Fyctia
Chapitre 1: Samia 3/3
Samir a emmené les enfants à l’école aujourd’hui. Pour chaque anniversaire, il prend une journée de repos pour la passer en famille. Avant de partir, comme à son habitude, il m’a interdit de m’occuper de la maison. C’est sa règle : « Pas de ménage pour toi ce jour-là. »
À ma grande surprise, tout est déjà impeccable : les lits sont faits, les pyjamas soigneusement pliés, même la chambre de Samir est en ordre. Ce genre de petits gestes me touche toujours, même si je ne le dis jamais. Je décide de profiter de ce moment rare pour moi-même.
Dans la salle de bain, je fais couler un bain bien chaud, ajoutant une bonne dose de bain moussant. J’aime la mousse. Elle me permet de camoufler mon corps sous une couche légère, presque protectrice, pendant que je me lave. Les bains sont une échappatoire pour moi, bien plus que les douches. Dans l’eau, je peux me cacher, oublier un instant ce que je ressens, ce que je porte.
Une fois la baignoire prête, je me déshabille rapidement et glisse dans l’eau chaude. Mon corps s’immerge, et je laisse échapper un soupir. Je m’allonge dans la baignoire, les yeux clos. Mais à peine ai-je commencé à me détendre que les souvenirs refont surface. Brutaux. Incontournables.
C’était après mon sauvetage. Les jours qui ont suivi restent flous, comme un rêve où tout se mélange.
Quand je suis arrivée à l’hôpital avec mon fils Djibril, on nous a immédiatement conduits dans une pièce sans fenêtres. Cette simple absence d’ouverture a suffi à réveiller mon angoisse. Les murs gris et l’odeur de désinfectant me donnaient la nausée, mais ce qui me hantait le plus, c’était cette impression d’être encore enfermée. Je m’efforçais de respirer, mais mon cœur battait trop fort.
Une infirmière est entrée. Elle s’est présentée : Jo. Une femme dans la trentaine, aux cheveux attachés à la va-vite et au regard doux. Elle m’a dit qu’elle serait là pour moi, et rien que pour moi. Je n’ai pas compris tout de suite. Sa voix était un écho, un murmure qui se perdait dans le bruit de mon esprit. Mais ses gestes étaient rassurants. Elle a posé une main sur mon bras, une caresse légère, et a murmuré des mots que je ne pouvais entendre, mais qui semblaient faits pour apaiser.
Puis elle a tendu les bras pour prendre Djibril. Là, tout mon être s’est réveillé. Non. Je ne voulais pas qu’elle le touche. C’était mon fils. Mon tout.
Jo a reculé doucement.
— Je comprends, a-t-elle dit. Mais je dois m’assurer qu’il va bien. Il n’a jamais vu de médecin, n’est-ce pas ?
Je voulais répondre que je n’en avais jamais vu non plus, à part celui de… eux. Celui des White Domination. Mais les mots restaient coincés dans ma gorge.
Jo m’a promis qu’elle examinerait Djibril dans la même pièce que moi, qu’on ne nous séparerait pas. À contrecœur, j’ai hoché la tête. Tout s’est enchaîné ensuite, à une vitesse que je ne pouvais pas suivre.
La porte s’est ouverte, et une équipe médicale a envahi la pièce. Ils s’affairaient autour de moi et de Djibril, faisant passer examen sur examen. La douleur physique était omniprésente, mais ce n’était rien comparé à cette peur sourde de perdre mon fils.
Je n’entendais pas les mots des médecins, juste un bruit de fond indistinct. Tout ce que je voulais, c’était que ça cesse. Que je retrouve Djibril et qu’on me laisse tranquille.
Mes parents et mes frères étaient absents. Personne n’était venu me voir, ce qui me plongea encore plus dans les abîmes. Trois jours après notre arrivée, ma mère est venue, mais rien ne m’avait préparée à la voir ainsi.
Quand elle est entrée dans la pièce, son regard m’a transpercée. Ses yeux étaient remplis d’une tristesse que je n’avais jamais vue chez elle. D’ordinaire, elle était une femme forte, pleine de vie. Mais là… Son visage était marqué, ses traits tirés, comme si elle avait vieilli de dix ans en mon absence.
Elle s’est assise sur une chaise, dans un coin, sans un mot. Mais ses yeux… Ses yeux fixaient Djibril. Pas avec amour, non. Avec gêne. Comme si sa simple présence la dérangeait.
Je voulais qu’elle nous prenne dans ses bras, qu’elle me dise que tout irait bien. Mais elle est restée immobile, distante. Et cette distance me tuait. Elle ne me parlait pas non plus, j’avais l’impression d’avoir commis une faute impardonnable. Alors que j’étais la victime.
Des médecins, des infirmières, même un psychologue, m’ont demandé si je voulais faire adopter Djibril. Pour « reprendre ma vie en main », disaient-ils. Chaque fois, ma réponse était la même : non. Je ne pouvais pas. Djibril était la seule raison pour laquelle je restais en vie. Sans lui, ma vie ne valait rien. Il ne me restait que mes derniers mois dans la tête.
Quelques heures après l’arrivée de ma mère, Jo est revenue. Son visage était grave. Elle s’est approchée lentement, et j’ai compris. Au fond de moi, je le savais déjà.
— Samia, tu es enceinte, m’a-t-elle dit d’un ton à la fois doux et ferme. Tu veux le garder, ou… ?
— Elle doit avorter. Ce n’est même pas une question, répondit ma mère d’une voix tranchante, avant même que je puisse parler.
Mon corps n’était plus qu’un objet, encore.
La décision a été prise sans moi, encore.
Et j’ai dû me taire, encore.
Alors ma voix s’est éteinte, encore.
Tout ce que je pouvais faire, c’était serrer Djibril contre moi, encore.
Ma mère s’est levée, droite, imposante, et m’a dit en arabe :
— Quand tu seras de retour, on discutera de la suite.
Puis elle est sortie, sans un regard.
Je n’oublierai jamais cette scène. Mon corps sur cette table d’hôpital, l’infirmière qui préparait l’intervention, les outils froids posés près de moi.
Le froid m’a envahie. Mais ce n’était pas le froid de la pièce. C’était un froid plus profond, plus glacial, qui s’infiltrait dans chaque fibre de mon être.
Et moi, qui pensais avoir touché le fond ce jour-là… Je ne pensais pas qu’il pourrait y avoir pire. Grave erreur.
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Zatiak
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Il y a 2 mois
Salma Rose
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Il y a 2 mois
Stormy__a
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Il y a 2 mois
Salma Rose
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s'may
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Renée Vignal
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s'may
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Emmy Jolly
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Il y a 2 mois