Fyctia
Un témoin vivant !
Les lettres dansent devant mes yeux. Je suis stupéfaite par ce que je lis.
— Il est noté que « des gouttes de sang ont été trouvées sur le sol de la cuisine. Quelques cheveux et des traces de sang sont prélevées sur le bord de la pierre à évier. Le parcours qui va jusqu’à la pièce voisine est également jonché de gouttelettes. Elles sont présentes au pied du lit de l’enfant puis se dirigent vers le lit des parents ». Pourquoi les journaux n’en ont pas parlé ?
Mireille se penche vers moi pour prendre connaissance des constatations du médecin légiste.
Elle lit à haute voix :
— « La victime a reçu une balle, tirée bout portant (moins d’un mètre), dans le thorax : L’orifice est régulier et entouré d’une petite zone de tatouage (résidus de tirs). Une plaie ouverte sur l’arrière de la tête serait la conséquence d’une chute à la renverse. Aucune autre blessure n’a été constatée sur le corps »
Mon cerveau travaille à vitesse grand V et je récapitule :
—Si je comprends bien, Célestine prend une balle qui la fait chuter. Elle se relève pour marcher jusqu’au lit de Georges puis vers le sien où elle s’effondre sur le dos. Elle n’a donc pas été tuée pendant son sommeil ». Qui était avec elle dans la cuisine ? Et pourquoi l’a-t-il laissée partir vérifier si Georges dormait. Qui a bien pu faire ça, et pourquoi ?
— Il ne faut pas oublier que la France était sous occupation allemande, temporise Mireille. C’est un contexte dont il faut tenir compte et qui risque de compliquer vos recherches. On peut supposer qu’il aurait pu être Allemand, ou un prisonnier Russe, un proche ou encore une personne avec qui elle était en conflit ?
J’examine les dessins du corps vu de face puis vu de dos. Sur le premier, l’orifice d’entrée de la balle est signalé au feutre bleu à quelques centimètres du cœur, juste sous le sein gauche. Regardez le second dessin, la plaie à la tête est horizontale ce qui corrobore l’hypothèse de la chute. Je ne comprends toujours pas pourquoi les journalistes étaient persuadés que Célestine avait été tuée pendant son sommeil.
— Ils ont peut-être extrapolé pour avoir quelque chose à écrire. Ou bien les gendarmes leur ont donné de fausses informations pour avoir la paix.
J'interromps ma lecture pendant que la serveuse dépose les cafés. Un petit biscuit sec emballé est posé sur la soucoupe, à côté de deux morceaux de sucre. Le visage de papy se matérialise.
— Ils n’ont pas trouvé bizarre que l’enfant ne se soit pas réveillé ? Il se serait levé au bruit de la détonation et l’assassin ne l’aurait pas laissé en vie.
Mireille tourne les pages. Apparait alors, un paquet de photos qui font froid dans le dos. Célestine allongée dans son lit, le bord de l’évier, le plancher taché, le petit lit, le landau rempli de jouets, etc… Je récupère la première photo.
— Célestine était une très belle femme. Beaucoup d’hommes devaient la courtiser, non ?
— Elle était connue pour faire du marché noir. C’était la guerre, tout le monde manquait de tout. Elle a peut-être voulu s’enrichir en vendant les légumes de son jardin à des prix exorbitants. Elle élevait aussi des volailles, des lapins et des porcs. Elle avait même deux vaches. Leur lait était précieux pour les bébés que leurs mères affamées ne pouvaient nourrir au sein
J’ai beaucoup de mal à m’imaginer les années noires de la Seconde Guerre mondiale et de l’occupation allemande. La pénurie des produits de première nécessité, le rationnement de plus en plus sévère, a obligé certains à mettre en œuvre des stratégies de survie.
Les pensées de Mireille suivent le même cheminement.
— Verdun a beaucoup souffert. En ces temps si durs, le marché noir battait son plein. Les trafics portaient sur les denrées alimentaires, les cartes de rationnement, les matières premières et les produits industriels. A la fin de 1940, le marché noir devient l’une des grandes préoccupations des Verdunois, ce qui a dû engendrer des rivalités et des ressentiments entre « commerçants ».
— J’ai du mal à imaginer Célestine vendant à prix d’or, du lait pour des enfants et des bébés qui avaient faim.
— On pouvait trouver de tout au marché noir. De la nourriture évidemment, des armes aussi, des chaussures, des vêtements, des pneus, du bois, etc. Tout se marchandait. Certains profiteurs allaient jusqu’à fricoter avec l'occupant pendant que la population souffrait. Il y avait aussi la légende dorée des paysans soustrayant, à la taxation de Vichy, une partie de leur production, pour la destiner au profit des maquis, mais à des prix raisonnables.
Comment aurais-je réagi si j’avais vécu pendant cette période ? Sur le point de refermer la chemise, je remarque une feuille dont le papier est plus grossier et plus foncé.
— Il y a un document qui date de 1948, remarqué-je en saisissant le document couvert d'une belle écriture penchée. Le tampon indique juillet 1948.
— Vous pouvez le lire ?
— Alors… « Les gendarmes ont ouvert une enquête suite à une dénonciation. Dans un bar de la rue Mazel, un jeune homme ivre s’était vanté de connaître celui qui avait tué la Célestine pour lui voler son argent et des bijoux. Il avait donné le nom de Marius Fournier au patron du bar qui s'est empressé d'appeler les gendarmes.
Après une nuit en cellule, Fernand Lambert, à jeun, a finalement avoué avoir voulu se venger de ce Marius Fournier. Le motif ? Il lui avait piqué sa fiancée avec qui il était depuis à peine un mois ».
Je prends congé de Mireille en la remerciant chaleureusement pour son aide précieuse.
— Virginie, promettez-moi de me tenir au courant, si vous élucidez cette énigme ! Avec votre accord et celui de votre grand-père, je pourrais faire un bel article. Un joli hommage à Célestine en quelque sorte.
— J’y réfléchirai.
Mireille s'éloigne comme elle est arrivée. En courant.
°°°
Après un détour par la clinique pour vérifier l’état de santé de mes patients hospitalisés, je rentre à Belleville. Jérémy va rentrer tard et il aura déjà mangé au restaurant. Une soupe chauffée au micro-onde et un yaourt aux fruits constituent mon diner. Si mon mari me voyait, il ferait des bonds de kangourou. Je suis seule, j’en profite.
— Dragée, si je te donne du yaourt, tu ne diras rien à ton maître !
— Miaou.
Quelques recherches rapides sur internet me permettent de retrouver leur trace. Seul Fernand est encore en vie ! C’est un témoin précieux dans cette affaire.
6 commentaires
Lyaminh
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Il y a 4 ans
Gottesmann Pascal
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Il y a 4 ans
cedemro
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Il y a 4 ans