Gaïane MILLER Célestine Test ADN possible ?

Test ADN possible ?

Dès mon café avalé, je compose le numéro de téléphone de Fernand Lambert. Une voix de femme répond.

— Je suis Martine, l’aide à domicile de Monsieur Lambert.

— J’aimerais le rencontrer pour lui parler d’un… évènement qui s’est passé en 1940.

Après un temps d’attente, elle m’indique que je peux venir vers seize heures.


En haut de la rue Saint Pierre, la façade en pierre de taille de l’immeuble de style Haussmannien me toise de ses six étages. Un coup d’œil sur mon portable m’indique que je suis pile à l’heure. Je presse sur le troisième bouton de l’interphone.

— Montez-vite, je vous attendais. Porte de droite au premier !

Je ne me suis même pas présentée. La voix est énergique pour un monsieur aussi âgé. En haut des marches, la porte est déjà entrouverte. Je pourrais être quelqu’un de mal intentionné. Je frappe.

— Venez vite, j’ai hâte de discuter avec vous, ordonne gaiement un petit homme dans un fauteuil. 1940, ça remonte !


Fernand est presque centenaire mais sa mémoire est intacte. Il se souvient très bien de « l’affaire », comme il l’appelle. Il se souvient aussi de la nuit qu’il a passé en cellule avant d’être interrogé. Il avait bien menti par vengeance mais ne savait rien à part ce qui avait été écrit dans les journaux.

— A mon avis, son tueur savait que la Célestine était seule ce soir-là. Il lui a suffi d’attendre que le gamin dorme.

— Donc, d’après vous ce serait un proche ou un voisin ? Le fameux voisin que Jules a aidé est hors de cause car il n’a jamais quitté sa grange. La femme aussi a été innocentée, elle avait fort à faire avec le repas et ses trois enfants en bas-âge.

— J’ai toujours été persuadé que le Marius n’était pas tout clair dans cette histoire. J’étais si jeune, j’avais tout juste dix-sept ans et j’ai eu peur des gendarmes. Vous comprenez, ils m’avaient fait gouter à leur matraque alors je me suis rétracté après m’être pissé dessus.

— Vous voulez dire que ce Marius aurait très bien pu aller chez Célestine ce soir-là ?


Le vieil homme croise ses mains noueuses et prend un air révolté.

— Il en avait eu le temps. Joséphine m’avait quitté pour lui et j’étais furieux. Cette garce aimait bien les belles robes et les bijoux. Lui, il n’avait pas les moyens d’entretenir une fille comme elle. Elle est restée un bon moment avec lui et se pavanait avec des robes qu’aucune femme ici pouvait se payer. A un moment, je me suis demandé si elle ne marchandait pas ses charmes mais je pense qu’il volait tout ce qui lui faisait envie. Il aimait l’argent facile et beaucoup moins le travail. J’ai appris qu’il s’était fait descendre dans les années soixante en voulant braquer la Caisse d’Epargne.

— Les gendarmes n’ont pas creusé du côté de ce couple ?

— -Ils les ont convoqués et relâchés. Aucune preuve contre eux. Les flics avaient bien trouvé des tickets de rationnement, un jambon et quelques marchandises qui auraient pu provenir de chez Célestine mais ils ont juré les avoir achetés ou échangés.

— Célestine avait déjà été cambriolée ?

— Oui, plusieurs fois. La boite où elle rangeait les tickets de rationnement et la monnaie avait disparu de la grange où elle l’avait planquée sous une latte du plancher. Une autre fois, le voleur avait trouvé la cachette dans le poulailler. La Célestine avait retrouvé la terre retournée. Du coup, elle a acheté une oie.

— Une cachette enterrée, comme au Moyen-Age !

— Oui, pour l’argent et les bijoux que les gens échangeaient contre de la nourriture ou du carburant. Une oie est le meilleur gardien au monde et puis le Jules a retrouvé la boite intacte devant les flics.

— Le voleur a peut-être été surpris par les cris de l’oie. Réveillée, Célestine est… non ça ne colle pas puisqu’elle a été retrouvée dans son lit. Le rapport ne mentionne pas de sang à l’extérieur. Si le voleur était armé, il aurait pu la faire revenir dans la maison.


