Fyctia
La tempête (4)
Vers deux heures du matin, le jeune homme se résolut à acheter un thé au citron au distributeur de boissons chaudes qui se trouvait à quelques mètres à peine. Cela lui coûta deux euros. Pour beaucoup cela ne représentait qu’une pièce insignifiante. Pour lui, c’était une petite fortune quand on devait compter le moindre centime.
Liam prit le temps de savourer le breuvage au goût industriel. Il se demanda d’ailleurs où se trouvait le citron car dans le gobelet en plastique qu’il tenait entre ses mains, il avait l’impression qu’il s’agissait seulement d’eau bouillante.
Mais c’était toujours mieux que rien. Et si cela pouvait lui permettre de tenir, c’était de l’argent intelligemment dépensé.
Le jeune homme sentit avec bonheur la chaleur transpercer ses gants. Il avait froid malgré toutes les couches dont il était vêtu. Ses pieds engourdis lui faisaient mal. Il songea un instant à marcher quelques pas mais le vent qui soufflait toujours en puissantes rafales l’en dissuada. Il ne lui faudrait pas plus de cinq minutes pour être couvert de neige.
Liam savait que les températures étaient exceptionnellement basses pour la saison dans la plaine. Et qu’elles étaient descendues en dessous de zéro. Une situation classique dans les montagnes mais rare à Charnia. Il chassa néanmoins rapidement cette idée de son esprit. S’il pensait aux valeurs que devaient indiquer les thermomètres actuellement, il risquait de lâcher prise.
Liam compta les minutes et son regard se fixa sur l’entrée de la gare. Il devait encore tenir trois longues heures dans ces conditions pénibles.
Autour de lui, la neige s’était accumulée avec les bourrasques de vent.
Des camions passaient à intervalle régulier dans les rues afin de dégager la poudreuse et permettre aux rares véhicules de pouvoir circuler sans encombre.
Le jeune homme les observait avec attention pour ne pas s’endormir. Pour tromper son ennui et rester alerte, il essaya même de réciter par cœur certains de ses cours. Il se concentra particulièrement sur les techniques de nettoyage des tableaux et lista à plusieurs reprises tout ce qu’il avait appris au cours de ses études.
Il essaya ensuite de s’imaginer le travail qui pourrait être le sien s’il intégrait les ateliers de Gaetano Barisciani. Cette seule pensée le revigora. Il avait fait le plus dur. Il était arrivé à Andalia. Il ne lâcherait rien. Pas en étant si près de son objectif.
Enfin, après ce qui lui sembla être une éternité, les cloches de la cathédrale de Charnia annoncèrent la délivrance. Sa délivrance. Engourdi par le froid, Liam boitilla pour rejoindre la gare. Il fut le premier à se réfugier dans le hall des départs. À cette heure matinale, et avec la neige, le jeune homme ne fut pas étonné d’être le seul à se précipiter à l’intérieur.
Il se détendit. Le plus dur était passé.
Même si le lieu n’était pas chauffé, il était à nouveau à l’abri de la tempête.
Liam s’assit dans un coin qu’il estima le plus approprié, là où il serait à peine visible. Il n’avait pas envie de croiser des regards désapprobateurs.
Il resserra autour de lui la couverture que Danika lui avait donnée et il s’autorisa, enfin, à fermer les yeux. Deux heures plus tard, il se réveilla en sursaut.
Les annonces résonnaient plus fort et plus régulièrement dans la gare. Les voyageurs commençaient à affluer, tous priant pour que leur train circule malgré la neige.
Une délicieuse odeur de pain chaud agaça alors les narines de Liam. Il n’avait pas prêté attention à ce qui l’entourait lorsqu’il s’était installé dans son coin. Il grimaça en réalisant qu’il se trouvait pratiquement en face d’une boutique qui faisait office de boulangerie, de salon de thé et de sandwicherie.
Le jeune homme se leva avec l’idée de s’éloigner de la tentation. Ses finances restaient précaires. Il ne pouvait pas céder. S’il s’écoutait, il irait acheter un délicieux mocaccino. Il imagina les arômes du café et du chocolat, noir et amer de préférence, se mêlant généreusement à de la crème fouettée. En laissant échapper un grognement de frustration, il chercha du regard un autre endroit où se poser.
C’est alors qu’une femme sortit de la boutique, un sachet et un grand gobelet fumant à la main. Elle l’interpella avant qu’il n’ait eu le temps de fuir :
— Ne partez pas ! Je vous ai vu arriver et je présume que vous avez passé la nuit dehors. Tenez, prenez ceci. C’est du chocolat chaud. Et il y a deux croissants fourrés à la frangipane dans ce sac.
— Merci madame, murmura Liam en baissant les yeux.
Le jeune homme se réinstalla dans son coin, gêné par cette attention. Il n’aimait pas se sentir vulnérable et encore moins dépendre des autres pour se nourrir. Il n’avait pas une apparence misérable comme certains pensionnaires du foyer mais avec sa couverture et toutes ses couches de vêtements, il n’avait aucun doute sur l’image qu’il renvoyait aux passants. Un sans-abri. Un homme dans le besoin. Quelqu’un qui dépensait certainement son argent dans l’alcool et le tabac. Ou pire, la drogue. Un fainéant qui n’avait pas envie de travailler. C’est ce que disaient ses amis à Paris, lorsqu’ils découvraient des silhouettes endormies sous des cartons dans les rues de la capitale française.
C’est ce qu’il pensait parfois lui-aussi. Liam se sentit tout à coup honteux. Un jour il ne manquait de rien, le lendemain il avait tout perdu. Pourtant il n'était pas alcoolique. Et encore moins un junkie. Et il était pourtant à la rue.
Il jeta un coup d’œil discret vers la boutique. Même s’il devait encore passer plusieurs nuits dehors, il savait qu’il éviterait le coin dans les prochains jours.
« Orgueil mal placé » aurait dit son ex-meilleur ami. Sans doute.
Cependant, le jeune homme n’arrivait pas à accepter sa situation précaire. Il ne vivait pas dans le luxe à Paris, mais il s’en sortait. Il mangeait à sa fin, il dormait dans un lit confortable et il avait du chauffage dans son studio.
Et il avait pour habitude de détourner le regard dans la rue lorsqu’il apercevait des sans-abris.
Voilà peut-être pourquoi il résisterait aux marques de bienveillance de la commerçante. Il ne lui laisserait plus l’opportunité de l’aider.
Tandis qu’il mangeait son premier croissant, il sentit le regard de la femme posé sur lui. Un profiteur, voilà comment il s’identifiait à l’heure actuelle. Et il détestait cela.
Heureusement, il fut bientôt l’heure pour Liam de se rendre à son nouveau lieu de travail.
----------
Le calvaire se termine pour Liam. Enfin, temporairement...
4 commentaires
Cirkannah
-
Il y a un an
Gottesmann Pascal
-
Il y a un an
Emma Eichen
-
Il y a un an
Jensen Mila
-
Il y a un an