Elsa Carat Bluff Jimmy Choo (Bis)

Jimmy Choo (Bis)

Sa bouche charnue chatouille mes lèvres. Son bas-ventre pèse sur le mien. Il me réchauffe.

Ce serait tellement facile de m'abandonner dans ses bras athlétiques. Oublier un instant d'être forte et solide pour céder à la tentation, me connecter à l'Ombre, sentir sa chaleur, son envie, savourer encore cette sensation enivrante d'être le premier de ses désirs, de devenir importante et précieuse, de compter vraiment pour lui, même si ce n'est que le temps de quelques minutes.


Mais je ne suis pas de celles qui cèdent à la facilité.


Mes yeux vont de sa bouche à la toile oubliée contre le mur.


Je murmure tout contre ses lèvres :


— Alors c'est ça ton truc ? Tu voles les belles choses juste pour le plaisir de ressentir qu'elles t'appartiennent puis tu les abandonnes dans un coin ? Et tu fais pareil avec les femmes ?


Un voile passe dans ses yeux. Il se ressaisit l'instant d'après :


— Je ne veux pas t'abandonner. Je veux que tu t'associes avec moi.


— Pour que je t'appartienne ? Pourquoi est-ce que je devrais collaborer avec toi ? Je. N'ai. Pas. Besoin. De. Toi.


Cette fois, il répond du tac-au-tac sans réfléchir, sûr de lui :


— C'est justement pour ça que tu me plais.


Je fais comme si cette déclaration me laissait indifférente.


— Je parie que ça marche à tous les coups... Tu obtiens toujours ce que tu convoites, n'est-ce pas ? Soit on te l'offre, soit tu le prends par toi-même...


Les traits de son visage se durcissent. Sa mâchoire se crispe légèrement.


— Crois-moi, ça n'a pas toujours été le cas. Mais maintenant, oui, je fais ce qu'il faut pour avoir ce que je veux.


— Mais tu ne te contentes pas d'"avoir", tu " possèdes".


Je le laisse méditer cette dernière phrase et en profite pour me dérober. Il pourrait facilement me clouer au sol, me forcer à rester allongée sur la moquette, sous son corps bien plus lourd que le mien mais il n'en fait rien. J'espère que c'est parce qu'il me respecte un minimum mais peut-être que c'est juste une façon pour lui de me prouver que j'ai tort, qu'il n'est pas obsédé par son désir de possession.

Que serait-il capable de faire dans le seul et unique but de ne pas avoir à avouer que j'ai raison ?


Je me remets debout, redescends l'ourlet de ma robe sur mes jambes. Assis par terre, à côté du taser, l'Ombre masque mal sa déception. Son regard se veut assuré mais les doigts de sa main gauche tapotent nerveusement la moquette. Son torse-nu me laisse tout le loisir d'observer la tension qui s'accumule dans son cou et fait gonfler ses veines.

Si on jouait au poker, je lui mettrais une raclée.


Nonchalamment, je me saisis de la peinture. Je me perds dans les yeux de cette femme noire, sûre d'elle et conquérante, malgré les conditions de l'époque.


— Tu l'aimes vraiment cette oeuvre ? Ou bien tu l'as choisie pour moi, pour m'impressionner en espérant que j'accepte de faire équipe avec toi ?


Il affirme en me fixant droit dans les yeux, comme s'il parlait plus de moi que de la toile :


— Elle me plaît vraiment.


— Vraiment ? C'est ce qu'on va voir !


Joueuse, je commence à passer doucement mes ongles longs sur la surface de la peinture puis les enfonce carrément et commence à gratter.


En un instant, l'Ombre a bondi sur ses pieds. Les effets du taser se sont complètement dissipés.


— T'es folle ? Arrête-ça ! Qu'est-ce que tu fous !


Sa réaction m'amuse. J'aime avoir réussi à le surprendre. J'aime le doute que je lis dans ses yeux : de quoi est-elle capable, jusqu'où est-elle prête à aller ? Et plus que tout, j'aime avoir repris le contrôle de la situation.


Je retire mes ongles de la toile mais ne la repose pas pour autant.


— Très bien, tu as gagné.


