Fyctia
« Ça va ? »
- Comment allez-vous aujourd’hui ?
Monsieur Psy a l’art et la manière de tourner les phrases. Sa question est tout bonnement un « ça va ? » avec plus de politesse et aussi beaucoup d’espoir. Il espère qu'en le formulant autrement il obtiendra une autre réponse que mon oui habituel.
Dans son bureau, il y a aussi une fenêtre. J’ai changé de fauteuil, pas d’activité. Je peux regarder la famille ou les amis accompagner le patient à l’extérieur.
Nous ne sommes pas tous fous. Je dirais même que personne ne l’est ici. Qu’est-ce la folie si on prend le temps d’y réfléchir quelques secondes ? Un état passager. Une façon différente et créative de voir le monde et la vie. Une évolution en marge de la société. Un état de conscience qui fait peur aux parfaits petits robots. Une faculté souvent incomprise, crainte et enfermée.
Mon envie de mettre fin à mes jours n’est pas jolie, elle est cachée. Le monde ferme les yeux, enterre tout ce qui n’est pas beau, sous des sourires et de faux semblants.
- Vous ne me répondez plus, à présent ?
J’ai oublié que je ne suis pas seule. Il est simple pour moi de m’égarer dans le méandre de mon cerveau. J’ai imaginé plusieurs fois, devant ma fenêtre, être une fille qui balance tout ce qui lui passe par la tête sans réfléchir, être une jeune femme assez sûre d’elle pour dire la vérité. Si un jour j’avais pu le devenir, mon éducation et surtout ma sœur ont pulvérisé cette part de moi. Je réfléchis trop, tout le temps. Plus mon cerveau cogite, plus j’ai peur de parler.
- Oui.
C’est tout ce que je peux répondre. Ce oui veut bien entendu dire non. Comment puis-je aller bien ? "En te rappelant que d’autres ont un sort plus triste encore." Je suis enfermée ici, sous haute surveillance. J’ai le droit de me promener dehors seulement accompagnée d’un membre du corps infirmier. Mes journées se résument à ma fenêtre et à Isely. Celle-ci même qui a raison. Je ne dois pas me plaindre. Quelque part des hommes et des femmes ont une vie bien pire que la mienne.
- Vous m’avez déjà dit que ça allait bien hier.
« Parce que vous m’avez posé la même question et que dans cet endroit la veille ressemble au lendemain et au surlendemain. » Rien n’est venu perturber mon cerveau de folle. Rien de changé. Si hier c’était oui, aujourd’hui cela ne peut être qu’un oui. Je ne dis rien de ce à quoi je pense. Je ne lui explique pas ma longue réflexion sur sa question simple et stupide. Ma mère n’a pas élevé une petite fille qui répond aux adultes. Je suis sage et silencieuse. J’ai appris à ne pas élever la voix, ne pas contredire les grandes personnes. A mettre de l’eau dans mon vin, comme disait mon père.
Encore aujourd’hui je continue de me taire. J’ai été programmée ainsi.
- Oui.
Je parle avec un seul mot. Une syllabe. Il est plus difficile pour Monsieur Psy de fouiller dans ma tête. A sa place j’aurais déjà abandonné un cas comme le mien. Dommage que lui ne puisse pas. Il est payé pour réparer la folle que je suis devenue. L’argent, le moteur de tout homme. De toutes vies. Bien avant l’amour et la passion. L’argent est vital. Des hommes se tuent pour des billets de toutes les couleurs. Si l’être humain est devenu un automate c’est forcément dû à une cause.
J’ai trouvé le problème du monde toute seule, sans même sortir d’ici.
- Donnez-moi, s’il vous plaît, un mot pour décrire ce que vous ressentez à l’instant ?
