patiente à un mannequin d’entraînement à Austin.
Juste de la plomberie.
Je fais un nœud et coupe le fil avant de tâter mes points. Ça m’a l’air bon.
— Je ne vois aucune fuite. Je vais rétablir la circulation principale.
— Non attendez !
Le Dr Walter stoppe mon geste en me barrant l’accès aux clamps. Je suis si surprise que je reste sans voix. Ses gants ensanglantés laissent des empreintes vermeilles sur la zone épargnée de ma main.
— Je suis votre titulaire, se reprend-il. Je dois vérifier vos points.
— Vous pensez que je peux me débrouiller seule sur toute l’intervention, mais ne pas réussir mes sutures, Dr Walter ?
Ma voix part dans les aigus. Est-il sérieux ? Je vois que le Dr Parker a l’air de mon avis sans pour autant se prononcer. Le Dr Walter penche la tête, les sourcils levés.
— Je ne pensais pas devoir me justifier quant à ma manière de vous apprendre le métier, Dr Peters. Maintenant, poussez-vous.
Je m’exécute devant le peu de temps qu’il nous reste avant de perdre la patiente. Il touche mes sutures, teste leur solidité et enlève lui-même la bifurcation. Je retiens mon souffle. Mais aucune fuite n’apparaît. Une rage froide semble le traverser, mais je ne suis pas sûre. Le masque cache sa bouche et ses yeux sont tournés vers la cuisse de la patiente.
À cet instant, la ligne de vie nous lâche à nouveau. Mon titulaire blêmit d’un coup et s’immobilise. Ses yeux sont perdus dans la contemplation de mes points, ses mains figées dans la chair de la patiente.
— Dr Walter, intervint le Dr Parker, je dois relancer le cœur de la patiente. Maintenant.
Putain, nous faite pas ça Mme…
Je ne connais même pas son nom. Je n’ai pas eu le temps de le lire.
Le second titulaire est pressant et autoritaire. Son attitude envers son collègue me surprend. Le Dr Walter acquiesce en se détachant enfin de mes points. Spencer se rue alors au défibrillateur.
Le nom sur le dossier me saute aux yeux. « Elizabeth Archer »
— Chargé à 30, annonce le Dr Parker. On dégage.
Un nouvel assaut électrique décharge dans le corps d’Elizabeth. Le cœur ne repart pas. Le Dr Walter commence à s’assombrir. Le pronostic n’est pas bon.
— Aller Elizabeth, marmonné-je. Battez-vous. Battez-vous, bon sang !
Trois autres décharges sont lancées. Le temps est interrompu, comme les lignes de vie d’Elizabeth. Le son grave et monotone du monitoring persiste.
La température baisse d’un coup. À moins que ce soit moi qui aie froid. Une odeur familière commence à emplir l’air.
Ce n’est pas vraiment une senteur, au sens propre du terme. C’est un mélange. Un alliage de plusieurs sensations parfaitement désagréables qui prennent le nez et la bouche.
L’adrénaline. Le sel de la sueur. Le silence. La respiration des chirurgiens. La pointe de glace qui s’enfonce dans mes entrailles. Le glas continuel des constantes.
Et l’inévitable annonce que nous appréhendons tous.
— Heure du décès, 13h42, prononce le Dr Parker.
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Elvira_Lyre
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