Fernand fait un grand geste avec son bras droit pour balayer cette hypothèse qu’il trouve saugrenue.

— Connaissant la Célestine, elle ne serait jamais sortie les mains vides et elle aurait résisté. Beaucoup d’armes servaient pour les transactions. Elle en avait une belle collection et elle savait s’en servir.

— Vous avez raison. Elle aurait tout fait pour protéger son fils et aurait tout fait pour s’éloigner de la maison, même sous la menace d’un fusil. Je vais vous laisser vous reposer. Je vous remercie pour tout.

— Le pauvre Jules a élevé son fils seul. Il ne s’est jamais remarié. Alors, vous avez dit que vous êtes la…

— Je suis la petite-fille de Georges, le fils de Jules.

— Mazette ! Qu’est-ce qu’il est devenu ce petit gamin ?

— Il est en maison de retraite depuis peu. Il se plait bien. Il s’est trouvé des copains et parlent beaucoup de la guerre, de rugby et de football. Il vient chaque dimanche chez moi.

— Il est où ? Je pourrais lui rendre visite et lui apporter des bonbons. Il aime les chocolats ?

— A Sainte Catherine.

— Sainte Catherine, répète Fernand… J’ai bien le temps d’y aller. Je vais avoir cent ans en septembre et je veux les fêter dans ma maison. Après… on verra. J’ai Martine, elle me fait mes courses, mon ménage, ma popote. Je ne manque de rien et suis encore assez valide pour me coucher seul.

— Je dois partir Monsieur Lambert.

— Appelez-moi Fernand et dites au petit Georges que je viendrai le voir un de ces jours pour parler du bon vieux temps. Martine me conduira.


°°°

Lorsque j’arrive à la maison, la porte du garage est ouverte. Jérémy met de l’ordre.

— Tu arrives à temps. Je fais quoi de ces vieilleries couvertes de poussière ?

— Ce sont les livres de mon enfance. Je voudrais les mettre dans la chambre de notre futur enfant.

— Ok, si c’est pour notre futur enfant, je vais les nettoyer. Et ce vieux landau, tu veux vraiment le garder ? Il est… Qu’est-ce que c’est ?

Un objet tombe sur le sol lorsque Jérémy empoigne la couverture et le matelas. Stupéfaits, nous regardons… le revolver sans oser bouger une oreille. Jérémy reprend ses esprits en premier.

— Il ne faut pas le toucher. Tu comprends, les empreintes…

— Ce serait l’arme qui a tué Célestine ? Mais… les gendarmes ne l’ont pas fouillé ?

— Sans doute pas. Ecoute chérie, Christophe, mon pote qui est au commissariat de la Porte Chaussée, pourrait nous aider. Je l’appelle tout de suite.


Je le regarde prendre un tournevis sur l’établi et s’en servir pour emporter l’arme dans la maison. Il prend un torchon propre dans le tiroir et le pistolet avant de glisser le tout dans un sachet.


Le lendemain soir, Jérémy a un grand sourire.

— Christophe a fini par craquer mais j’ai dû le travailler au corps. Il m’a arraché la promesse d’un diner gastronomique pour deux.

— Il n’aura pas d’ennui avec sa hiérarchie ?

— Au début, il m’a conseillé d’engager un détective ADN. Mais ça coûte sept cents euros et sans être certain du résultat.

— Tu crois qu’on peut retrouver de l’ADN, si longtemps après les faits ?

— Ils en ont bien retrouvé sur une molaire de mammouth laineux qui avait plus de quatre mille ans et voudraient le ressusciter.




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3 commentaires

cedemro

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Il y a 4 ans

Un pistolet dans le landeau... Un peu inquiétant. La colère de Georges à la mention de cette affaire est encore restée inexpliquée jusqu'ici... Ton histoire est vraiment passionnante !

Gottesmann Pascal

-

Il y a 4 ans

Le témoignage de Fernand est très instructif et le vieil homme semble particulièrement sympathique. Surtout quand il se met à appeler un octogénaire "le petit"

Justine HSR

-

Il y a 4 ans

Ah, le final arrive ! J'ai hâte de découvrir le fin fond de cette histoire ;)
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