Fyctia
Prologue : Samir (suite)
— Comment t’appelles-tu ? demanda Joseph, d’une voix douce, presque paternelle.
— Samia… et mon fils… s’appelle Djibril, balbutia-t-elle en désignant le bébé.
Je serrai les dents, luttant pour contenir la rage qui grondait en moi. Samia. Ce nom me rappela un avis de recherche qui avait circulé il y a près de deux ans. Elle venait tout juste d’avoir treize ans lorsqu’elle avait disparu. Une enfant kidnappée, brisée, réduite à l’état de victime silencieuse.
Chaque cicatrice, chaque tatouage forcé sur sa peau racontait l’horreur qu’elle avait endurée.
— Pitié… ne lui faites pas de mal, supplia-t-elle, tremblante.
Mon cœur se serra à ces mots.
— Tu ne risques plus rien, lui murmurai-je en lui tendant son fils. On va vous sortir d’ici.
Son regard s’emplit de larmes, mais elle hocha faiblement la tête. Ses doigts tremblants se refermèrent autour de son enfant, comme si elle n’osait pas croire à ce miracle.
— N’aie pas peur, mais pour sortir d’ici, je vais devoir vous porter. Tu es d’accord ? lui demandai-je doucement.
Elle acquiesça après un moment d’hésitation.
Je pris Samia et Djibril dans mes bras et me dirigeai vers la sortie. Ils étaient si légers que cela me brisa encore davantage. Toni ouvrait la voie, ses épaules tendues sous le poids de l’horreur que nous venions de découvrir. Derrière nous, un silence oppressant régnait. Il n’y avait plus de paroles. Seulement la poussière étouffante d’un combat gagné à un prix bien trop élevé.
En remontant, nous rejoignîmes nos frères, qui venaient de neutraliser les derniers suprémacistes. Leurs visages étaient fermés, marqués par la fatigue et la colère. Aujourd’hui, nous avions perdu un peu plus notre innocence. David, notre vice-président, avait péri, accompagné de quatre autres frères. Une perte qu’aucune victoire ne saurait compenser.
Cette nuit, le ciel de Blacksilverstone ressemblait à une couverture lourde et oppressante. Le silence des survivants hurlait l’inhumanité de ceux que nous avions affrontés. Alors que je franchissais enfin la porte, Samia et son bébé toujours dans mes bras, l’air frais de l’extérieur avait l’odeur de la mort Et pourtant, il fallait avancer.
Le regard que me lançait Samia, mélange de gratitude et de peur, m’ébranlait profondément. À cet instant, elle réveillait en moi des souvenirs que j’avais tenté d’enfouir, des spectres surgissant de l’ombre pour réclamer leur place. Son fils, aussi frêle qu’une crevette, agrippait mon blouson d’un geste presque inconscient, comme s’il cherchait un point d’ancrage dans ce chaos.
À peine sortis, Joseph aboyait déjà des ordres, sa voix pleine d’une autorité implacable.
— Alexandre, appelle le 911. Qu’ils bougent enfin leurs culs pour finir le travail ! Travis, prends quelques hommes et sécurisez le périmètre. Toni, prépare un feu de signalisation pour guider les secours.
— Et pour eux ? demanda Matt en désignant les hommes et les femmes que nous avions capturés. Ces monstres s’étaient cachés derrière leurs armes et leurs croix, sûrs de leur impunité.
Joseph se tourna lentement, ses yeux brûlant d’une rage froide et contenue.
— On les garde vivants… pour l’instant. La justice de la rue, c’est une chose, mais je veux que leurs crimes soient exposés à la lumière. Pas question qu’ils disparaissent sans que le monde sache ce qu’ils ont fait. Et aussi pour que cela serve d’avertissement aux prochains. Blacksilverstone est à nous. Et voilà ce qu’il se passe quand on ose nous chercher.
