Fyctia
Versace vs Valentino
En attendant de dévaliser l'entrepôt d'Interpol, je poursuis mes activités d'hôtesse dans l’événementiel.
L'ombre ne veut pas qu'on change nos habitudes. Ce qui veut dire qu'on va devoir cesser de se voir pendant quelques jours. Pour être fidèle à moi-même, je vais voler des bijoux, montres et liasses de billets.
Je préfère avoir un plan B au cas où tout ne se passe pas comme prévu par la suite avec l'Ombre. J'ai intérêt à être efficace. Un million d'euros en dix jours, ça ne va pas être facile à réunir.
Mario m'a envoyée du beau monde. Le casino fête son vingtième anniversaire en grande pompe. Il a dit aux plus riches clients de son hôtel qu'ils y trouveraient divertissements (concerts et cabarets), jolies femmes, meilleurs vins, gastronomie de pointe et bien sûr, roulettes et jeux de cartes.
J'ai revêtu ma plus belle robe. Une Versace écrue qui illumine ma peau mate avec des ornements en cristaux sur les fines bretelles. Je regrette presque que l'Ombre ne soit pas là pour voir ça. Je me demande ce qu'il est en train de faire de son côté.
A quoi un homme comme lui a-t-il l'habitude de s'occuper ?
Squatter la résidence luxueuse d'un autre inconnu ? Compter ses billets de banque ? Rendre visite à un homme qu'il aurait fait séquestrer ?...
Je ferais mieux d'arrêter de penser à lui. Il faut que je sois particulièrement concentrée ce soir.
Le casino ressemble à un grand palais orné d'une multitude de sculptures en pierre avec de hautes tourelles décorées de moulures. Pour y accéder, il faut contourner la grande fontaine circulaire d'où dansent des jets d'eau lumineux dans une chorégraphie complexe. Les escaliers sont bordés d'arbres verdoyants, rares et exotiques
Porsche, Lamborghini, Ferrari, Rolls Royce... Le service voiturier assiste à un défilé des plus belles voitures du monde.
Je jette un œil à Stella.
Elle affiche un air ébahi et niais.
Je n'arrive pas à croire que l'agence me l'a encore collée dans les pattes.
— Ferme la bouche. Personne n'a besoin de voir que tu es impressionnée. Pour en mettre plein la vue, ces types n'ont qu'à exhiber leur richesse devant leurs employés et les petites gens. Ici, ils ne veulent plus penser au boulot. Ils viennent pour s'amuser entre eux. Pourquoi crois-tu que je t'ai prêtée cette robe Valentino ? Pour te fondre dans la masse.
Ma deuxième robe préférée. J'ai quand même fait en sorte que Stella reste moins belle que moi.
— Mais je ne comprends pas...
Ça m'aurait étonné...
— Pourquoi des gens comme eux viennent au casino ? Ils ont bien assez d'argent, non ?
— L'adrénaline. Quand tu as tout, rien n'est plus bandant que d'avoir l'illusion que, pour une fois, tu peux tout perdre.
C'est un peu étrange de pénétrer dans ces lieux. Je n'arrive pas à m'enlever de la tête que mon père est entré dans ce même hall, qu'il a foulé cette même moquette, qu'il a posé ses yeux sur ce décor majestueux et scintillant du sol au plafond, quelques jours avant d'être kidnappé. C'est ici que son destin s'est joué.
Je ne peux m'empêcher de scruter chaque invité. L'un de ces Guest est peut-être lié à la disparition de mon père.
Durant la soirée, je fais mon boulot. J'accueille les convives, les oriente, réponds au moindre de leurs caprices. Je souris. Je suis polie, respectueuse et révérencieuse. Et je vole. Des bijoux légers et relativement petits pour tenir discrètement dans ma pochette. Des billets, essentiellement les pourboires du personnel parce qu'ils ne rentrent pas dans les caisses et que le vol sera plus difficile à détecter. Des jetons aussi. J'ai remarqué qu'une croupière et son collègue mettent l'équivalent de deux pour cent dans leurs poches dès que la mise dépasse 250 000 euros. J'ignore s'ils sont complices ou bien si c'est la direction du casino elle-même qui ordonne cet arrangement illégal (ce ne serait pas la première fois que ça arrive) mais, dans tous les cas, ni les employés, ni le casino ne portera plainte pour ces pertes.
Je ne serai pas fouillée à la sortie. Le casino préfère faire dans la discrétion. Il a investi dans des caméras de surveillance et un système électronique de repérages des fraudes sophistiqué. Mais la sécurité se concentre sur les tables de jeux.
Je prends plus de risques que d'habitude. Je multiplie les vols. Je n'ai pas vraiment le choix si je veux commencer à économiser pour la libération de mon père.
C'est terriblement grisant. Autour des tables, les joueurs se défient du regard, se jaugent, essaient de se démasquer les uns, les autres. Les hôtesses et le personnel du casino parlent de " gros poissons ". Personne ne sait que s'ils sont de gros poissons, moi, je suis le requin.
Contrairement à l'Ombre qui laisse sa signature derrière lui après chacun de ses vols, je n'ai pas besoin de montrer au monde l'étendue de mon talent. Etre la seule à savoir qui je suis réellement suffit à me satisfaire.
Paradoxalement, l'Ombre a besoin de lumière.
Moi, je me contente de me dire que tout là-haut, quelqu'un me voit.
Maman secoue la tête pour la forme. Mais elle affiche un petit sourire en coin. Au fond, elle est fière de moi. Sa fille domine, elle a le contrôle.
Avant de mourir de son cancer, elle a dit que je devais être une battante.
Elle a perdu contre la maladie mais moi, je gagne. Contre ces hommes puissants. Contre le système. Contre le destin que m'a réservé la vie.
J'ai amassé assez de bijoux pour ce soir. Ma pochette ne pourra pas contenir plus. Il est temps que je mette les voiles. Je ne tiens pas à être encore présente quand la rumeur de vols de bijoux se propagera. Avant de partir, je dois échanger les jetons contre du cash. Je m'arrange pour qu'un homme le fasse à ma place. Trop risqué de le faire en tant qu'employée de l'agence événementielle et je ne tiens pas à fournir une pièce d'identité.
"Ohlala, mes talons qui me font horriblement souffrir et cette file d'attente devant le guichet..."
Quelques battements de cils plus tard, le pigeon qui se croyait être un gros poisson récupére l'argent du requin aux faux airs de biche que je suis. On se croirait dans une fable de La Fontaine.
J'empoche l'argent et promets que je vais revenir juste après mon coup de fil important et qu'il pourra m'offrir un verre et peut-être même m'inviter à danser.
Je me dirige vers la sortie. En traversant la salle de jeux, je suis alpaguée par Stella.
— Oh, il y a un homme qui te cherche. Il avait ta photo...
Je sourcille.
— Qui ? Il t'a dit son nom ? Qu'est-ce qu'il voulait ?
— Je ne sais pas. Je lui ai confirmé que tu travaillais bien ici ce soir...
Même dans une robe Valentino, une gourde reste une gourde.
Je me presse vers la sortie prétextant de me sentir mal.
Presque arrivée à la porte, je suis interceptée par Fabrice et son stagiaire.
— Suis-nous.
Pas de politesse. Un regard de tueur. Et le bleu qui jubile.
Aïe.
— Désolée, j'ai d'autres projets.
Je me décale sur le côté mais Fabrice fait barrage.
— Tu préfères que je te fasse ouvrir ton sac sur le champ ?
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JULIA S. GRANT
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