Toujours ces méthodes de psychiatre pour me faire parler. Il pense réellement en apprendre plus sur moi de cette manière. Je réponds par un long silence et une grande réflexion. Je ne gesticule pas. Mon corps ne transmet pas d’informations sur moi. J’ai le regard rivé sur les patients qui bougent à l’extérieur. Le « Docteur » s’acharne pour rien. Il n’y a rien à apprendre de plus. J’ai déjà l’étiquette suicidaire collée sur mon front. Et celle de folle sur ma chemise. Il a fait le tour de qui je suis.
- Bien.
- Comme hier ? Ou mieux qu’hier ?
Monsieur Psy enchaîne rapidement ses questions de peur que je ne parle plus par la suite. Il n’a pas encore compris que mes silences sont le temps dont j’ai besoin pour réfléchir.
Je suis trop gentille et trop bien éduquée pour me montrer insolente en refusant de répondre.
- Pareil.
C’est bien ma première vérité depuis que je me suis levée du lit. Pas que je me sente aussi bien qu’hier puisque mon « oui » est un mensonge. Je me sens juste comme hier. Pas plus. Pas moins. "C’est déjà bien." Isely a encore raison. Ça pourrait être mieux, c’est une évidence. Ça pourrait aussi être bien pire.
- Il fait beau aujourd’hui.
Je ne tourne pas la tête dans sa direction. Je suis tout de même surprise et déroutée par sa question. Ça m’a l’air d’en être une. Le ton de sa voix me le laisse croire, bien que je ne comprenne pas où Monsieur « le docteur » veut en venir.
Il se peut que je me sois trompée et qu’il s’agisse seulement d’un constat pour lui-même prononcé à voix haute. Je préfère ne pas répondre.
- Les journées sont plus belles quand il y a du soleil, n’est-ce pas ?
« Tout dépend pour qui.» "Pour toi aussi déclare Isely."
Il est normal que cet homme d’une cinquantaine d’années au cheveux grisonnant et à la barbe de la même couleur aime le beau temps. Je l’imagine parfaitement affalé, non, il a trop de retenues, trop de manières pour ce genre de chose. Je le vois plutôt, bien assis, raide comme un piquet sur le banc d'un parc, un livre à la main. Lui aime les jours de soleil parce qu’il peut en ressentir les effets sur sa peau. Sentir l’air frais glissé sur son visage. Fermer les yeux est respirer l’air nouveau. Il ne regarde pas seulement le soleil d’une fenêtre avec mélancolie, en imaginant ce qu’il ressentirait s'il avait la possibilité de sortir. De voyager. D’être sur la plage, le vent dans les cheveux, le bruit des vagues et cette boule de feu qui réchauffe son corps et ses pieds comme une douce et épaisse couverture en hivers. Il n’est pas obligé de juste rêver toutes ces sensations. Il ne respire pas seulement l’air aseptisé de ce centre de malade. Il voit et vie autre part qu’entre quatre murs. Toi aussi tu le vivras. Rappelle-toi que tout finit toujours bien, Georgia.
- Oui
- Iriez-vous aussi dehors ?
Comment suis-je censée répondre. Ce n’est pas moi qui décide. J’ai perdu ce droit dès le moment où ma mère, me croyant folle et voulant m’aider, m’a enfermée à clef dans cette clinique sous surveillance. Je ne sors plus comme bon me semble. Monsieur Psy le sait. Il a été payé par ma mère pour me garder en vie. Peu importe que mon interdiction de mettre les pieds dehors m’enfonce dans ma folie et la solitude. Monsieur « Le docteur » ne peut pas retirer cette règle. Pas tant que je n’irais pas mieux à ses yeux.
Une patiente retrouvée pendue à un arbre ferait tâche sur son CV.
- Je l’espère.
7 commentaires
Valencia Herry
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Il y a 7 ans
Othily Rimbold
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Il y a 7 ans
You_Style1
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Il y a 7 ans
Othily Rimbold
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Il y a 7 ans
Leroux Ophélie
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Il y a 7 ans
Othily Rimbold
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Il y a 7 ans
Océane C.
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Il y a 7 ans