Fyctia
Breitling Super Chronomat
Je déboule sur le trottoir juste à la suite de l'Ombre. Il se dirige droit vers la toile qui gît par terre. Je cours en direction de ma voiture. Les gravillons s'enfoncent dans la plante de mes pieds mais j'ignore ma douleur pour me retrouver au volant le plus vite possible. Je mets le contact et oublie la ceinture de sécurité. Pas le temps. Ces connards ont brisé la vitre côté passager. Les éclats de verre un peu partout m'inquiètent. J'espère que mon père n'a pas de blessures graves.
Dans le rétroviseur, je distingue la silhouette de l'Ombre qui vient de récupérer la toile et évalue les dégâts. Je résiste à l'envie de faire marche arrière et de faire une jolie peinture avec le bitume pour support et son corps écrabouillé en guise d'aquarelle.
Si je n'en fais rien, c'est par pur égard pour L' Appartement de Jalousie.
Je démarre en trombes, à l'affût. J'analyse chaque voiture que je croise, tourne à toutes les intersections sur ma droite dans un périmètre de deux kilomètres, fais demi-tour et m'engage dans les rues que je n'ai pas encore empruntées. Je balise le quartier méthodiquement. Toujours pas de berline noire en vue. Mon père ne répond pas à son téléphone. Je finis par me résigner, j' arrête d'appuyer frénétiquement sur la touche rappel. Ils lui ont pris son portable, c'est évident.
Mon téléphone sonne. Fébrile, je décroche dans la seconde. Mais ce n'est pas mon père.
Bien sûr, qu'est-ce que j'ai cru ?
La voix de Fabrice me crie dessus :
— Keyah ! Ça fait quinze fois que j'essaie de t'appeler ! J'ai une urgence !
Je soupire :
— C'est vraiment pas le moment là...
Je m'interromps.
A moins que...
A bien y réfléchir, ça tombe très bien !
— OK. Où je te retrouve ?
Fabrice marque un temps d'arrêt, probablement surpris de ce brusque revirement.
Puis :
— Au MonteCasta. Dès que tu peux.
***
Ce n'est qu'en arrivant sur le parking que je réalise le problème : je n'ai pas de chaussures. Même s'il me connaît, le videur ne me laissera pas entrer comme ça. Je suis obligée de marchander comme une poissonnière avec une fille qui fume sur le parking. J'ai beau lui certifier que ce n'est que l'affaire de cinq minutes et que je vais lui les rendre (je vais vraiment le faire, elles sont hideuses), elle est difficile à convaincre. Avec les péripéties de ce soir, j'avoue que mes talents de persuasion ne sont pas à leur apogée. Finalement, je lui propose de prendre ma montre en gage et elle capitule.
Une Breitling Super Chronomat !
Si elle avait ne serait-ce qu'une petite idée de ce que ça vaut, elle s'enfuirait avec. Mais je crois que je peux conclure sans trop me tromper qu'une femme qui porte des talons à plateforme aussi laids n'a aucune connaissance en montres de luxe et en jolies choses, en général.
Je retrouve Fabrice à l'intérieur. Je le salue.
— Brigadier-chef. Ton stagiaire n'est pas là ?
Le nouveau est là. J'ai juste fait semblant de ne pas le voir. Vu la tête qu'il fait, je crois qu'il me remet très bien lui aussi et qu'il n'a toujours pas digéré que je lui pique son flingue.
— Très drôle. Je suis brigadier.
Il reporte son attention sur son téléphone comme pour m'ignorer et me faire savoir qu'il est overbooké par ses fonctions très importantes de brigadier. Je le vois taper le mot de passe de sa messagerie. InspecteurGadget1998. Je souris intérieurement. Plus ringard, tu meurs.
