Fyctia
Se faire entendre
En croisant le regard de sa mère, l’adolescente voit les grands yeux bleus qui ressemblent aux siens se mouiller de larmes. Visiblement Clotilde n’en peut vraiment plus d’être le centre de l’attention et surtout, de ne pas savoir comment se défendre contre les attaques. Même la prière, qui savait tout apaiser, ne parvient pas à lui donner l’énergie pour se battre. Clotilde sent toujours qu’il y a un Dieu qui la protège mais le seigneur éternel semble décidé à la laisser se défendre seule. Et elle se sent plus faible que jamais.
— Si j’étais seule à me faire trainer dans la boue, dit la mère de famille, ce ne serait pas grave. Mais il y a toi ma chérie.
— Je ne sais pas comment je vais faire mais je ne peux pas ne pas me défendre. Je ne vais pas laisser mon géniteur s’attaquer à nous.
— Évite de trop critiquer ton père devant Valentin, ni de l’appeler géniteur. T’as vu que ça lui fait du mal.
— Bien sûr, le pauvre chéri. Mais c’est aussi pour lui qu’on va se battre.
Le début d’après-midi se passe de manière plutôt morose jusqu’à ce que Marianne reçoive un appel de la gendarmerie.
— Bonjour mademoiselle Jonquier de Frissac, adjudant Bolivot à l’appareil. Comment allez vous ? J’ai cru comprendre que vous avez eu un début de nuit plutôt mouvementé.
— C’est le moins qu’on puisse dire, mais, à présent, je crois que les choses sont plutôt bien rentrées dans l’ordre. Merci de vous inquiéter pour moi adjudant.
— C’est pas seulement pour prendre de vos nouvelles que je vous appelle. J’ai répondu à une interview de La chaine info et, visiblement, leur approche de votre affaire n’est pas du tout la même que celle de News TV.
— C’est à dire qu’ils pourraient faire entendre dans les médias nationaux un autre point de vue que celui de mon père.
— Tout juste, j’ai vu le reportage qu’ils ont fait sur votre affaire et il aborde directement le sujet des femmes battues au lieu de faire passer votre père pour une victime comme News TV l’a fait avec l’interview de ce midi.
— M’en parlez pas, mon petit frère était dans tous ces états après les mots que mon géniteur lui a adressé en fin d’interview.
— C’est sûr, que à sept ans, la situation est compliquée à gérer pour lui, surtout si votre père essaye de le prendre par les sentiments. Tout ça pour dire que La chaine info aimerait faire une interview de vous ou bien de votre mère, est ce que vous acceptez que je vous mette en contact ?
— Ma mère n’est malheureusement pas en état de répondre à une interview. Elle subit un violent contrecoup psychologique des mauvais traitements qu’elle a reçu et a beaucoup mal à remonter la pente. Quant à moi, ce serait avec plaisir si j’étais certaine qu’il ne s’agira pas d’un fiasco comme avec Émilie Grangier qui a déformé tous mes propos.
— Je peux presque vous assurer que ce sera l’inverse, sinon je n’aurais jamais insisté pour que vous acceptiez cette interview.
La chaine info, se dit l’adolescente en raccrochant, pourquoi elle n’y avait pas pensé plus tôt. Elle passe toujours au second plan, par rapport à News TV, en matière de chaine d’information. Elle est nettement moins attractive que sa concurrente, plus sobre et, souvent, ennuyeuse. Marianne se souvient que, chez les Jonquier de Frissac, on regardait régulièrement La chaine info avant de basculer sur New TV lorsque Patrice Contrepoint, un ancien camarade de classe de son père est devenu directeur de l’information de la chaine privée. Mais l’info spectacle a tellement été horrible avec sa mère et elle que l’adolescente serait ravie de trouver des alliés chez cette chaine sérieuse dont l’excellence des journalistes est reconnue.
Allumant la télé, elle zappe sur la chaine info et ne tarde pas à tomber sur le reportage évoqué par l’adjudant Bolivot. Effectivement, et pour la première fois, sa mère et elle sont présentées comme les victimes d’un homme violent. Le départ en voiture devient ce qu’il a réellement été, c’est à dire une évasion pour la survie de Clotilde. Marianne veut courir l’annoncer à sa mère mais préfère rester discrète si jamais elle est endormie, ce qui est le cas. Après toutes ses émotions et la nuit blanche passée, elle a bien besoin de repos. De toute façon, l’adolescente sait qu’elle se doit d’être la porte parole pour les deux auprès des journalistes.
Par contre elle met sa tante Viviane au courant et celle ci tombe dans ses bras, ravie de la première bonne nouvelle depuis bientôt trois jours. Marianne garde pourtant à l’esprit que ce n’est pas gagné, c’est même le début d’un combat qu’il va falloir mener. Une demie-heure plus tard, Marianne entend reçoit un appel sur son portable d’un numéro provenant de Paris, elle se doute qu’il s’agit de La chaine info et décroche.
— Bonjour mademoiselle Jonquier de Frissac, dit une voix masculine et dynamique, Patrick Verclin, journaliste à La chaine info. C’est moi qui vais assurer l’interview.
Être interviewée par un homme sur un tel sujet devrait inquiéter Marianne mais elle se souvient du désastre avec Émilie Grangier. Patrick Verclin lui inspire confiance surtout quand il précise qu’il a plusieurs fois traité du sujet des violences intra familiales. Le journaliste rappelle également la nécessité de pluralité journalistique en évoquant la conversation de la veille entre le directeur de l’information de News TV et celui de La chaine info. Marianne sent immédiatement une bouffée de gratitude pour Patrice Contrepoint qu’elle a vu à quelques reprises lorsqu’il est venu rendre visite à son père. Elle est bien décidée à faire entendre sa voix et, surtout, sa version des faits.
10 commentaires
Leo Degal
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Il y a 15 jours
Gottesmann Pascal
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Il y a 15 jours
Marie Andree
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Il y a un mois
Gottesmann Pascal
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Il y a un mois
Eva Boh & Le Mas de Gaïa
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Il y a un mois
Gottesmann Pascal
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Il y a un mois