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Grande journaliste
Chez elle, Émilie Grangier vit la meilleure soirée de sa vie. Tout ce dont elle rêvait depuis la fin de ses études de journalisme, et même depuis ses années d’adolescence, lui est arrivé aujourd’hui. Déjà, hier, elle avait été fière de voir les médias nationaux reprendre son information et citer son article en ligne. Mais depuis le milieu d’après-midi et la publication de son deuxième papier, c’est devenu la folie. Son portable n’a pas arrêté de sonner et tous les principaux journaux français lui ont demandé une interview. Pour la première fois, la petite journaliste de province obligée de créer un site d’info pour pouvoir travailler régulièrement a été mise sur le devant de la scène et rien ne peut lui faire plus plaisir.
Il va d’ailleurs falloir qu’elle soit très gentille avec Mathias, le gendarme qui lui a permis d’obtenir ce scoop fabuleux. Elle s’était toujours dit que ce serait une bonne chose de se laisser draguer par ce jeune gars un peu gauche et peu sur de lui qui semble absolument fasciné par elle. Un idiot utile qui ressemble pas du tout aux beaux gosses qu’elle aime fréquenter mais qui est devenu un excellent allié à la gendarmerie. Même un garçon aussi peu malin que lui avait senti que cette histoire de conduite sans permis par une ado de 16 ans sur fond de drame familial pouvait faire un article retentissant.
De deux choses l’une en ayant ces informations. Ou bien Émilie rédigeait un article bien larmoyant sur cette pauvre mère et ses deux enfants victimes d’un père violent malgré son image très respectable de chef d’entreprise ou bien elle passait les raisons de la fuite sous silence et rédigeait un article polémique en mettant l’accent sur le jeune âge de la conductrice. La jeune journaliste se félicite d’avoir choisi la deuxième option. En cette période ou les gens sont confinés chez eux, axer son article sur cette jeune bourgeoise entravant les règles s’était révélé une excellente idée. Le jugement du tribunal populaire sur les réseaux sociaux a d’ailleurs été sans appel. Si on avait été à l’époque de la révolution française la petite Jonquier de Frissac aurait déjà été guillotinée en place publique. L’article tire larme aurait certainement eu beaucoup moins de succès.
Émilie sait bien que ses articles ne rendent pas compte de la réalité telle qu’elle est, mais elle sait aussi que rien de ce qu’elle dit n’est faux et qu’elle ne peut donc pas être attaquée en diffamation. Son deuxième article avait d’ailleurs, en bonne partie, été écrit pour faire comprendre à Marianne Jonquier de Frissac qu’elle n’avait pas son mot à dire sur la manière dont elle fait son métier. L’adolescente paraissait si sûre d’elle ce matin, certaine que sa mère et elle allaient, désormais, être considérées comme des victimes. Dans la guerre déclarée contre son père elle avait voulu s’en faire une alliée, comptant certainement sur la solidarité féminine. La journaliste l’imagine, à présent, pleurant toutes les larmes de son corps et ne sachant pas comment faire pour arrêter de passer pour une criminelle privilégiée. Cette blondinette propre sur elle se prenait peut être pour une femme forte mais elle vient surement de comprendre qu’elle n’a clairement pas les épaules pour lutter. Émilie sait bien qu’elle n’a pas retranscrit l’entretien dans son deuxième article mais personne n’est en mesure de l’affirmer, mis à part la jeune Marianne. Et, à l’heure actuelle, qui va accorder du crédit à ses paroles. Quant à la mère elle est absolument fantomatique et parait hors d’état de se défendre.
Pour Émilie, ces deux articles sont peut être le début de la gloire. Elle se rêve en journaliste intervieweuse incontournable sur les plus grandes chaines de télé, menant des interviews sans concession. Quelle jouissance ce doit être d’avoir, face à soi, un homme tremblant de peur et de pouvoir le mitrailler de question. « Répondez monsieur le ministre. Les français ont le droit de savoir. » Devenir la journaliste la plus charmante et la plus redoutée de France, voila le rêve auquel elle aspire. Faire mentir tous ses profs qui lui disaient qu’elle avait des ambitions qui dépassaient son talent et ses capacités de travail. Bien sûr, pour eux, les sujets intéressants sont uniquement pour les grosses têtes; les bucheurs qui n’ont aucune vie sociale. Elle aurait du se trouver bien contente de traiter des chats écrasés, des foires aux olives et des élections de miss camping. Et bien non, elle aussi peut devenir une journaliste de premier plan et elle vient de le prouver. Avec du culot et une plume acérée, on peut écrire des papiers qui plaisent à un public fatigué de la complaisance et de l’eau tiède. En fait, avec ces deux articles, elle a raconté une histoire, comme une romancière. Tant pis si ce n’est pas la stricte réalité puisque celle ci aurait moins plu au lecteur. Il ne reste plus à Émilie qu’à espérer que la petite Jonquier de Frissac ne présente sa version des faits sur un autre médias mais il n’y a pas trop de risques. Elle a perdu et il faut qu’elle l’accepte.
Soudain, son portable sonne et elle voit le nom de Mathias qui s’affiche. C’est le moment d’être un peu roucoulante pour le remercier.
— Salut mon gendarme préféré. T’as vraiment été un ange gardien hier. Tu m’as permis d’écrire l’article le plus important de ma carrière. Je ne sais pas comment te remercier.
— Je t’en prie Émilie, je suis content de t’avoir fait plaisir. C’est très calme à la gendarmerie alors j’avais envie de t’entendre. Ça fait plaisir de recevoir des remerciements parce que, avec Michel et Melissa je me suis fait voler dans les plumes.
— Mais tes collègues se sont juste sentis fautifs d’avoir laisser filer ces deux femmes. C’est quand même une grave erreur professionnelle et ils auraient préféré que ça ne se sache pas.
— Pourtant, si Michel a laissé partir la fille c’est qu’il y avait sûrement des raisons. Il n’est pas du genre à faire des passe droits.
— N’empêche qu’il en a fait un, même si la mère était en danger il y avait d’autres solutions que de faire 300 km sans permis, tu ne trouve pas ? Ne te torture pas l’esprit. Dès qu’on sera déconfinés, on passera la soirée ensemble et je saurai me montrer très gentille.
— Très gentille ? C’est à dire ?
— C’est à dire que tu ne regretteras pas une seconde de m’avoir aidée beau gosse.
Émilie Grangier entend alors Mathias déglutir et imagine l’état dans lequel il doit être. Ça la fait sourire, elle a toujours aimé avoir les mecs à ses pieds.
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Leo Degal
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Gottesmann Pascal
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Eva Boh & Le Mas de Gaïa
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Gottesmann Pascal
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Marie Andree
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Il y a 2 mois
Gottesmann Pascal
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Il y a 2 mois