serahminneha Blame Her Chapitre 2

Chapitre 2

— Yun Ha —

Chez moi, c’est un joyeux bordel, bruyant et rassurant.


— Laisse MES céréales !

— Les tiennes ? Depuis quand ?


Et me voilà, au milieu du chaos. Ma grande sœur m’arrache la boîte de céréales, mon petit frère hurle à l’injustice, et notre père… Eh bien, il lit son journal avec un calme olympien, comme s’il avait développé une sorte immunité.


Depuis que maman est partie, il n’a jamais flanché. Il a appris à tresser des cheveux, et à sécher des larmes. Et moi, je l’admire pour ça.


Je prends un pancake, le roule comme un burrito et le fourre dans ma bouche.


Je saute dans mes baskets, j’attrape mon sac, et je claque la porte.


Direction l’enfer : le lycée.

Et comme prévu… Je suis en retard.


Le bâtiment se dessine au loin, un peu trop dramatique pour un lieu censé accueillir des ados en crise. Mes jambes me brûlent. Mon pancake du matin me fait des adieux douloureux dans l’estomac.


Le surveillant est là. M.Do. Regard noir. Chronomètre en main.


— En retard. Encore.


— C’est mon concept artistique. La ponctualité, c’est surfait.


Il lève un doigt, sans émotion.


— 3 tours de terrain.


— Allez… Deux et demi, pour l’effort ?


Il lève un sourcil. Traduction : Essaie encore, gamin.


3 autres élèves arrivent au compte-goutte, transpirants, hagards. Je reconnais Jun Beom, il arrive toujours avec une excuse différente.


— Je suis tombé dans une bouche d’égout, M.Do j’vous le jure !


— Bien tenté, mais tu vas courir.


Il me tape dans la main, avec ce regard et ce sourire en coin. On sait qu’on va souffrir, mais au moins, on a tenté quelque chose pour y échapper.


1er tour.

Je fais genre, je gère. Posture d’athlète. Respiration contrôlée. Vibe Usain Bolt version lycéen flasque.


2ème tour.

Je commence à négocier avec Dieu. Ou Satan. Je prends ce qui vient.


3ème tour.

Mes poumons déposent leur lettre de démission. Mon âme a déjà pris un Uber vers l’au-delà.


M.Do nous fixe un long moment.


— Retournez en classe.


— Merci pour la remise en forme. J’ai perdu 3 litres de dignité, mais je me sens purifié, grâce à vous.


Il m’ignore. Classique.


J’entre en classe avec la discrétion d’un éléphant enrhumé, et je fonce jusqu’à ma place. Celle à côté de Seo Rin.

Je m’installe, pose mon sac, me tourne vers elle, prêt à…


PAF.


Elle me met un coup de coude.

Un « tais-toi » silencieux, mais efficace.

Et ça me fait sourire encore plus.


Elle est brillante. Imperturbable. Une beauté glacée qui fait taire une salle sans un mot. Ses cheveux longs, sombres, encadrent son visage. Sa peau est pâle, presque fragile. Et, parfois, elle sourit, et alors tout change.


Et moi ?


Je suis le gars d’à côté, celui qui rêve de peindre la façade du lycée en rose néon.

Je me fiche de l’école. Vraiment. Je viens pour voir mes potes, et dessiner.

Je ne rêve pas d’une vie normale.


Moi, je veux être célèbre. Peindre des fresques gigantesques sur des buildings à New York, signer des expos à Tokyo, balancer de la couleur sur le monde. Et puis… être riche. Ultra riche.


Parce que soyons honnêtes : il vaut mieux pleurer dans une villa avec piscine que rire dans un studio humide. Non ?


Bon, moi, je ris quand même. Tout le temps. C’est mon super pouvoir. Même quand ça ne va pas. Je perds jamais mon sourire.

Sauf peut-être à cause d’elle.


Je me souviens du jour où je l’ai vue pour la première fois. J’avais 6 ans.

Les Hwang, mes voisins, sont rentrés avec une gamine silencieuse, une peluche dans la main, les yeux fixés sur le sol.


Depuis ce jour, je l’ai appelée Missy.