Je ne veux pas gâcher ma manucure.


Mais son répit est de courte durée. J'ai une bien meilleure idée.


Je me dirige maintenant vers le balcon. J'ouvre la porte-fenêtre, fais quelques pas sur la terrasse. Le vent fait claquer la toile. Heureusement qu'il fait presque nuit (j'arrive tout juste à distinguer ma Mercedes en bas), sinon les voisins auraient déjà appelé la police en découvrant L'Appartement de Jalousie que je brandis fièrement sur le balcon du quatrième étage. Je hausse un peu la voix pour couvrir les bruits de la nuit. L' Ombre est resté dans l'encadrement de la porte-fenêtre. Je retire mes escarpins, retrousse un peu ma robe et escalade le garde-corps. Telle Rose dans Titanic, je l'enjambe pour passer de l'autre côté. La manoeuvre est rendue plus difficile encore avec la toile que je tiens du bout des doigts de ma main gauche.


La voix de l'Ombre derrière moi n'est plus du tout joueuse.


— Ça suffit, Keyah, putain ! Qu'est-ce que tu cherches à prouver ? T'essaies de te tuer, c'est ça ?


Je distingue nettement la peur dans sa voix. Elle a pris des intonations vibrantes que je n'ai encore jamais entendues sortir de sa bouche. Je réalise qu'il ne s'est toujours pas avancé sur le balcon.


— Tu as peur ou quoi ? Tu as le vertige ?


Il est de plus en plus crispé et je comprends que j'ai visé dans le mille. Je ne peux m'empêcher d'éclater de rire.


— Sérieusement ? Au moins, je sais maintenant que tu n'escalades pas les murs et que tu n'entres pas par les fenêtres pour voler !


— T'es déçue ? T'as cru que j'étais spiderman ? Tu veux bien descendre maintenant, c'est plus drôle du tout !


— Demande-moi s'il te plaît.


Sa voix gronde derrière mon dos :


— Keyah.


— Allez, tu ne voudrais pas que je tombe... Ou que je laisse tomber la toile... D'ailleurs, qu'est-ce qui t'attristerait le plus ? Si tu pouvais en sauver qu'une seule, la toile ou moi, tu choisirais quoi ?


— Tu préfères ne pas le savoir...


Soudain, des cris nous parviennent d'en bas, depuis la rue. Je ne mets pas longtemps à reconnaître la voix de mon père. Par instinct, je me penche en avant pour essayer de distinguer ce qui se passe. Mon pied gauche glisse sur la rambarde, mon coeur s'affole, je crie. J'essaie de me rattrapper vainement. Je m'imagine déjà m'écraser contre le bitume quand les mains de l'Ombre s'agrippent fermement sur mes bras.


— Je te tiens !


Il a dépassé sa peur pour me porter secours. Nous comprenons tous les deux, en même temps, que j'ai fait tomber la toile. Mais ce n'est pas ce qui compte maintenant. Je crois que les gars de la Berline noire ont retrouvé ma voiture et qu'ils sont en train d'emmener mon père de force. Abandonnant mes escarpins Jimmy Choo, sans le moindre regret ce coup-ci, je cours vers l'intérieur de la chambre puis vers les escaliers. Pieds et torse-nu, l'Ombre me rattrappe et me devance.

J'éprouve un bref sentiment de reconnaissance avant de l'entendre tonner :


— Putain, Keyah, la toile ! T'as plutôt intérêt à ce qu'elle n'ait rien !




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4 commentaires

Océane Ginot

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Il y a 2 ans

L'ombre a choisi ! Et il ne pouvait pas deviner qu'il s'agissait du père de Keyah.

Cirkannah

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Il y a 2 ans

Quel chapitre époustouflant avec une ombre qui se dévoile un peu et paraît moins confiant et fort qu il n y paraît

Elsa Carat

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Il y a 2 ans

Merci encore ! Ça a été un vrai bonheur de découvrir tes commentaires toujours très justes et encourageants ! 😍

LilouJune

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Il y a 2 ans

Oh oh... La toile pour le moment je m'en fiche. Mais le papa ?! Ça sent le roussi !
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