Je voyais dans ses poings serrés à quel point cette décision lui coûtait. Il aurait préféré les exécuter sur place. Nous le voulions tous. Mais Joseph n’était pas seulement notre Président ; il était notre conscience, celle qui nous empêchait de sombrer définitivement dans la vengeance.
Matt acquiesça sans un mot, les mâchoires serrées. Il savait que c’était une mission délicate : contenir une rage bouillonnante tout en s’assurant que ces hommes soient traités comme des prisonniers, et non comme les animaux qu’ils étaient devenus.
Samia tremblait toujours dans mes bras, ses yeux perdus dans le vide, comme si elle peinait à croire qu’elle était enfin sortie de ce cauchemar. Djibril, blotti contre sa mère, avait cessé de pleurer. Son souffle saccadé me rappelait à quel point il était fragile.
Joseph m’adressa un regard chargé de signification.
— Emmène-les à l’écart. Elle n’a pas besoin d’entendre ce qui va suivre.
Toni m’accompagna en silence, une présence rassurante et discrète. Il déposa son blouson sur Samia. Elle sursauta légèrement au contact avant de murmurer un faible « merci ».
— On va rester ici, dis-je à voix basse. Les secours ne devraient plus tarder.
Samia leva enfin les yeux vers moi, cherchant mes prunelles comme pour s’assurer que tout cela était bien réel.
— Vous… vous allez rester avec nous ?
— Bien sûr, répondis-je sans hésiter, ma voix plus douce que je ne l’aurais cru. Je ne vais nulle part.
Le silence s’installa entre nous, lourd mais apaisant. Je m’efforçais de me concentrer sur Samia et Djibril, sur leur présence tangible, comme pour m’ancrer dans cette réalité. C’était la seule chose qui comptait à cet instant.
Finalement, Samia murmura d’une voix brisée :
— Ils… ils m’ont dit que personne ne viendrait jamais. Que personne ne se soucierait de moi…
Je me penchai légèrement pour croiser son regard.
— Ils avaient tort, Samia. Tu es en vie. Ton fils est en vie. Et on ne te laissera plus jamais seule.
Ses yeux s’emplirent de larmes, et elle se laissa enfin aller à pleurer. Des sanglots silencieux, poignants, presque douloureux à regarder. Toni posa une main réconfortante sur mon épaule avant de s’éloigner légèrement, lui laissant un semblant d’intimité.
Lorsque les sirènes des secours commencèrent à résonner au loin, je ressentis un étrange mélange de soulagement et d’amertume. Nous avions gagné cette bataille, mais à quel prix ? David et quatre autres de nos frères ne reviendraient pas. Ces vies brisées, ces pertes irréparables resteraient gravées à jamais dans nos esprits.
Joseph finit par apparaître, son visage fermé. Il s’arrêta devant nous, son regard s’attardant sur Samia et Djibril avant de se tourner vers moi.
— Les secours arrivent. On va les laisser prendre le relais.
— Et nous ? demandai-je en serrant légèrement Samia contre moi.
Joseph prit une profonde inspiration, son regard lourd de détermination.
— Nous avons encore du travail. Blacksilverstone ne sera jamais en paix tant qu’il restera des hommes comme eux.
Je hochai la tête, résigné. Il avait raison. Cette mission n’était qu’une étape dans une guerre bien plus vaste. Mais pour l’instant, la priorité restait Samia et Djibril.
Alors que je les confiais doucement aux ambulanciers, un poids immense s’abattit sur mes épaules. La rage, la douleur, la culpabilité… mais aussi une détermination froide. Nous ne pouvions pas abandonner. Pas tant que ces horreurs continueraient d’exister dans notre ville.
17 commentaires
Monimoni-ka
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Il y a 2 mois
s'may
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Il y a 2 mois
Dystopia_Girl
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Il y a 2 mois
s'may
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Il y a 2 mois
Renée Vignal
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Il y a 2 mois
s'may
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Il y a 2 mois