Fyctia
Chez les gendarmes
Quelques instants plus tard, Lionel entend sonner chez lui, c’est bien la première fois que ça arrive depuis un mois. Il est très surpris et demande qui se trouve à la porte.
— Ouvrez monsieur, c’est la gendarmerie, dit une voix masculine.
Ça y est, se dit immédiatement le père de famille, Clotilde a porté plainte. Elle n’a d’ailleurs pas mis bien longtemps pour le faire. Il ouvre et se trouve devant un jeune gendarme d’une petite trentaine d’années.
— Veuillez me suivre à la gendarmerie monsieur Jonquier de Frissac, s’il vous plait. J’ai quelques questions à vous poser.
Lionel est bien forcé d’obéir sans faire de scandale. Une fois dans la voiture il songe à la meilleure façon de répondre à des accusations de violences domestiques.
— Bien, dit le gendarme une fois arrivé au poste, nous avons été contactés par des collègues qui ont enregistré une plainte de votre épouse contre vous.
— Je peux savoir où sont allés ma femme et mes enfants ?
— Vous vous doutez bien que nous ne sommes pas en mesure de vous le dire. Est ce que vous reconnaissez les faits de violence sur votre épouse monsieur Jonquier de Frissac ? demande le gendarme d’un ton pressant.
— Oui, je les reconnais, il m’est arrivé de lever la main sur Clotilde. Un peu souvent ces derniers temps. Mais c’était toujours dans des moment où elle ne me laissait plus le choix.
— Vous voulez dire que votre femme a cherché les coups ?
— Je veux dire qu’elle a cherché cette situation. Je sais que ça fait des années que mon épouse ne m’aime plus et voudrait vivre loin de moi. Sauf que, quand, comme Clotilde, on est une chrétienne pratiquante, on ne divorce pas. Me faire passer pour un mari violent et persécuteur lui permettrait de rendre la séparation beaucoup plus acceptable à ses yeux comme à ceux de la société.
— En somme, vous vous considérez comme victime d’une machination.
— Si vous voulez, et je dirai même un complot car ma fille, Marianne, en pleine crise d’adolescence, a décidé de me faire la guerre. C’est d’ailleurs elle qui a monté sa mère contre moi.
— Mon pauvre monsieur Jonquier de Frissac, vous êtes donc une victime des femmes
— J’entend bien votre ironie tout à fait déplacée mais c’est complètement le cas. Clotilde et Marianne se sont unies c’est un fait indiscutable. Quant à Valentin, mon fils de sept ans, il aime sa mère et sa sœur plus que tout. Si j’avais laissé faire, je n’aurais plus mon mot à dire sous mon propre toit.
—Vous avez dit que votre femme avait tout fait pour recevoir des coups. Vous pouvez être plus explicite.
Il est temps, pour Lionel, de se poser en victime pour apporter des circonstances atténuantes. Quitte à travestir la réalité voire même mentir. Après tout c’était la parole de son épouse contre la sienne. Donc impossible de savoir, avec un œil extérieur, qui a raison.
— Ces dernières années Clotilde a tout fait pour me mener à bout en m’humiliant et en me rabaissant, parfois même devant nos enfants. Elle a commencé par dire, par exemple, que, si je n’avais pas eu la chance d’hériter de l’usine familiale, j’aurais été un bon à rien condamné aux aides sociales. Puis elle a commencé à s’attaquer à des sujets plus intimes, disant que je suis impuissant et que ses deux enfants ne sont pas de moi.
Le cerveau de Lionel se met à fonctionner à toute vitesse pour trouver une histoire qui lui paraisse crédible. Il sent pourtant, à voir le visage du policier, qu’il n’est pas vraiment cru.
— J’ai quand même du mal à imaginer un homme important, un notable comme vous se faisant harceler sous son toit.
— Bien évidemment, c’est beaucoup plus agréable de penser que l’industriel presque milliardaire est un homme horrible et violent.
— Vous voulez porter plainte contre votre épouse pour harcèlement.
— Non, mais je veux porter plainte pour enlèvement parental. Elle n’a pas le droit de me priver de mon fils et de ma fille. Et puis elle a lâchement profité du confinement pour filer sans que je puisse la rejoindre. À présent elle peut élever ses enfants comme elle l’entend sans que je ne puisse rien dire.
— Vous pensez que votre fils et votre fille sont en danger avec leur mère.
— Disons que j’ai certaines raisons de m’inquiéter. Comme je vous l’ai dit ma femme est très pieuse mais ça va au delà delà de la piété. Elle peut se montrer illuminée et même avoir un comportement sectaire. La religion a pris une place trop importante sa vie. C’est pour cela que je m’inquiète pour mes enfants s’ils ne sont élevés que par elle. Ils n’auraient qu’une seule vision du monde qui leur paraîtrait comme étant la seule bonne.
— Je vous entend mais, du fait de la plainte pour des violences conjugales que vous avez reconnues je ne vous recommande pas d’aller les rejoindre ou de les contraindre à regagner le domicile familial avertit le gendarme. Cela ne ferait qu’aggraver votre cas.
— Vous pensez qu’un juge pourrait prononcer une injonction d’éloignement contre moi ? répond Lionel.
— J’en suis presque certain monsieur Jonquier de Frissac. Défendez vous si vous pensez être dans votre bon droit, c’est tout ce que vous pouvez faire.
Lionel rentre ensuite chez lui, se retrouvant dehors pour la première fois depuis un mois ou presque puisque c’était Clotilde qui s’occupait des courses. Pendant la vingtaine de minutes de marche, il commence à échafauder un plan de bataille pour mettre sa femme en échec le plus vite possible. Il sait que Clotilde est intelligente et courageuse mais se pense beaucoup plus malin et vicieux qu’elle. Si elle veut dévoiler leur vie privée au grand jour et le faire passer pour un monstre brutal, il est bien décidé à ne pas la laisser faire. Dehors, certains des rares passants le reconnaissent malgré son masque et lui envoient des signes d’amitié, lui souhaitant bon courage pour le deuxième tour des élections municipales qui doit avoir lieu après le déconfinement. L’accession à la mairie est une raison de plus, pour Lionel, de se battre de son mieux pour préserver son image.
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La Plume d'Ellen
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Gottesmann Pascal
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Leo Degal
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Gottesmann Pascal
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NaomieC
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Gottesmann Pascal
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Eva Boh & Le Mas de Gaïa
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Gottesmann Pascal
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