Fyctia
La vérité
— Tu as lu ça dans un roman de Mickael Crichton ?
— C’est la réalité. Maintenant on arrive même à faire des bébés "sur mesure" avec ce genre de méthode. Bon, j’ai faim, le gratin est dans le four. Tu veux bien mettre la table pendant que je prends une douche rapide pour éliminer toute cette crasse ?
°°°
Le lendemain, j’ai la surprise de voir Fernand dans la chambre de papy qui a sa mine des mauvais jours. Quand je me penche pour l'embrasser, il chuchote à mon oreille.
— C’est toi qui lui as dit de venir ? Mauvaise idée. Il ne fait que parler du passé.
— Tu n’es pas content de retrouver quelqu'un qui t'a connu petit ?
— Ça te plairait que je rabâche des souvenirs sombres sur tes parents ? Je ne sais pas qui a tué ma mère et je ne le saurai jamais. Dis-lui de partir. Sa femme de ménage l’attend dehors.
— On dit une aide à domicile, papy. Excusez-nous Fernand, on nous attend pour un barbecue. Papy vous remercie pour la boite de chocolats. Prenez mon bras, je vous raccompagne jusqu'à votre voiture.
Papy voit le landau qui sèche au soleil sur la pelouse. Il entre dans une colère noire. Ses bras bougent dans tous les sens.
— Qu’est-ce qui t’as pris de récupérer cette horreur ? Brûlez-moi ce truc !
— Calme-toi papy. C’était bien ton landau ?
— Je ne l’avais pas revu depuis… la guerre, murmure-t-il, soudain plus calme. Je croyais qu’il était pourri depuis longtemps.
— Il n’a jamais servi pour papa ?
— J’avais interdit à Gigi de le bouger du grenier. Elle a toujours respecté ma volonté… elle. Ton père a eu une belle poussette neuve. Qu’est-ce qu’on mange ?
Cette question signifie que le sujet est clos pour lui. Jérémy fait une mimique en plissant le nez et répond :
— Côte de bœuf marinée au thym et romarin. Encore un peu de patience. Nous avons le temps de prendre l’apéritif. Une petite Suze papy ?
— Tu me connais bien mon grand. Avec un glaçon, ce sera parfait.
Jérémy saisit la bouteille, verse le liquide jaune dans trois verres et en tend un à papy après avoir ajouté un glaçon.
— Promettez-moi de brûler ce truc, implore mon grand-père en s’installant au bout de la table, de façon à tourner le dos à l’objet de son dégoût.
— Pourquoi ?
— Trop de mauvais souvenirs.
— Lesquels ?
— Il me rappelle la guerre et la tristesse de mon père quand il regardait les photos de ma mère dans la chambre. Je rangeais tous mes jouets dedans. Quand ma mère est… Il l’a relégué dans un coin du grenier et recouvert d’un grand tapis. Il était brun je crois. Je ne l’ai jamais revu jusqu’à aujourd’hui. Je ressens une sensation étrange et désagréable qui me ronge à l'intérieur quand je repense à ce soir-là. Je n'arrive pas à l'expliquer mais c'est... Alors, cette côte de boeuf, elle arrive aujourd'hui ou demain ?
J'observe mon grand-père qui se régale. Il a toujours apprécié la viande saignante et les légumes grillés. Sa mémoire est assez précise mais quelque chose me turlupine. Le trouble qu'il éprouve ressemble beaucoup à celui provoqué par un souvenir refoulé. Nous n’avons retrouvé aucun jouet dans le landau donc quelqu’un l'a vidé après le passage du photographe judiciaire. Ce quelqu’un n’aurait pas trouvé l’arme ? Ou alors… il l’a trouvée, mais pour quelle raison ne l'a-t-il pas donné aux gendarmes ?
En fin d'après-midi, alors que j'embrasse papy dans le hall de Sainte Catherine, il me répète, une fois de plus :
— Brûle ce landau de malheur !
°°°
Quelques semaines plus tard, Christophe sonne à notre porte. Il apporte en personne les résultats. Je fixe l'enveloppe sans oser faire un geste.
— Ouvre vite ! implore Jérémy.
