Fyctia
Chapitre 3 - Partie B
— Seo Rin —
Le bruit ambiant du réfectoire est une migraine sonore à lui seul. Rires forcés, bouchées mal mâchées, assiettes qui raclent, et surtout… les voix stridentes de Yejin et Hye Min.
— Franchement, j’comprends pas ce que Jiho lui trouve à Sarang. Il lui parle à elle ? Alors qu’il répond même pas aux profs ?
Yejin. Toujours en boucle.
— C’est clair, enchaîne Hye Min. Il arrive ensemble le matin et il l’attent toujours, après les cours. C’est chelou, non ?
— C’est à cause de son aura d’étrangère mystérieuse. Les mecs, ça les excite.
— Moi, je le connais depuis le primaire. Jiho et moi, on est compatibles. J’le sens. Je l’ai toujours senti, reprend Yejin
Je suis là, physiquement. Mais mon esprit est ailleurs.
— T’écoutes ou pas, Seo Rin ?
Je cligne des yeux. Lentement. Et je tourne la tête.
— Tais-toi.
Yejin se fige.
— Quoi ?
— Regarde ce qu’il va se passer.
Elle suit mon regard.
Le garçon de ce matin. Kang Ho. Il déballe son déjeuner comme si de rien n’était.
Ouvre son sandwich. Croque. Puis un hurle.
Il crache. Se lève d’un bond. Sa langue saigne. Le sandwich tombe au sol.
Dedans, des éclats. Des petits morceaux brillants. Irréguliers… Du verre.
La panique se répand en une vague.
Yejin me fixe, pâle.
— Mais… comment t’as su ?!
Je souris. Un vrai sourire.
— Un pressentiment.
Je croque dans mon fruit comme si de rien n’était.
La journée de cours s’enchaine et le brouhaha habituelle laisse place à un silence savoureux. Les élèves sont rentrés chez eux ou font semblant d’avoir une vie. Moi, je suis restée. Parce que le silence est plus net quand il flotte dans un endroit qui a été saturé de bruit.
Il arrive. Je le sens avant même de l’entendre. Il a cette façon de perturber l’air. Comme si le monde devenait plus léger autour de lui.
— Tu ressemble une affiche de campagne anti-drogue, t’sais ? “Regardez ce que l’ennui peut causer à vos enfants.”
— Dégage, Yun Ha.
Il s’assoit à côté de moi.
— Mon frère m’a dit que tu l’avais aidé, aujourd’hui.
— Ah bon ? C’est ce qu’il raconte ?
— Ouais. Deux crétins lui ont piqué son sac. Ils ont déchiré son devoir de sciences. Il était en pleurs. Il dit que t’as fait payer le gars, genre vraiment, et que t’as refait son devoir à sa place.
— Si ce que tu dis est vrai… que je l’aidé… alors sache que je ne l’ai pas fait pour toi. Et je ne recommencerai pas, alors il faut qu’il apprenne à se défendre.
Il fronce les sourcils. Il sait que Je n’aide pas les gens. Mais Min Jun, ce n’est pas “les gens”. C’est un peu le petit frère que je n’ai jamais eu.
Yun Ha glisse lentement sa main vers la mienne.
Je le laisse faire. Une seconde. Deux secondes… Ça me brûle. Pas sa main. L’instant. L’espace entre nous, trop petit pour deux cœurs qui battent trop fort. Je retire ma main. Doucement. Mais c’est plus violent qu’une gifle.
Je me lève et part. Chaque pas est une guerre contre moi-même.
Il croit que j’ai besoin d’un meilleur ami. Et moi, je crois que je ne mérite rien de lui.
Mais je me retourne. Une demi-seconde. Il est là. Toujours assis. Toujours à me regarder. Avec… cette tendresse résignée qu’il ne sait pas cacher. Ce truc doux, que je ne mérite pas et que lui s’obstine à me tendre.
Je me hais de l’aimer comme je l’aime. Parce que ça rend les choses plus dures. Si seulement il me haïssait, tout serait plus simple.
Il reste 26 heures.
La vidéo tourne encore. L’homme est toujours là; Il s’appelle Park Tae Min, 42 ans. Marié. 2 enfants. Responsable logistique. Il prend son café avec une goutte de lait. Et, il garde toujours son alliance, même pendant ses rendez-vous à l’hôtel. Il a menti à sa femme pendant 3 ans. Il pensait qu’elle ne le saurait jamais.
