Fyctia
Chapitre 7 : Bree (2/2)
Les participants arrivent tour à tour, je n’ai pas le temps de régler cet imprévu alors je les accueille, en espérant trouver dans le lot l’animatrice du groupe afin de pouvoir m’éclipser. Il me faut laisser passer trois personnes pour comprendre ce qui les amène, et ça me tétanise. Je ne parviens plus à bouger, mes pieds sont comme enracinés dans le sol. Mon sourire déjà crispé s’éteint subitement et c’est sans doute ce qui alerte la bibliothécaire.
— Vous allez bien, Bree ?
J’aimerais lui répondre que non, qu’il faut absolument me trouver une remplaçante et surtout que je ne suis pas encore prête pour ça. Cependant ma gorge est semblable à du papier de verre, si bien qu’aucun son ne sort et que ça me fait un mal de chien.
Ils sont tous… comme moi.
Je l’ai compris lorsque j’ai vu le bras entièrement brûlé d’une femme qui doit avoir l’âge de ma sœur, ensuite il y a eu ce jeune dont la peau meurtrie dépassait de son bonnet. Ce ne sont pas des adolescents avec une problématique de poids, auxquels il faut apporter du soutien pour apprendre à aimer leurs corps. Ce sont des survivants de drames, qui doivent se reconstruire. Cela a beau faire partie de mon job, je ne suis pas certaine d’être capable de me retrouver face à un miroir de mon expérience. Je prône l’acceptation de soi, le body positive, sauf que mon public majoritaire reste des jeunes en quête d’identité qui passent par la période ingrate de la puberté, ou encore des femmes qui viennent de donner la vie. Le corps qui change, qui évolue, c’est OK pour moi. Celui qui est meurtri, abimé, déformé, je n’ai pas les outils nécessaires pour aider ces gens. “Il faudrait déjà que tu parviennes à t’aider toi-même.” Murmure une petite voix insidieuse au fond de moi.
Soudain, un verre d’eau apparaît dans mon champ de vision et je le saisis de manière automatique.
— Merci, finis-je par articuler avec peine.
— Vous m’avez fait peur, confesse Carolyne. J’ai bien cru que vous faisiez un AVC.
Je ne relève pas et me contente d’avaler ma boisson d’une traite, espérant retrouver quelques facultés.
— Vous voulez que je les renvoie chez eux ? Je peux leur dire que vous ne vous sentiez pas bien.
Sa prévenance m’attendrit et m’apaise. Elle vient de m’offrir une porte de sortie que je m’apprête à saisir, lorsqu’un participant de plus arrive sur un fauteuil roulant. Il est accompagné d’un homme imposant en tenue de pompier avec lequel il s’écharpe.
— Rosnik, je te le répète une dernière fois, ce groupe d’échange est la condition sinequanone pour que tu réintègres la brigade.
— Je vous ai dit que je ne voulais pas revenir, capitaine, braille celui qui est assis. Si c’est pour passer mes journées derrière un bureau à repenser à toutes ces choses que j’aurais pu faire différemment, merci, mais non merci.
Malgré moi, je les observe tout en les écoutant. C’est une conversation personnelle mais l’un comme l’autre ne semble pas gênés par leur indiscrétion. Celui qui est là pour participer, contre sa volonté apparemment, attire mon attention. Je ne constate aucune blessure physique expliquant le fauteuil roulant, néanmoins, ce qui me frappe en dehors de la greffe de peau encore fraîche qui disparaît sous la manche de son t-shirt, c’est le pansement qui recouvre la moitié de sa tête. Je suis comme hypnotisée par cet homme, non pas par ses meurtrissures, mais par la souffrance qui s’échappe de tout son être. Aux yeux de tous, il se débat avec son supérieur, sauf qu’il suffit de l’observer, lui, ses cheveux noirs en bataille, son visage émacié et terne, ses membres tremblants… tous ces signes reflètent son tourment.
Nos regards se croisent un instant et cela scelle ma décision de rester. Tout à coup, je suis incapable de tourner les talons pour quitter cet endroit. Si je le faisais, j’aurais le sentiment de l’abandonner, de le trahir même s’il est clair qu’il n’a aucune envie d’être là. Je ne connais pas ce pompier, pourtant, tout mon corps me crie de lui venir en aide.
La main de Carolyne sur mon épaule me force à revenir à la réalité, je cligne plusieurs fois des paupières avant de pivoter vers elle.
— Bree ?
Je déglutis et inspire profondément avant de répondre.
— Je vais le faire, soufflé-je, un timide sourire s’étirant sur mon visage.
— Bien. Allez vous installer, je m’occupe des retardataires.
Je la remercie et commence à me diriger vers l’espace qui nous est réservé, quand elle m’interpelle à nouveau :
— Bree ?
— Hmm ?
— Bonne chance, ajoute-t-elle avec sincérité.
Je vais en avoir besoin.
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Sabrina PAUGAM
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Emma Berthet
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Il y a 3 mois
Lyla_s3
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Emma Berthet
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Camilla_Melodie
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Nina Fenice
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Lily_D
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Emma Berthet
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Julia E. Lorrain
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Il y a 3 mois