Un surnom moqueur, tendre, un peu débile. Un mélange bancal entre “missing” et “miss you”. Parce qu’elle avait toujours l’air d’être ailleurs, comme si elle disparaissait dans ses propres pensées. Et parce qu’elle me manque, même quand elle est là, à 20 centimètres de moi.


La sonnerie retentit.

Les élèves rangent leurs affaires, se lèvent, discutent.


Moi, je n’entends rien.

Je suis bloqué. Coincé entre mes souvenirs et la beauté insupportable de son profil.

Et c’est sa voix qui me ramène.


— Yun Ha ?


Je sursaute.


Elle me regarde avec cet air neutre qu’elle maîtrise à la perfection.


— Ton cours d’art, tu vas encore arriver en retard, si tu reste là.


Je hoche la tête. Me lève d’un bond.

Direction mon seul vrai refuge : la salle d’art.

J’ouvre la porte de la salle d’art, et l’odeur me percute. L’odeur de la peinture, du bois, un soupçon de colle oubliée : mon parfum préféré.


Et là, au fond, elle est déjà là.

Sarang, une nouvelle élève, elle vient d’Italie.


— T’es à l’heure ? Tu t’es cogné la tête ?


Je lui fais un clin d’œil en posant mon sac.


— J’ai sprinté comme si ma vie dépendait d’un tube de gouache. T’as vu cette dévotion ?


— Waouh, bravo. Tu sais que t’as encore de la peinture sur ta chemise ?


— C’est pas une tache, c’est une signature.


Elle lève les yeux au ciel, mais je la vois sourire.


Le prof entre, M.Kang. La légende de l’art en blouse froissée.


— Aujourd’hui, exercice d’émotion. Peignez ce que vous ressentez. Direct. Brut. Sale, même, s’il le faut. Je veux du vrai. Et si c’est moche ? Tant mieux.


Je m’installe. Je choisis une toile carrée, un peu usée.

Je déballe mes pinceaux, mon acrylique, je touche la surface comme si je saluais un vieil ami.


— Prépare-toi à être humilié, Picasso.


— Moi ? Humilié ? Par toi ? La fille qui croit que les couleurs pastel, c’est une déclaration politique ?


— Au moins, mes toiles n’ont pas l’air d’un ouragan sous acide.


— T’es cruelle. Je croyais qu’on partageait un lien sacré.


— On partage un tube de peinture, c’est déjà bien.


Elle ne me regarde pas. Elle est occupée à tapoter sa palette, concentrée. Et moi, je la fixe une seconde. C’est bizarre : avec Sarang, on peut s’envoyer des vannes en rafale sans jamais se crisper.

On s’installe. Nos chevalets sont côte à côte. Trop proches. Volontairement ? Peut-être.


Je commence à peindre. J’attaque la toile comme une tempête. Mes coups de pinceaux sont larges, rapides, presque brutaux.


À côté, Sarang peint lentement. Sa toile est plus douce, mais y a une tension dedans. Une silhouette floue. Et moi, je jette un coup d’œil par-dessus son épaule.

Elle se tourne vers moi. On est trop proches. Juste assez pour que l’air entre nous crépite un peu.


— Tu sais que les gens nous regardent, hein ? elle souffle.


— Tu crois qu’ils se demandent si on est ensemble ?


On se fixe. Une seconde. Deux.

Puis on éclate de rire, en même temps.

On se comprend.

Et qu’on oublie, quelques instants, tout le reste.

Je suis sur le point de ranger mes affaires quand mon regard glisse vers sa toile.


Et je fige.


Elle m’a peint.

Mon visage. Mon expression.

Et c’est là que ça me frappe.

Elle ne m’a pas regardé. Elle n’a jamais levé les yeux vers moi.


Je ne sais pas ce que je suis censé ressentir.

De la gêne ? De la fascination ? De la peur ?


Je me tourne vers elle.


Elle discute avec un autre élève, pinceau en main, totalement détendue.


Mais moi, je reste là, avec cette étrange impression qu’elle m’a volée quelque chose.

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2 commentaires

Hooper (Seb Verdier)

-

Il y a 8 jours

Quelques likes d'entraide ;)

loup pourpre

-

Il y a 8 jours

Merci. 😉
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