AJ Broochmitt Ces maux que nous taisons Chapitre 14 - SOREN (1/2)

Chapitre 14 - SOREN (1/2)

[Going Nowhere - Cinders]

Mon biper émet le son strident d’une urgence. Il est 3h32 du matin, j’émerge de la salle de repos d’un coup, l’adrénaline fusant dans mes veines. Mon ventre menace de rendre mon déjeuner quand je me dirige vers la chambre en question.

Deux infirmières et une interne s’agitent autour de Mme Wilson. Le ciel me tombe sur la tête quand je vois son mari trembler à côté, les yeux embués de larmes.

Honey, ne me fais pas ça d’accord ? Honey chérie…

— Faites sortir M. Wilson, ordonné-je d’une voix sèche.

Le vieil homme me voit et me saisit le bras. Une myriade de frissons glacés parcourt ma peau à son contact. La détresse que je lis dans son regard est poignante et manque de me faire perdre mes moyens.

— Sauvez la docteur ! Je vous en prie, faites tout pour la sauver ! Je vous en prie…

Une des infirmières l’entraîne dans le couloir et il se laisse porter en geignant. Ses sanglots hantent encore mon crâne et je perds quelques précieuses secondes à me ressaisir.

Ça ne me ressemble pas. Je dois réagir.

— Constantes ?

— Elles sont en chute libre, panique l’interne.

Je jette un coup d’œil au monitoring et hésite à relever le bandage de son cou. Et si…

D’un geste vif, avant de pouvoir plus y réfléchir, je retire la compresse de gaze. La peau est couverte d’un hématome violâtre.

Putain.

— Elle fait une hémorragie interne, qu’on me prépare un bloc en urgence !


Ma garde commence à 9h aujourd’hui. Après mon footing matinal habituel, je me rends aux douches et reste quelques minutes sous l’eau chaude. Entre l’air frais des montagnes et la chaleur de la douche, je réussis à chasser les vestiges de mes cauchemars.

Pour la journée, tout du moins.

J’entre dans la salle des titulaires et me prépare mentalement pour mon travail. Dossiers à signer, patients à recevoir, post-op à contrôler, rester dispo pour les urgences. Le planning est déjà fixé dans ma tête.

Oscar me tend un café.

— Je ne sais pas comment tu fais pour tenir un tel rythme en allant courir tous les matins, me confie-t-il.

— Contrairement à la traumato, la cardio exige une certaine excellence, Dr Parker.

Il me rend mon sourire taquin.

— Accompagne-moi donc au bloc un de ces quatre, on verra si tu tiens toujours le même discours.

Je m’installe sur un fauteuil et pousse un long soupir en m’étirant. En vérité, je suis particulièrement épuisé aujourd’hui. Je rêve de mon lit. De mon lit bien douillet et au calme…

Le souvenir de mes nuits me revient en pleine face et efface toute envie de me retrouver dans ma chambre. J’avale mon café en silence, amer.

— Alors, ta première interne ?

Je me surprends à sourire à l’évocation d’Erine Peters. Ses petits yeux vifs et insolents apparaissent dans mon esprit. Et sa bouche pleine aux lèvres si douces.

— Intéressant, réponds-je. Elle n’a pas la langue dans sa poche, ça se voit. Mais pour l’instant, elle se contient.

Mon ami me rejoint et incline la tête. Il s’amuse de la situation.

— Oh je vois…

— Tu n’es qu’un obsédé, Oscar.

— Ose me dire que tu n’y penses pas.

De trois ans mon aîné, le Dr Parker a d’abord été un soutient infaillible à mon arrivée à Twin Lakes, il y a cinq ans, avant de devenir un ami proche et fidèle. Nous avons rapidement créé un lien solide que je n’échangerais pour rien au monde. Avoir contribué à ouvrir cet hôpital a sans doute aidé dans l’élaboration de cette amitié particulière.

— Dr Parker, Dr Walter, nous salue le Dr Hoang en entrant.

Nous lui levons nos gobelets en réponse. Le Dr Hoang est une femme dans la quarantaine, mais qui semble en avoir encore vingt. Sa jeunesse éternelle est uniquement trahie par la maturité de son regard qui a vu bien plus qu’une jeune femme n’aurait dû voir dans sa vie.

L’expérience de la mort, de l’urgence et le sang-froid nous fait vieillir plus vite que les gens de notre âge.

Les heures supplémentaires aussi.

— Dr Walter, un cas intéressant pour vous.

Le Dr Hoang se comporte avec nous plus comme une mère que comme notre supérieure. Mère de deux enfants, mariée depuis presque vingt ans, Oscar et moi sommes ces jeunes chirurgiens prodiges, mais « un peu trop dans la fougue de la jeunesse », comme elle aime à dire.

Elle me tend une chemise jaune dans laquelle reposent plusieurs comptes-rendus et l’anamnèse* du patient.

« Homme, 35 ans, douleurs respiratoires, fatigue et œdème des membres inférieurs. Une insuffisance cardiaque bilatérale est traitée depuis 2020 par bisoprolol, mais sans effets notables. Intervention initialement prévue pour pose d’un défibrillateur cardiaque, mais rejetée par le patient. »

— Qui est son cardiologue ? demandé-je, le nez toujours planté dans le dossier.

— Le Dr Mink. Il a déjà transmis tous les examens à la demande du patient. Il tient à vous informer qu'il a accompli toutes les démarches et qu'il ne conçoit pas comment un jeune chirurgien pourrait réussir là où son expérience n'a pas suffi, même si vous êtes, je cite : « le petit protégé de Moore. »

— Toujours adorable la manière dont se traitent les médecins, n’est-ce pas ? commente ironiquement Oscar.

Le Dr Hoang lève les yeux au plafond.

— Ne m’en parlez même pas. Si vous saviez le genre de remarques que j’ai dû essuyer en tant que chirurgienne quand j’étais plus jeune.

— Oh, mais vous êtes toujours jeune, Dr Hoang, dis-je avec un sourire malicieux.

— La jeunesse éternelle, assure Oscar.

Notre aînée nous accorde un regard amusé, mais ferme.

— Vos flatteries ne vous sortiront pas de vos obligations, messieurs. Vous avez des consultations à effectuer, et je veux qu’elles soient faites pour demain. Aller, au boulot ! Vos internes vous attendent.

Oscar se lève en maugréant et file vers les vestiaires des internes. Je consulte une dernière fois en diagonale les comptes-rendus de mon nouveau patient et finit par rejoindre les vestiaires à mon tour.

Erine a de gros cernes sous les yeux et un air si maussade qu’il pourrait gâcher le soleil de ce début de journée en un clin d’œil. Ce que je vais lui annoncer ne va sans doute pas lui plaire non plus…


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* Anamnèse : Interrogatoire de début de consultation pour connaître les antécédents du patient, ses traitements actuels et l’historique de sa plainte.


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9 commentaires

Emma Eichen

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Il y a un an

😘

KBrusop

-

Il y a un an

❤️❤️

Jensen Mila

-

Il y a un an

<3
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