Fabrice me renseigne sur la mission:
— Bon, je te mets au parfum. Dans la salle d'à côté, il y a des types louches avec une bouteille de whisky super chère sur la table. Tu ne peux pas te tromper. J'ai besoin de savoir lequel de ces gars a une grosse enveloppe sur lui. Le genre d'enveloppe où les billets dépassent, tu vois ? Et je veux bien que tu me dises aussi si l'un d'entre eux a une arme chargée sur lui. Je ne tiens pas à me faire trouer la peau ce soir.
— Compris. Je vais voir.
J'étudie une minute le groupe d'hommes depuis le seuil de la salle avant de me jeter dans l'arène.
T-shirt rouge est le plus alcoolisé, il tient à peine debout. Ce sera le plus facile à fouiller. Chemise blanche et barbe longue sont sur leurs gardes. Ils jettent des coups d'oeil suspicieux à tous les coins de la pièce. Ils aiment les jolies filles. Ils ne se sont pas faits prier pour reluquer la serveuse. Mais ils se sont renfermés dès qu'elle s'est approchée d'un peu trop près. Il va être compliqué d'aborder ces deux-là.
Plan B.
Je me dirige vers une table au hasard derrière eux. Je pique la montre d'un des types. Ça m'a pris deux secondes et il ne m'a même pas aperçue. Deux minutes plus tard, je retourne à cette même table pour demander l'heure. Le gars se rend compte qu'il n'a plus sa montre et commence à hurler qu'on l'a volé.
J'observe attentivement les réactions de mes cibles. En entendant crier au voleur, Chemise blanche a instantanément porté la main à la poche intérieure de sa veste. Bien gonflée.
Chemise blanche a l'enveloppe.
Un peu plus tard, je mets la main aux fesses d'une belle brune en me débrouillant pour que son mec qui l'accompagne - et que j'ai tout de suite catégorisé comme jaloux maladif - croit que c'était l'homme derrière eux le responsable. Comme prévu, une bagarre ne tarde pas à éclater.
Mes lascars ne résistent pas longtemps à leurs instincts bestiaux et ne peuvent s'empêcher de se joindre à la fête. Je les observe quelques secondes avant que des agents de sécurité interviennent.
Je retrouve Fabrice et son stagiaire dans la salle adjacente où je les ai trouvés.
— Chemise blanche a l'argent dans la poche intérieure gauche de sa veste. Barbe longue et T-shirt rouge ont un flingue mais T-shirt rouge n'est pas un danger. Il n'a plus aucun réflexe et ne saurait pas visé.
— Parfait. Merci Keyah.
— Je t'en prie. Alors, le stagiaire, t'en dis quoi ?
Je me penche vers lui pour le narguer.
Il se contente de secouer la tête et je ne ressens pas la moindre culpabilité à l'idée que je vienne à nouveau de le dépouiller.
Avant de sortir de la boîte, je demande à Fabrice :
— Tu as entendu parler de problèmes au Casino ?
Il ironise :
— Au Casino ? A longueur de temps. Je crois même que c'est dans leur brochure : "Venez chez nous, vous en ressortirez avec des tas d'emmerdes et des sous en moins".
— J'imagine. Si tu entends parler de grosse dette de jeu, vengeance et kidnapping, tu me préviens, OK ?
Fabrice hausse un sourcil mais finit par acquiescer.
Sur le parking, impossible de remettre la main sur la fille qui a ma Breitling. Putain de soirée de merde ! Le pire c'est que je suis sûre que cette gourde va la refourguer pour 1000 euros alors qu'elle en vaut dix fois plus. Heureusement que je venais de voler cette montre il y a deux semaines. Je n'ai pas eu le temps de trop m'attacher.
De retour dans ma voiture, je me réjouis au moins pour une chose. Je n'ai pas volé la montre du stagiaire mais j'ai mieux.
Son badge de sécurité du commissariat.
16 commentaires
Océane Ginot
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Elsa Carat
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Aldevir
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LilouJune
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JULIA S. GRANT
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Elsa Carat
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