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La belle étoffe
Lionel se demande à présent ce que sa femme compte faire avec les magasins qu’elle considère comme l’œuvre de sa vie. Si elle est décidée à demeurer loin de lui, elle ne va pas pouvoir s’en occuper après le déconfinement qui devrait arriver dans les semaines qui viennent. La réussite de ces boutiques, voila un succès éclatant de Clotilde qui n’a pas manqué d’accroitre la jalousie de son époux qui s’est rendu compte que la mère de ses enfants possédait l’âme d’une entrepreneuse. Clotilde a toujours décidé selon son instinct et cela a parfaitement bien marché.
Après avoir démissionné de son poste à l’université, juste après son deuxième congé maternité suite à la naissance de Valentin, la mère de famille avait eu un moment de passage à vide. Elle se demandait ce qu’elle pourrait bien faire de sa vie vu qu’elle n’enseignait plus. Lorsqu’elle a annoncé à son époux qu’elle avait décidé de racheter La belle étoffe, un magasin historique du centre de Lyon, vieux de plus d’un siècle. Ce lieu avait été, pendant des dizaines d’années, la principale boutique de vêtements de la ville mais se trouvait, à présent, proche du dépôt de bilan faute d’avoir su se mettre à la page et subissait la concurrence de chaines de boutiques proposant des vêtements plus à la mode. Il était impossible, pour les jeunes femmes du vingt et unième siècle, de s’habiller comme leurs mères. La mode avait changé et l’élégance de La belle étoffe paraissait démodée.
Lionel avait été surpris par son ambition. N’ayant jamais travaillé en entreprise, Clotilde voulait directement devenir entrepreneuse sans passer par la case employée. Pour constituer une équipe opérant sous ses ordres elle a appelé les agences de Pôle emplois et leur a demandé de lui envoyer des femmes ayant du potentiel mais des difficultés à trouver un travail. Il lui est arrivé un cocktail détonnant d’immigrées venant tout juste d’obtenir leurs papiers, parmi elles la malienne Aminata, de jeunes mères célibataires avec peu ou pas de formation, de femmes de plus de 55 ans ayant du mal à retrouver du travail et de délinquantes en réinsertion.
Avec tous ces profits atypiques qu’il aurait certainement rejetés s’ils s’étaient présentés dans l’une de ses usines, Clotilde a su constituer une équipe soudée où l’entraide est reine. Chaque employée a le sentiment d’appartenir à une famille et démissionner ne leur passe pas par la tête. Ensuite, toutes les idées marketing de sa femme pour relancer la boutique sans jamais qu’elle ne perde son identité pour ne pas heurter les clientes habituées se sont avérés être des succès. Proposer un vaste choix de vêtements grande taille tout en restant féminins et seyants, créer un système de location de robes de soirées à destination des femmes aux revenus modestes désirant être élégantes le temps d’une soirée de mariage, créer un deuxième magasin et en faire vaste friperie où les vêtements de secondes mains se vendent à un prix raisonnable. Lionel, qui avait l’habitude de dire, au début du projet un peu insensé, que sa femme allait jouer à la marchande pendant qu’il ferait bouillir la marmite dut reconnaitre les grandes qualités de Clotilde.
Plus Lionel trouvait sa femme exceptionnelle, plus il la trouvait dangereuse. Un jour ou l’autre, elle se lasserait de la vie qu’elle mêne avec lui et le quitterait. Pas forcément pour un autre homme mais, en tout cas, pour une autre vie. Elle peut tout à fait se passer de lui et c’est d’ailleurs pour cela que cette fuite le met en rage. Clotilde est encore jeune, belle, intelligente, avec l’esprit d’entreprise. À présent elle se trouve loin de lui et il se doute qu’il sera compliqué de la ramener au domicile familial. La liberté devrait très bien lui convenir, et à Marianne aussi. Quant à Valentin, il n’est bien qu’avec sa mère et sa sœur.
Lionel remarque d’ailleurs que sa femme a embarqué une grande partie de ses vêtements et bijoux mais qu’elle a délibérément laissé tous ceux qui lui avaient été offerts lors des dernières années pour se faire pardonner des crises de violences. C’est comme si elle ne voulait rien devoir à son époux devenu brutal. Le père de famille est soudain catastrophé. Clotilde a certainement parlé à la police ou s’apprête à le faire si ce n’est pas déjà fait. Tout le monde va bientôt savoir ce qui s’est passé sous son toit. Et sa réputation va en prendre un coup.
Lui, l’industriel respecté, conseiller municipal de sa commune et arrivé en tête du premier tour des élections municipales qui a eu lieu juste avant le confinement. Il rêve même de devenir député, comme son grand-père qui l’a été pendant une vingtaine d’années. À présent, il va juste passer pour une brute ne sachant pas se contenir. Un homme obligé de faire parler ses poings face à une femme plus maligne que lui.
Certainement que, si le scandale éclate cela aura des conséquences désastreuses et il espère de tout cœur que l’affaire sera étouffée sinon son conseil d’administration pourrait même l’écarter de la tête de la société. Il téléphone à Clotilde mais, comme Aminata, il tombe directement sur la boite vocale. Elle a coupé son portable comme si elle ne voulait pas que celui-ci soit tracé. Où alors elle dort profondément, fatiguée par une nuit de cavale qui l’a conduit Dieu sait où. S’il n’y avait pas les fermetures de frontière à cause du Covid, il aurait même pu l’imaginer à l’étranger avec ses enfants.
Marianne pourrait aussi donner des nouvelles de la famille mais si Lionel l’appelle ça risque de très mal se passer. Parce que le père de famille est sûr d’une chose, si la fuite a eu lieu juste après sa dispute avec sa fille et la menace de la mettre en pension ce n’est certainement pas un hasard. Malgré toute ses qualités, il est certain que Clotilde n’a pas la force de caractère suffisante pour décider toute seule de s’en aller sur un coup de tête avec ses deux enfants. À coup sûr, c’est Marianne qui a su la convaincre. Ce côté du lit vide, lorsqu’il s’est réveillé à quatre heures du matin résonne comme un symbole de sa défaite.
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SOLANE
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Gottesmann Pascal
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Gottesmann Pascal
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Leo Degal
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Gottesmann Pascal
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