Moi, je le sais. Pourquoi ? Parce que je suis comme toi ? Ou parce que je suis meilleure que toi ?
Je murmure ça pour celui qui m’a envoyé cette vidéo. Celui qui m’a invitée à son jeu. Pensant que j’allais refuser… Ou obéir sagement.
Je vais jouer. Mais à ma manière.
Je regarde, encore. Je fixe l’arrière-plan. Une ampoule qui grésille une fois toutes les 10 secondes. Un tuyau en PVC gris, entaillé, avec des marques rouges. Un bout de carrelage cassé. Un fil électrique qui pend. Une tache de rouille.
Je mets pause. Je zoome. Dans le coin inférieur droit de l’image, un reflet dans une flaque d’eau au sol.
Une lettre. Juste un fragment.
“G…” Je plisse les yeux. Ce n’est pas une lettre. C’est un logo.
Je l’ai déjà vue. Sur les plans d’un ancien bâtiment industriel désaffecté, depuis 2014. Je l’ai vu quand je cherchais un endroit où disparaître.
L’usine G-Won Industries. Au nord de la ville.
Le sol en béton. Les murs tachetés. La texture. Tout colle.
Tu crois que c’est des détails ? Moi, j’y vois un plan. Une carte. Une faille.
Je me lève. Il reste 21 heures.
J’avance dans le bâtiment abandonné. Je suis venue pas pour lui, mais il est bien là.
Park Tae Min. Quand il me voit, ses yeux s’écarquillent. La panique est immédiate. Il recule son dos contre sa chaise, tente de hurler malgré le bâillon.
Je m’approche, lentement. Ma voix claque dans l’espace vide :
— Arrêtez de bouger. Je n’ai pas toute la nuit.
Il hurle à travers le tissu. Ses yeux ruissellent de peur.
Je m’accroupis, sous ma jupe d’uniforme, un couteau, fixé à ma cuisse. Une lame fine, précise. Je le sors. Il pense que sa fin est venue. Il ferme les yeux. Tente de prier.
Je coupe. Les liens. Un à un.
La corde cède dans un bruit sec. Je me redresse.
— Tu as 30 secondes pour fuir. Je ne te le répéterai pas.
Il hésite, me regarde, encore incapable de comprendre.
— Cours.
Il se lève, titube, s’effondre, mais se relève, et disparaît dans l’ombre.
Moi, je ne bouge pas. Je reste là, au centre du piège. Pas parce que je suis naïve. Parce que je sais qu’il est là, dans l’ombre.
Un souffle derrière moi. Un pas étouffé. Un mouvement trop rapide.
Puis… quelque chose que je n’avais pas anticipé.
Un choc.
Une douleur vive.
Le sol qui tangue.
Je me réveille. C’est moi maintenant qui est ligoté, à cette chaise. Le métal froid me mord la peau. Les liens sont serrés. Ma tête bourdonne.
Et lui… Il est là.
Silencieux. Une silhouette sans visage. Capuche. Cagoule noire. Gants épais.
Rien à voir. Rien à entendre. Juste une présence.
Il ne parle pas. Il sort son téléphone. Tape. Lentement. Comme s’il savourait chaque lettre.
L’écran s’illumine.
: “Tu continues à gâcher ton potentiel.”
Il tape à nouveau.
: “Tu crois que tu es différente ? Tu es juste en retard.”
Il écrit encore, le téléphone se tourne vers moi.
: “Tu l’as sauvé. J’espère que c’était satisfaisant.”
: “Parce que ça ne changera rien.”
Et puis le dernier.
: “Il y en aura d’autres. Jusqu’à ce que tu acceptes qui tu es.”
: “Jusqu’à ce que tu me rejoignes.”
L’écran s’éteint.
Et moi ?
Je souris.
Il croit qu’il m’a piégée. Mais il a juste ouvert une porte. Et maintenant, je suis à l’intérieur du jeu.
Et dans ma tête, une seule pensée s’imprime : Tu veux voir un monstre ? Tu n’as encore rien vu.
1 commentaire
Astrid.D
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Il y a 7 jours