Gaïane MILLER Célestine La petite valise

La petite valise

La mort dans l’âme, j’accompagne mon grand-père dans cette maison de retraite au centre de Verdun. Alors que je fais le tour de la chambre qui lui a été attribuée, ma mine triste n’échappe pas à l’œil perspicace de papy Georges.

— Ne fais pas cette tête ma Choupinette, je serai bien ici. Tu ne seras plus obligée de faire mes courses après ton travail à la clinique. Je vais être comme un coq en pâte !

— Tu es sûr de vouloir vendre la maison où tu es né ? C’est vraiment ce que tu veux ?

— Sûr et certain. Comme je suis sûr de vouloir vendre la maison où j’ai été heureux avec ma Gigi et toi. Cet endroit est devenu sinistre sans vous deux. Tu as ta vie avec ton mari et puis, tous mes souvenirs sont là, ajoute-t-il en tapotant sa tempe de l’index.

— Mamie Ginette n’aurait pas voulu que… Avec Jérémy, on aurait pu habiter avec toi.

Papy secoue la tête. Il n’est pas d’accord.

— Les jeunes avec les jeunes et les vieux entre eux. Demain, Emmaüs vient chercher les meubles. Tu pourras être présente pour ouvrir la porte du garage ?

— C’est noté chef ! répliqué-je en me mettant au garde à vous.

— Ils peuvent tout prendre. Tu n’oublieras pas de venir me chercher pour signer chez le notaire vendredi prochain.

— C’est noté, chef ! Il me reste quelques jours pour finir de vider la maison. Je ferai ça mercredi.

— Tu es comme un autre moi. Je pense et tu agis dans la foulée. Je ne sais pas ce que je ferais si je ne t’avais pas ma Choupinette.

— Papy, arrête de m’appeler comme ça. Je n’ai plus dix ans mais bientôt trente et mon prénom est Virginie. Tu as bien compris que, chaque dimanche tu mangeras avec nous à midi et si tu veux venir dans la semaine, tu...

— … passes un coup de fil, je sais ! A une condition : que ton Jérémy prépare des cailles au raisin. Tu l’as bien choisi celui-là, c’est un super cuistot. File vite le retrouver.


Sur la route de Belleville, je me remémore les années de bonheur dans cette maison de briques rouges où j’ai été élevée à la mort de mes parents. J’avais onze ans quand leur voiture est tombée dans la Meuse après avoir dérapé sur une plaque de verglas. J’ai été entourée de tant d’amour et… d’animaux de toutes espèces. A deux pattes, quatre pattes, à plumes, à poils, à écailles et sans pattes. L’amour des animaux ne m’a jamais quittée et, après mes études, j’ai ouvert ma propre clinique vétérinaire à Verdun. C’était une évidence. Mes parents seraient heureux de voir que j’ai dépensé utilement leur héritage.


Ma télécommande déclenche le portail coulissant et je gare ma voiture dans la cour. La fenêtre de la cuisine est éclairée. Mon cuisinier de mari est en train de préparer le diner.

— Coucou c’est moi ! m’écrié-je en pénétrant dans l’entrée. Hum ça sent bon !

— Bonsoir chérie ! Rosbif, pommes duchesse et pana cotta pour le dessert !

La table est déjà dressée dans la cuisine. Un petit bouquet de violettes, posé au centre, et deux bougeoirs créent une ambiance romantique. Jérémy m’embrasse puis sort le rôti du four. Il commence à découper la viande pendant que je me lave les mains.

— Le déménagement de papy s’est bien passé ?

— Il avait l’air d’apprécier sa chambre. J’espère que ce n’était pas une façade pour que je ne m’inquiète pas.

°°°

Deux jours plus tard, je débarque dans la maison avec seau, balai et brosses. Hier, trois personnes envoyées par Emmaüs ont emporté tout ce que papy avait stocké dans le garage. Il ne reste que quelques babioles à évacuer du grenier. Pourquoi papy ne s’en est pas chargé ? Sans doute à cause de l’escalier un peu raide pour un homme de son âge.


