Fyctia
Procès-verbal de 1941
Dans l’entrée, j’envoie valser mes nu-pieds et me dirige vers la cuisine en chantonnant. Un thé me ferait le plus grand bien. J’appuie sur le bouton de l’appareil, insère une dosette et regarde le liquide couler pendant que Dragée miaule, assis à mes pieds. Il réclame sa pâtée.
— C’est bon, je te sers tout de suite !
Ma tasse à la main, je vais m’installer en tailleur sur le canapé. La petite valise est là, sous la table basse. Elle me nargue. Je résiste dix secondes, pas une de plus. Je m’empare du bagage et, une fois de plus, j’étale les pièces du puzzle pour les examiner. Peut-être qu’un détail m’a échappé hier.
Tiens, je ne me souviens pas avoir vu cette photo hier. C’est la même que celle du mariage de Célestine mais elle est plus petite. Au verso, plusieurs noms sont notés au crayon papier. Témoins : Gustave Barbier, Eugène Sevran,
— Barbier... Comme Célestine. Elle pourrait très bien avoir un frère ! Cet homme lui ressemble un peu. Même regard et même bouche. Et si j’essayais de compléter l’arbre généalogique ?
Grâce au site Filae, je retrouve ce Gustave qui est bien son frère, né un an avant elle. Ma déduction était donc vraie. Sur Geneanet, en précisant la région et la commune, je constate que le nom Barbier est présent dans plus d’une vingtaine d’arbres. Je clique au hasard sur certains et constate que Gustave y figure avec sa descendance.
Lorsque Jérémy arrive, j’ai déjà noirci plusieurs pages avec des diagrammes et listes de noms.
— Tu as bien bossé dis-donc !
— Regarde, c’est la branche paternelle de Célestine. Ma famille s’agrandit et je n’ai pas fini.
Mon mari examine avec soin la liste de noms.
— Ce qui veut dire que tu as des cousins en Meuse, à quelques kilomètres et tu ne les connais pas. Papy Georges avait des oncles et tantes.
— Oui et la mère de Célestine également. Lucie avait un frère et une sœur. Il faut que je creuse aussi de ce côté.
— Je suis crevé et j’ai déjà mangé au resto. Je t’ai rapporté une souris d’agneau-purée. Je sais que tu adores ce plat.
— Tu es un amour !
— Je mets ton assiette dans le micro-onde et je monte me doucher. Pas la peine de te dire de me rejoindre. Tu vas bosser toute la nuit.
— Juste une petite heure et je te rejoins.
— Si je ne crois pas celle-là, tu m’en raconteras une autre.
Jérémy avait raison. A trois heures du matin, je pose enfin mon crayon et éteint l’ordinateur.
— Merci internet ! chuchoté-je en montant les marches. Mon mari dort à poings fermés. Je me glisse à ses côtés en veillant à ne pas le réveiller.
°°°
Derrière mon bol, j’ai beaucoup de mal à garder les yeux ouverts. Jérémy a un sourire ironique et Dragée se frotte dans mes jambes pour avoir une caresse ou des croquettes.
— J’espère que tu n’opères pas ce matin. Tu n'as pas les yeux en face des trous.
— Des stérilisations et castrations pour le refuge.
— Alors, je te conseille de boire un autre café.
Je me lève pour vérifier la gamelle et constate qu’elle est vide. Je la remplis et mets de l’eau fraîche dans le deuxième récipient.
— Je me suis retrouvé des cousins jusqu’au Canada !
— C’est super ! J’adore ce pays. Tu vas finalement te retrouver avec une grande famille… En attendant qu’on agrandisse la nôtre.
— J’y pense depuis hier. J’aimerais que papy connaisse ses arrière-petits-enfants.
— On peut commencer à s’entraîner sous la douche par exemple, propose Jérémy avec une étincelle coquine dans le regard.
J'attrape sa main et me laisse entraîner.
°°°
Il est quatorze heures. J’attends Mireille sur le quai de Londres et observe les rameurs du club d’aviron qui s’entrainent sur la Meuse. Une femme brune, la cinquantaine, arrive sur le pont et se dirige vers moi au pas de course.
— Virginie Bardin ? Désolée pour le retard, s’excuse-t-elle en serrant ma main. Les places de parking sont rares. Une vraie galère pour se garer. J’ai laissé ma voiture derrière le bâtiment Saint Joseph, rue d’Isly !
— Vous me connaissez ? Vous…
— Votre photo de profil sur Facebook.
— Ah, d’accord ! Pour ma part, je laisse ma voiture près de l’Evêché et ensuite je descends les escaliers du Monument de la Victoire et je suis au centre-ville.
— Pas bête, je pique l’astuce pour la prochaine fois.
A quelques mètres, plusieurs tables sont libres à la terrasse d’un café.
— Je vous offre un verre ? On y sera mieux pour discuter.
— Ce n’est pas de refus ! s’exclame-t-elle en accrochant son sac au dossier d’une chaise. Qu’est-ce qui vous a poussée à faire ces recherches ?
Je prends mon temps pour m’asseoir, ce qui me permet de réfléchir avant de répondre. J’ai peur qu’elle me prenne pour une illuminée. Je me lance.
— Comme je vous l’ai déjà dit au téléphone, je cherche tout ce qui concerne le meurtre de Célestine Morin.
J’hésite à poursuivre mon explication puis décide de tout déballer.
— En réalité, en débarrassant le grenier de mon grand-père, j’ai trouvé une vieille valise remplie de photos et d’articles de journaux de 1940 concernant l’assassinat de… mon arrière-grand-mère.
— Cette Célestine fait donc partie de votre famille, dit Mireille en sortant une chemise de son cabas. Tenez, ceci pourrait vous aider.
Mireille me tend un épais dossier. Mes sourcils se soulèvent en une question muette.
— C’est le procès-verbal de gendarmerie de 1941. J'ai réussi à me procurer une copie, par un amis qui me devait un service. Vous avez accès aux constatations des gendarmes faites le jour du drame.
Impatiente, j'ouvre la chemise verte.
8 commentaires
cedemro
-
Il y a 4 ans
Gottesmann Pascal
-
Il y a 4 ans
Justine HSR
-
Il y a 4 ans