Fyctia
Mauvaise surprise
Après avoir copieusement enguirlandé son jeune collègue qui a eu beaucoup de mal à justifier son geste, Bolivot se dit qu’il est bon de prévenir les trois membres de la famille Jonquier de Frissac de la fuite qui a eu lieu. Sale petite peste de journaliste, se dit il, il manquait plus qu’elle ait quelqu’un à la gendarmerie qui fasse ce qu’elle veut pour ses beaux yeux. Enfin, l’adjudant pense que ce couillon Mathias situe les yeux un peu plus bas dans l’anatomie de la Grangier. Bolivot ne peut que déplorer le mauvais gout de son jeune collègue mais le mal est fait. Avec un tel article, la mère et ses deux enfants vont devenir les parias du village puisque tous les habitants de Lisognan vont bientôt être au courant s’ils ne le sont pas déjà. Dans un bourgade comme celle là tout se sait à une vitesse ahurissante et les commères propagent les informations encore plus vite que les réseaux sociaux.
Après avoir récupéré le numéro de téléphone de Clotilde, il le compose et elle ne tarde pas à décrocher.
— Rebonjour madame Jonquier de Frissac, dit le gendarme, adjudant Bolivot à l’appareil, c’est moi qui ai arrêté votre fille au volant ce matin.
— Rebonjour monsieur l’adjudant. Je peux déjà vous informer que mon mari est au courant de la plainte que j’ai formulée auprès de votre collègue. Les gendarmes de Rambunot l’ont déjà interrogé. Il a essayé de me faire du chantage pour que je retire ma plainte mais je suis décidée à ne pas le faire. Il en a fait une autre pour enlèvement d’enfants.
— Bien entendu qu’il ne faut pas que vous retiriez votre plainte et, quant à vos enfants, je ne vous imagine pas une seule seconde fuir sans eux. Mais j’ai une mauvaise nouvelle à vous apprendre. Il y a eu une fuite à la gendarmerie et une journaliste sans scrupules a publié votre histoire dans un article sur News de Provence, un site internet d’information locale. L’article est extrêmement lu et la nouvelle devrait être relayée dans les médias nationaux.
— J’aurais préféré être au courant avant la publication mais si ça permet à d’autres femmes qui, comme moi, subissent des violences conjugales pendant le confinement, de sortir de la spirale infernale c’est une bonne chose.
— L’article ne dit pas un mot des violences conjugales. En fait, il est centré sur le non respect des règles du confinement.
— Et il nous fait passer, mes enfants et moi, pour des grands bourgeois sans scrupules qui nous fichons de la protection des autres en parcourant des centaines de kilomètres de nuit en pleine nuit…et avec une gamine de 16 ans au volant.
— Vous avez résumé l’article. Et j’ai préféré que vous appreniez ça de ma bouche plutôt qu’en regardant le journal de ce soir. Courage madame Jonquier de Frissac, il était évident que vous étiez dans votre bon droit sinon j’aurais été beaucoup moins conciliant ce matin. Et je peux vous garantir que mon jeune collègue qui a transmis le dossier à cette journaliste a entendu parler de moi.
— Ne vous en faites pas adjudant. J’ai été hors la loi, alors, maintenant, il faut que j’en assume les responsabilités. C’est d’ailleurs Marianne qui m’a largement poussé à fuir après la dernière dispute avec son père. Mais il est bon qu’elle comprenne que son attitude a été inconsciente.
— Ne faites pas de reproches à votre fille. Son action peut paraitre inconsciente mais elle a eu une force de caractère rare à son âge et, sans elle, votre mari aurait pu vous blesser gravement.
— Voire pire. Mais j’aurais pu me montrer courageuse et résiliente en attendant le déconfinement pour m’enfuir. Quoi qu’il en soit, je suis prête à assumer et comprendrai si les habitants de Lisognan me font des reproches.
Après la conversation téléphonique avec Bolivot, Clotilde prévient ses enfants et sa belle sœur. Se connectant sur internet la petite famille lit l’article assassin d’Amélie Grangier et, en dessous, profite des 150 commentaires qui ne sont pas particulièrement amicaux.
Encore des privilégiés qui se croient au dessus des lois. Jouer à GTA sur l’autoroute la nuit de ses 16 ans, la fille part bien dans la vie
Il a bon dos le frère, la mère est certainement partie chez son amant avec ses gosses. Maintenant elle doit se faire sauter.
Pendant ce temps je suis confinée dans un 30 mètre carrés avec mon mari, mes deux gosses et le chien. Il y a des moments où j’ai envie de faire la révolution. Les privilèges n’ont jamais disparu.
Quand je pense que je me suis pris 135 balles d’amendes pour m’être éloignée à trois kilomètres de chez moi. Si j’avais su j’aurais pris l’autoroute et serais parti me dorer la pilule dans le sud.
Jonquier de Frissac, bien évidemment, si la famille s’était appelée Belkacem tout le monde aurait été beaucoup plus vite au courant dans les médias nationaux. Il y a des têtes qui auraient dues être coupées à la révolution.
Solidarité envers le pauvre mari et père qui se retrouve seul en plein confinement parce que sa femme a eu une lubie.
— SOLIDARITÉ AVEC LE PAUVRE MARI ET PÈRE ???? Marianne, qui avait lu une cinquantaine de commentaires sans broncher bondit soudain de sa chaise en lisant celui là. Et puis quoi encore. Je te jure, maman, il faut que tu parles à cette journaliste. Les gens doivent savoir la vérité.
— Et qu’est ce que tu veux que je lui dise ? demande Clotilde. Qu’elle aurait du nous faire passer pour des malheureuses victimes. Tu sais quoi, ma fille, il vaut faire envie que pitié.
— Je suis d’accord avec Marianne, dit Viviane, si vous ne laissez entendre que ce son de cloche vous allez devenir les parias dans tout le village. Je pense rien vous apprendre en vous disant que tout le monde se connait à Lisognan. Et une grande partie de la population lit News de Provence parce que c’est le seul média d’information locale qui parle régulièrement du village.
— Ça veut dire que je pourrais pas me faire de copains ici ? intervient Valentin soudain inquiet.
— Ne t’en fais pas pour ça petit frère, d’ici le déconfinement les gens seront passé à autre chose.
— Ne crois pas ça Marianne, dit Viviane, un tel fait divers dans un patelin comme le notre, tout le monde va en parler pendant plus d’un an. Je vis à Lisognan depuis bientôt quarante ans alors, je commence à assez bien connaitre les gens d’ici. À part si une soucoupe volante apparait dans les champs voisins on a pas fini d’entendre parler de cette histoire.
— Mais je ne me sens pas de parler à cette journaliste et de me replonger dans tous ces souvenirs traumatisants, se plaint Clotilde. C’est au dessus de mes forces. Rien que le fait de témoigner devant cette gendarme a été un supplice. Maintenant je veux juste oublier mais je me rend compte que c’est impossible.
— C’est moi qui lui parlerai maman, dit Marianne d’un ton assuré. Puisque c’était moi au volant de la voiture j’étais en première ligne dans cette histoire. Alors si elle veut des détails croustillants sur le comportement des privilégiés elle va en avoir. Je rappelle le gendarme et lui demande le numéro de cette Émilie Grangier.
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Leo Degal
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Gottesmann Pascal
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Eva Boh & Le Mas de Gaïa
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Gottesmann Pascal
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Marie Andree
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Gottesmann Pascal
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Carl K. Lawson
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Il y a 2 mois