Nous lisons ensemble : « Analyse ADN – Fragment de peau vieux de plus de 80 ans – Comparaison avec échantillons de sang sur tissu même époque – Indice de parenté : 52,167283 % »
— Chris, qu'est-ce que ça veut dire ? interroge Jérémy.
— Que c’est une personne de la famille de Célestine qui l’a... tuée.
— Son mari ?
— Impossible. Le bout de peau appartient à quelqu’un qui a la moitié des gènes de Célestine, l'autre moitié appartenant au père.
Christophe n'a pas besoin d'en dire plus. Son regard éloquent parle pour lui. Une douche glacée s'abat sur ma tête et mes épaules. Je hurle.
— Ce n'est pas possible, papy n’était qu’un gamin de six ans ! Comment tu peux imaginer une chose pareille ?
— C’est quoi la suite, maintenant que tu as étalé cette histoire au grand jour ? s'inquiète Jérémy. On était loin de penser que cette histoire prendrait une telle tournure.
— Quand j’ai vu les résultats, j’en a parlé à mon boss. Inutile de vous dire que j’ai pris une avoinée monumentale. Le Commandant a contacté l’Office qui gère les dossiers criminels non résolus : L'OCRVP. Les faits sont prescrits depuis longtemps mais l’enquête peut être rouverte si un élément nouveau apparaît. Dans ce cas précis, il s'agit bien d'un homicide non-élucidé. Vous savez, l’OCRVP considère qu’un dossier est toujours vivant, tant que le Parquet n’a pas prononcé un non-lieu.
— C’est quoi l’OC… machin ?
— Un groupe qui est chargé de la lutte contre les crimes complexes. Il s’agit d’affaires lourdes ou des crimes de sang qui n’ont pas pu être solutionnés rapidement. Quand un service territorial se trouve dans une véritable impasse, l'OCRVP peut lui proposer une relecture du dossier afin de fixer de nouveau axes d’enquête et ouvrir des pistes considérées comme secondaires au départ.
Je suis atterrée. Je rêve et je vais me réveiller. Jérémy pose sa main sur mon genou. Je suis bien éveillée.
— J’espérais seulement récolter des informations. C’est un cauchemar ! m'écrié-je en laissant mes larmes couler.
Christophe tient à exposer sa théorie :
— Avec le Commandant, on est d'accord sur ce qui se serait passé ce fameux soir.
— On t'écoute.
— Le petit Georges a trouvé une arme, sans doute mal cachée, et a joué avec. Quand sa mère a voulu lui prendre des mains, le coup est parti. Blessée, Célestine couché son fils en lui disant qu’elle allait bien et s’est allongée pour qu’il s’endorme tranquillement. Elle s’est vidée de son sang et, quand son mari l’a trouvée, elle était déjà morte.
— Je ne veux pas que papy aille en prison par ma faute ! Il ne se rappelle pas que c’est lui qui tenait l’arme. Le landau, le met en colère mais il ne sait pas pourquoi.
Christophe se veut rassurant.
— Ton grand-père ne sera pas inquiété puisqu’il y a prescription. Au moment des faits, c’était un môme. Le dossier va être clôturer définitivement. Quant à savoir lequel des parents a caché le pistolet dans le landau, on ne le saura jamais.
— Je ne vois pas Célestine le planquer là pour que son fils joue à nouveau avec, dit Jérémy qui a beaucoup de bon sens.
Christophe opine du chef.
— Tu as raison. Jules a trouvé l’arme dans la cuisine et c’est lui qui l’a cachée dans le landau… avant de l'enterrer au fond du grenier. Cette version est plus plausible selon moi.
Je me lève.
— Tout ce qui compte c’est que leur souhait soit exaucé. Leur fils a grandi sans avoir à endosser la culpabilité d’avoir tué sa mère.
Repose en paix Célestine.
12 commentaires
Solveig Andersen
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Il y a 3 ans
Gaïane MILLER
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Il y a 3 ans
Azilizaa
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Gaïane MILLER
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Lyaminh
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Gottesmann Pascal
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cedemro
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Gaïane MILLER
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cedemro
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Il y a 4 ans