AJ Broochmitt Ces maux que nous taisons Chapitre 5 - ERINE

Chapitre 5 - ERINE

[Are you okay ? – Bel]


J’enfile ma blouse bleue d’interne et claque mon casier, les mains encore tremblantes. Il fallait vraiment que je tombe sur un psychopathe dès le premier jour…

Je prends quelques instants pour respirer profondément. Je dois me calmer. Ce n’est pas un pauvre type comme lui qui m’atteindra.

Je ne le croiserais plus jamais. Cet incident est clos.

Passons à autre chose.

La porte des vestiaires s’ouvre sur une jeune femme au carré brun soulignant sa mâchoire et aux yeux rudes et sévères. Ses lèvres sont peintes d’un rouge flamboyant qui rehausse son teint rose.

Elle marque un temps d’arrêt en me voyant.

Détaille ma tenue d’interne.

Fronce les sourcils.

— Vous êtes la nouvelle ?

Légèrement impoli, mais je ne suis plus à ça près.

— Erine Peters. Interne en 2e année.

— On nous a parlé de toi hier soir au briefing.

Elle ouvre son casier et y fourre son sac avant d’enfiler sa propre blouse.

— Je te préviens, il y a des paris sur toi.

C’est assez courant dans les hôpitaux. C’est pire que chez le coiffeur concernant les rumeurs et les ragots.

— Laisse-moi deviner, dis-je. J’ai soudoyé le doyen pour intégrer la 2e année alors que j’aurais dû la redoubler ?

L’interne hausse les épaules, évasive.

— Il y a aussi la rumeur sur le fait que tu es recherchée dans ta région et que tu es en cavale.

— Ça ne tient pas du tout la route.

— Pas plus qu’une arrivée dans un nouvel hôpital en 2e année d’internat de chirurgie.

Une jeune femme à la longue tignasse blonde et un jeune homme aux épaules carrées et musclées entrent et cillent en me découvrant. Je me présente brièvement.

— Ah oui, dit la blonde. C’est…

— La nouvelle interne, effectivement Eugénie. Quelle perspicacité !

La fameuse Eugénie me tend la main, un sourire éclatant aux lèvres.

— Eugénie Martin, se présente-t-elle.

Je devine un léger accent français dans sa voix.

— Erine Peters.

— Elle, c’est Spencer Brown. Et lui, Alfie Miller. Ne fais pas attention à l’aigritude de Spencer. C’est dans son ADN. Mais elle n’est pas méchante. Tu verras, les autres internes sont plus sympas. Enfin pour la plupart.

— Je suis là, gronde l’interne brune.

— Aigritude ? m’étonné-je.

— Attitude aigrie, précise Alfie. C’est un mot qui lui sied particulièrement. N’est-ce pas Spencer ?

— Oh la ferme.

Eugénie désigne mon sachet.

— Tu comptes le manger ?

Devant mon estomac encore contrarié par ma mauvaise rencontre, je lui tends le muffin sans regret. Elle l’enfourne avec appétit et soupire de plaisir.

— Les muffins, c’est la vie.

— Mais où est-ce que tu mets tout ça ? s’interroge Alfie.

— Je suis stressée. Je brûle beaucoup de calories. Et connaissant le Dr Parker, je pourrais à peine déjeuner ce midi.

— Essaie une journée avec le Dr Hoang, tu ne tiendras pas une heure, se moque Spencer.

— Vous avez choisi quelle spécialité ? demandé-je.

— La neurochirurgie, précise Spencer. La seule et unique chirurgie élitiste dans le monde médical. Sauf peut-être si l’on compte la cardio.

— Viens faire un tour en traumato, on va voir si tu tiens toujours le même discours, grogne Eugénie.

Spencer claque son casier et pince ses lèvres pour étaler sa nouvelle couche de rouge à lèvres.

— La traumato se rapproche plus d’un boucher préparant un steak qu’un horloger réparant avec minutie les mécanismes d’une pendule.

— Et toi ? fais-je en m’adressant à Alfie.

— La gynéco. Oui, je sais, on ne dirait pas.

Il tâte ses muscles avec un air moqueur.

— « Alfie, pourquoi tu ne vas pas en traumato ? Alfie, tu es sûr de ne pas risquer de blesser les bébés ? Tu sais Alfie, c’est fragile à cet âge. » Ma mère m’a déjà tout sorti.

Je ne peux m’empêcher de sourire devant ces peurs infondées.

— Je n’allais pas te tenir un tel discours.

— Et toi ? demande Eugénie la bouche pleine.

— La cardio.

Mon cœur palpite à ces mots. La spécialité de mes rêves. Celle la plus éloignée de ce que j’arrive à pratiquer aujourd’hui.

— Est-ce ça va ?

Pour que les trois internes me dévisagent, mon visage doit trahir un peu trop mes émotions.

— Tu es pâle tout à coup, remarque Eugénie.

— Ça, c’est parce que tu lui as piqué son muffin, fait Alfie en rangeant ses affaires.

— Si tu fais une crise d’hypoglycémie, un conseil, attend que les titulaires soient partis ou tu risques de passer la journée au classement des dossiers, lâche Spencer.

Nous traversons les couloirs et nous rendons en salle de briefing où nous attend une équipe d’une dizaine de chirurgiens en blouse bleu marine. Dans un hôpital, les couleurs sont importantes pour savoir qui appeler en cas d’urgence. Nous ne nous connaissons pas tous, et savoir héler une infirmière ou un titulaire au besoin est souvent vital.

D’autres internes nous rejoignent après et leurs yeux s’obstinent à me dévisager comme la nouvelle attraction du coin.

— Bien, j’espère que vous avez suffisamment dormi, car la journée promet d’être longue, s’exclame une petite femme aux traits asiatiques -sûrement le Dr Hoang.

