Fyctia

— Je retourne à Cambridge chez mes parents, ma mère va me faire sa fameuse dinde, qu’elle aura cuisinée pendant des heures, ricane-t-il.

— Ouais, à attendre que le traiteur la livre, renchéris-je en rangeant mon agenda.

— Ne la juge pas, c’est elle qui la met dans le plat et la pose sur la table.

Je rigole à mon tour en terminant cul sec mon Scotch.

Le froid s’est installé rapidement cette année, et si Londres s’est déjà paré de lumière et de son tapis blanc, j’attends le week-end prochain pour commencer mes décorations avec Evy. Elle adore décorer le sapin dans son pyjama de princesse, au coin de la cheminée, tandis que je fais mes fameux biscuits de Noël.

Le temps est à la fête, au renouvellement d'une année qui est en train de se terminer, pourtant j’ai surtout l’impression qu’elle est également synonyme d’un nouveau départ, d’un espoir qui s’insuffle dans chaque foyer. Mais pas pour moi.

— Les vacances qui arrivent vont nous faire le plus grand bien, c’est moi qui te le dis, affirme-t-il. Ah oui, tiens, Hermione m’avait demandé de te donner ça.

Il me tend une enveloppe avec un cachet ciré.

— Le gala de Noël ? deviné-je en ouvrant l’invitation.

— J’ai déjà répondu que j’y allais seul, continue mon meilleur ami.

Le gala de Noël permet à l’entreprise d’investir une part de ses bénéfices dans des associations et autres entreprises ayant des projets à but humanitaire. Chaque réception est composée d’une exposition, d’un repas et d’un bal, modernisé, mais d’un bal tout de même.

— Hmm, je verrai ça plus tard, soufflé-je en reposant l’enveloppe.

Mon téléphone sonne, et je lance un regard à Kurt, qui hoche la tête, compréhensif.

— On se voit demain, me salut-il en quittant mon bureau, tandis que je décroche.

— Allo Kate ?

— Wes, mon petit, je n'aime pas te déranger pendant tes heures de travail, tu le sais bien, mais Evergreen ne se sent pas bien. Elle a toujours mal au coude, elle a commencé à avoir de la fièvre et…

— De la fièvre ? Mal au coude ? Encore ? J’arrive tout de suite ! m’empressé-je de répondre, prêt à partir.

— Non, non, calme-toi, m’intime mon ancienne belle-mère. Elle va bien, Harold et moi l’emmenons aux urgences, je te tiens au courant, mais toi, tu termines tes dossiers ! Ne t’en fais pas, elle est entre de bonnes mains !

— Je peux l’avoir quelques secondes ? demandé-je.

— Evy ! Papa est au téléphone.

Je patiente avant d’entendre un grésillement de l’autre côté du fil.

— Papa !

— Comment ça va my Gingerbread* ? Mamie m’a dit que tu avais de la fièvre ?

— Oui, ça fait mal au coude aussi. Papy a dit qu’on allait à l’hôpital, mais je n'ai pas envie moi !

Je souris face à sa protestation et m’assois sur le bord de mon bureau en bois.

— Écoute-moi, tu vas aller à l’hôpital avec papy et mamie et tu vas ressortir de là guérie comme une grande, d’accord ?

— J’aurais le droit d’avoir un cadeau, si je suis sage ? négocie-t-elle.

— Ça dépend, tu as fait ta leçon ? Ta poésie ?

— Oui, je la connais par cœur ! Je pourrais te la réciter quand on sera à la maison ?

— J’en serais honoré, je t’aime, ma puce, réponds-je.

Je l’entends me répondre et repasser le téléphone à sa grand-mère avant que de légers sanglots ne commencent à se faire entendre en arrière-plan.

— Elle ne voulait pas pleurer au téléphone.

— Je m’en doutais, elle est comme sa maman.

Je saisis le cadre qui orne le dessus de mon étagère et le serre dans ma main gauche.

— Je te tiens au courant, Wessy. Ne t’inquiète pas trop, c’est mauvais pour le cœur.

Elle raccroche avant que je n’aie eu le temps de lui dire d’arrêter avec ce surnom stupide. Je m’efforce de faire taire cette voix qui me hurle de tout plaquer pour les rejoindre au St Thomas Hospital. Evergreen a toujours voulu donner cette impression de force. Lorsqu’elle avait quatre ans, elle est tombée dans la cour de l’école, mais n’a rien dit. Elle est rentrée en boitant et c’est seulement le soir que j’ai remarqué qu’elle s’était blessée aux genoux.

Elle n’aime pas pleurer, et ce, depuis le décès de sa mère. Elle déteste sentir des larmes sur ses joues, mais parfois, c'est inévitable. Quand la douleur est trop forte, se laisser aller est parfois la meilleure solution.

Elle ne reste qu’une enfant de six ans, perdue, avec un papa qui joue aussi le rôle de maman. L’entretien avec le psychologue m’a permis de comprendre que c’était sa manière à elle de ne pas m’inquiéter, mais, depuis ce constat, c’est pire.

Je panique, voir, frôle la psychose tout le temps. Elle est la seule pour qui je suis prêt à tout plaquer. Quand ses grands yeux verts m'observent, je me perds dans mes pensées. Je me demande si elle ne me cache pas quelque chose, peut-être pour ne pas m'alarmer. Je suis un papa poule, supplément garde du corps, qui a peur d’agir trop tard ou de passer à côté du moindre problème.

Une fois mon portable dans la poche, je saisis le cadre des deux mains et observe la photo, celle de notre dernier Nouvel An ensemble. J’avais un chapeau haut de forme noir qu'Evy avait réalisé en papier et qu’elle voulait absolument que je porte. Charlotte avait les joues légèrement rosées à cause de l’alcool, tandis qu’elle portait le nouveau pendentif que je lui avais offert quelques heures auparavant. Evergreen, elle, nous regardait avec ses yeux intransigeants, remplis d’amour, sa peluche grenouille entre les mains. Ce soir-là, j’ai compris la chance que j’avais de les avoir à mes côtés, elles.

Puis, je l’ai perdu.

Et mon cœur a partiellement cessé de battre.

— Notre petite fille a bel et bien ton caractère, Charlotte. Tout faire pour ne pas me tourmenter, mais… Merde, qu’est-ce que tu me manques.

J’ai parfois l’impression de ne pas savoir comment faire. Je regarde à travers la fenêtre et fixe le ciel d’un blanc intense.

Que ferais-tu à ma place ?

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*mon pain d'épices

J'aime tellement Wes, je vous jure que d'écrire un Single Dad, c'est si émouvant, mais aussi tellement drôle ♥ Et encore, la rencontre avec Evangeline arrive....

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