Je charge dans ma voiture un carton de livres de ma jeunesse, une boite pleine de décorations de Noël et un très vieux landau qui était caché sous un tapis depuis l’Antiquité. Il me reste juste la place pour la valise cartonnée que j’ai l’intention de transformer en panier pour Dragée, mon chat tout blanc. Tout rentre dans mon coffre. Je passe la journée à récurer chaque pièce du sol au plafond.


Epuisée, je tourne la clé avec un pincement au cœur quand je réalise que c’est la dernière fois que je fais ce geste. Un ultime regard et je démarre. Jérémy est de service ce soir. Heureusement car il ne me reconnaitrait pas avec toute cette poussière accumulée sur mes cheveux et ma peau. Je file sous la douche.


Je n’ai pas faim et il n’y a rien d’intéressant à regarder à la télé.

— Je vais prendre un bouquin et me… La voiture ! Il faut que je vide la voiture.


Je range le matériel de nettoyage dans le placard puis entasse tous les vieux trucs dans un coin du garage. La petite valise brune en carton m’intrigue. Je l’emporte jusqu’au salon et déclenche les deux fermoirs en laiton. Elle est remplie de photos. Je fouille et d’autres clichés, plus épaisses, plus anciennes apparaissent. Des personnes que je ne reconnais pas, en robe longue ou en costume trois pièces. Leurs tenues datent du début du XXème siècle. Tout au fond, une grande enveloppe grise attire mon regard. Elle est remplie de coupures de journaux que j’étale sur la table basse. Tous les articles concernent l’assassinat d’une certaine Célestine… Morin


Morin, c’est mon nom de famille et celui de papy ! Qui est cette Célestine ? Une tante, une cousine, une sœur de papy ? Pourquoi ne m’a-t-il jamais parlé d’elle ? S’il a gardé tous ces articles soigneusement découpés, c’est que cette personne était importante pour lui.

Il y a aussi un journal complet qui date du… 23 juin 1940 ! Le plus gros titre est : L’Armistice a été signé à 18 h 52

Je classe les articles du plus ancien au plus récent et m’allonge sur le canapé pour commencer ma lecture.

« Célestine Morin a été tuée de deux balles de revolver dans sa maison située sur les hauteurs de Verdun. Cette mère de famille, âgée de 34 ans, a été retrouvée par son mari Jules vers 22 h. Il rentrait tard après avoir aidé son plus proche voisin à réparer sa grange. Leur fils Georges, six ans, dormait dans la chambre voisine et aucun mal ne lui a été fait. Les quelques maigres indices n’ont pas permis d’identifier, pour l’instant, l’auteur des coups de feu. La gendarmerie a ouvert une enquête ».

—Georges, six ans. Mais… c’est papy ! Il est né en 1934, l’âge correspond. Donc, ça ne peut pas être lui qui a découpé… Célestine était sa mère !


Une photo en noir et blanc accompagne le texte. C’est une chambre classique de l’époque avec une armoire à deux portes, une coiffeuse, un lit ouvert et deux chevets. Une énorme tâche sombre au centre du drap. Du sang. Une autre tâche sur l’oreiller, plus petite.



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8 commentaires

Lyaminh

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Il y a 4 ans

Le début me fait penser au Secret du confiturier.😉

Azilizaa

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Il y a 4 ans

J’adore ce premier chapitre !

cedemro

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Il y a 4 ans

Quelle entrée en matière passionnante !

Sabrina A. Jia

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Il y a 4 ans

une début prometteur, :)

Gottesmann Pascal

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Il y a 4 ans

Bravo pour ce début très touchant et intriguant. On ne demande que la suite.

Justine HSR

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Il y a 4 ans

Début très prometteur. La plume est soignée, nous relate une histoire familiale, et nous donne envie d'en savoir plus

Emma Hermosa

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Il y a 4 ans

Un très bon début plein d'émotions qui mêle les souvenirs d'enfance et les générations
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