Elle me détaille de la tête aux pieds, vérifiant sûrement si je porte correctement la tenue réglementaire.

— Dr Peters, vous ferez la première partie de la matinée avec le Dr Parker. Le Dr Walter a eu un contretemps, il vous rejoindra plus tard.

— Encore Mme Martinez ? chuchote Spencer à Alfie.

Ce dernier hoche la tête.

— Cette femme doit se faire interner, marmonne-t-il.

— Silence, coupe le Dr Parker.

— Le Dr Velazquez vous recevra après le déjeuner, termine le Dr Hoang. Les autres, rejoignez vos titulaires. Au boulot !

Les internes s’éclipsent, sauf Eugénie, trois internes et le Dr Parker. Le titulaire tend un dossier à ma collègue.

— Femme, 45 ans, est arrivée aux urgences avec une fracture ouverte de la cheville. Tu es sur le cas avec moi, on opère dans vingt minutes.

Eugénie laisse échapper un « yes ! » en s’emparant du dossier. Le Dr Parker en tend trois autres aux restants en discutant brièvement de la conduite à tenir.

Je commence à me sentir mal quand il pose ses yeux sur moi.

Je ne veux pas aller en traumato.

C’est trop tôt.

Je ne peux pas.

Je ne peux pas.

Je ne peux…

— Dr Peters, vous irez aux urgences pour aider les infirmières à trier les cas. Les vitaux, vous les envoyez aux titulaires. Les plus légers, vous vous en chargez.

OK. Il ne m’aime pas.

Je le vois bien à sa manière de m’observer. Il se demande probablement pourquoi une jeune interne aurait quitté son internat à Austin pour rejoindre cet endroit isolé, dans le tout nouvel hôpital du coin.

L’envie de briller à la campagne ? La fuite ? La honte d’un redoublement ?

Le Dr Velazquez ne m’a pas interrogé sur les raisons de ma venue. À en juger par le nombre d’internes, je comprends pourquoi. Les simples recommandations de mes anciens titulaires et mon CV ont suffi à me faire entrer. Enfin, je ne suis pas naïve au point d’imaginer qu’il n’a pas été tenu informé de mon hospitalisation l’année dernière…

Mais je vois que le message n’est pas allé plus loin que le bureau du directeur de l’établissement.


Tu as aimé ce chapitre ?

28

28 commentaires

ÉlodieFerrali

-

Il y a 7 mois

Belle immersion dans l'univers médical avec des situations précises. Ça me rappelle la série Urgences que j'adorais. J'ai eu du mal à saisir l'alternance entre les deux personnages dans les premiers chapitres, peut-être trouver une astuce pour le faire comprendre au lecteur, ce qui permettrait de trouver des titres accrocheurs aux chapitres. J'adore l'univers et l'histoire.

CM Wonder

-

Il y a 10 mois

Que dire de ce chapitre si ce n’est que j’ai adoré !!! L’ambiance série médicale, c’était trop bien, vraiment ! Je me croirais dans Grey’s Anatomy, la petite troupe d’internes comme lors des premières saisons, ca promet un trope “found family” de QUA-LI-TÉ ! Vraiment trop hâte de découvrir l’évolution de leur relation, leurs futurs échanges. Pour l’instant, je suis encore un peu perdue avec tous les noms et toutes les spécialités mentionnées, mais je suis sûre que ce sentiment va très vite disparaître. J’adore les chapitres avec beaucoup de dialogues donc je m’y suis très bien retrouvée, en plus ils sont naturels et à la fois originaux, enfin y a du rebondissement, on s’y croit quoi ! J’avais l’impression d’être moi aussi une interne qui fait sa rentrée dans un nouveau service ! Vraiment bravo et j’ai hâte de lire la suite 🥰

AJ Broochmitt

-

Il y a 8 mois

Merci beaucoup pour ton retour CM Wonder ! J'espère que la suite te plaira tout autant !

1847heaven Séverine Gomez

-

Il y a un an

Tes dialogues sont très bien construits on s'y croirait. Et comme je suis une fan de Grey's anatomy tu m'as conquise 😁

AJ Broochmitt

-

Il y a un an

Haha je suis grave inspirée de cette série oui !

RoxanneHLK

-

Il y a un an

Le chapitre était très bien ! Le seul point d'amélioration que je peux te suggérer c'est au niveau des prénoms. En fait y en a beaucoup dans cette scène et ça peut perdre le lecteur. On début l'histoire on a retenu un peu le nom des personnages principaux et je pense qu'il faut faire connaître les noms des secondaires petit à petit pour qu'on s'en impregene :)

AJ Broochmitt

-

Il y a un an

T'es pas la première à me faire la remarque, effectivement je vais devoir soit en enlever, soit doser l'ajout. Merci beaucoup <3

Paupipauline

-

Il y a un an

Moi j’aime bien le fait que ton histoire soit au présent, je trouve ça vraiment immersif et j’aime aussi beaucoup l’esprit un peu Greys Anatomy 😍

AJ Broochmitt

-

Il y a un an

Ah merci pour ce retour ! J'écris au présent depuis pas très longtemps, et j'avoue ça donne une autre dimension à l'histoire. Grey's Anatomy <3

Emmy Jolly

-

Il y a un an

Elle rencontre ce petit monde qui régie l'hôpital. On s'y croirait.
Vous êtes hors connexion. Certaines actions sont désactivées.

Cookies

Nous utilisons des cookies d’origine et des cookies tiers. Ces cookies sont destinés à vous offrir une navigation optimisée sur ce site web et de nous donner un aperçu de son utilisation, en vue de l’amélioration des services que nous offrons. En poursuivant votre navigation, nous considérons que vous acceptez l’usage des cookies.