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L'interview
À dix heures du matin tapantes, Marianne appelle Émilie Grangier au numéro envoyé et ne tarde pas à découvrir son interlocutrice trentenaire. Aussi blonde qu’elle, mais d’une blondeur artificielle, avec une peau bronzée par le soleil et un accent marseillais prononcé. La journaliste parait être une jeune femme du sud assez caricaturale mais certainement pas antipathique.
— Bonjour Madame Grangier, vous me voyez et m’entendez bien ?
— Tout à fait mademoiselle c’est parfait. Visiblement vous avez les moyens de vous acheter du matériel de qualité.
— Effectivement, ma famille est à l’aise financièrement mais ça n’a pas pas empêché ma mère d’être victime de violences conjugales quotidiennes pendant ce mois de confinement. Il faut que les gens sachent que les personnes violentes se trouvent dans toutes les couches de la société.
— Et celles qui ne respectent pas le confinement aussi, vous l’avez prouvé hier.
— Vous auriez préféré que ma mère continue de se faire taper dessus tous les jours. Vous savez pourquoi c’est moi qui ai conduit jusqu’à Lisognan ? Parce que ma mère en était incapable. Mon père avait failli lui casser le bras à force de le tordre. Sans parler des claques, des coups de poings qui lui ont rendu le visage tuméfié et du tirage de cheveux.
— Et vous ne pouviez pas appeler la police ou la gendarmerie près de chez vous ?
— Comme je l’ai expliqué à l’adjudant Bolivot qui m’a fait exactement la même remarque, en portant plainte près de chez elle ma mère avait tous les risques de devoir retourner au domicile familial. Le comportement de mon père aurait été encore pire et il aurait même pu la tuer.
— En somme, vous me dites que cette fuite était une question de survie. Mais comment font toutes les autres personnes, hommes ou femmes, qui sont victimes, en ce moment, des sévices de leur partenaire. Votre mère ne doit pas être la seule dans cette situation je suppose.
— Les autres peuvent compter sur des témoignages, ne serait ce que ceux des voisins. J’ai lu hier dans les commentaires que, si on s’était appelés Belkacem notre comportement aurait provoqué un immense scandale. Je suis entièrement d’accord mais madame Belkacem qui vit dans un appartement HLM aurait pu profiter de dizaines de témoignages de gens de l’immeuble qui auraient entendus les disputes et les coups et elle aurait été mise à l’abris avec ses enfants. Nous, nous n’avons pas de voisins à des centaines de mètres à la ronde. Et mon père, en public est très différent de l’homme privé qu’il est devenu. Il s’en était même violemment pris à moi avant-hier soir, alors que je fêtais mon seizième anniversaire. C’est d’ailleurs la paire de gifle qu’il m’a donnée qui a mené à la dernière dispute parentale, la plus violente.
— Mais votre mère connaissait l’homme privé avant le confinement. La situation était elle plus gérable ?
— Beaucoup plus. Les coups étaient déjà présent mais bien plus rares. Ma mère savait gérer les colères de son mari en quittant la maison pour quelques heures et arrivait généralement à éviter les coups. C’est vraiment le confinement qui a changé l’atmosphère dans notre famille, comme certainement dans beaucoup d’autres. Puisqu’il était, à présent, impossible de disparaitre de la maison, mon père en profitait et voulait soumettre ma mère et toute la famille avec.
— Et pourquoi le choix de Lisognan pour vous réfugier ?
— C’est là que ma mère se sent le plus en sécurité. Comme vous le savez, le docteur Pellegrin est son grand frère avec presque vingt ans de plus. Donc c’est la figure la plus protectrice et rassurante pour elle.
— Je comprends et vous remercie pour ces précisions mademoiselle.
— C’est moi qui vous remercie madame Grangier, j’espère seulement vous avoir convaincue. J’ai été imprudente en conduisant sans le permis mais j’y ai été contrainte et forcée. Parlez surtout, dans votre article, à parler de la violence faites aux femmes. S’il y en a seulement une que notre histoire permet de prendre conscience que ce qui lui arrive n’est pas normal, ce sera la meilleure des choses. Je sais qu’il n’y a pas que chez nous que de telles choses arrivent en ce moment.
— Ne vous inquiétez pas mademoiselle, je sais faire mon travail vous n’aurez pas à vous plaindre. J’espère que nous aurons l’occasion de nous revoir à distance.
Marianne coupe la communication et parait satisfaite. Viviane, qui observait de loin sa nièce l’est aussi, les réponses apportées ont été claires, précises et dites sans pathos.
— Bravo ma petite chérie, dit elle, tu t’es débrouillée comme une championne. Avec une autre journaliste j’aurais été sûre de l’article à venir mais, avec Émilie Grangier, on peut malheureusement s’attendre à tout.
Quelques minutes plus tard, Clotilde émerge du sommeil et Valentin se précipite pour faire un gros câlin matinal à sa mère. Celle ci parait toute surprise de se lever à onze heures du matin, ce qui est tellement peu dans ses habitudes. Mais l’endormissement matinal explique pas mal de choses. Elle s’inquiète surtout parce que ce sommeil n’a pas été réparateur et qu’elle se sent épuisée au lieu d’être d’attaque pour une journée active. C’est le café et le petit déjeuner amenés par Viviane qui lui apportent l’énergie nécessaire. Son visage, encore tuméfié, témoigne des coups portés l’avant veille au soir. Marianne se dit même que, en voyant sa mère, Émilie Grangier n’aurait pu qu’être convaincue.
En allumant son portable, ce qu’elle n’avait pas fait depuis la veille au soir, Clotilde se rend compte que deux personnes ont essayé de l’appeler plusieurs fois. Elle n’est pas étonnée de découvrir le prénom d’Aminata, son employée la plus proche, mais beaucoup plus de voir celui de Nathalie. Que lui veut sa belle-sœur qui devrait prendre le parti de Lionel, son grand frère dont elle est tellement proche. Elle s’écarte pour passer les coups de téléphone et rejoint les siens dans le salon près d’une heure plus tard passablement bouleversée.
— Ça y est annonce t’elle d’un ton solennel, j’ai tourné la page sur mon ancienne vie. J’ai même annoncé à Aminata que, si je restais propriétaire des magasin, il n’était plus question, pour moi, d’y travailler. C’est elle qui va devenir la gérante puisqu’elle est mon bras droit depuis des années.
— T’as fait un bon choix maman, approuve Marianne chaleureusement. Aminata va gérer les magasins aussi bien que tu l’as fait et tu peux lui faire confiance.
— Qu’est ce que tu vas faire maintenant ? demande Valentin.
— Je ne sais pas encore, on verra après le déconfinement. Mais, pour le moment je vais m’occuper de mes enfants chéris. Vous allez devenir ma priorité absolue.
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