Fyctia

Helena

— À mon avis, ce n'est pas moi que tu attendais, s’amuse-t-il.

— Non, effectivement, donc si tu pouvais te retourner et déguerpir d'ici, tu serais mignon, Trevor.

Il soupire.

— Sûrement pas.

Il s'affale négligemment sur la banquette qui me fait face. Tout en prenant une posture des plus confortables, il retrousse les manches de son pull qui laisse apparaître son bras tatoué d'un art incroyable, jusqu'à ses coudes. Un art que je prenais plaisir à contempler pendant des heures.

— Figure-toi que j'ai bien l'intention de rester ici, réplique-t-il en posant ses avant-bras sur le bois, tout en les croisant. Surtout qu'il se pourrait que ton rencard ne se pointe jamais.

Interloquée par ses paroles, je plisse les sourcils tout en le fixant. Qu'est-ce qu'il a encore foutu ?

— Oh, Chad ne te l’a pas dit ? Je suis allé voir ce fameux mec pour lui offrir ma bénédiction, un acte gentil, tu ne trouves pas ?

C’est une blague ?

— Une bénédiction que tu n'as pas offerte, je suppose ?

Il secoue la tête, amusé par ma réplique.

— Tu es si intelligente, Helena.

Va te faire foutre !

— Tu n'as aucun droit là-dessus, craché-je d’un ton froid. Je tiens à souligner qu’il revient au père de transmettre cette information et aux dernières nouvelles, tu ne m'as pas donné la vie. Mais tu as quand même manqué de me l’ôter.

Il reste impassible devant mes paroles crues. Comme une tombe, il ne bouge pas, ne montre aucune réaction, aucune émotion. J'ignore totalement si je l'ai piqué à vif avec mes mots, mais à vrai dire, je m'en contrefiche. Je n’ai plus envie de le voir rester à ma table.

— Ne t'imagine pas que ton petit coup changera quoi que ce soit.

Il plonge sa noirceur dans ma grisaille, juste avant de les glisser sur mon visage, puis ma robe, jusqu'à remonter là où se trouvent mes yeux.

— J'ai beau avoir de l'avance sur cette petite guerre, mi belleza, ça ne m’empêchera pas de continuer à foutre ma merde.

Il se penche en avant, comme pour me souffler le reste de sa déclaration, sans qu’aucune personne ne puisse nous entendre.

— J'ai l'intention de casser tous tes plans amoureux les uns après les autres. Aucun homme ne pourra t'approcher, t'embrasser, te toucher. Je te laisserai leur parler si ça te fait plaisir, et encore, rit-il, ça dépendra de mon humeur.

J'observe avec attention les traits de son visage, ainsi que la lueur qui parsème ses iris – sans cesse vissés sur moi – et je prends conscience qu'il ne me baratine pas une seule seconde. Trevor est beaucoup trop sérieux. Bien qu'il maîtrise ma mimique lorsque je ne dis pas la vérité, je connais aussi la sienne. Elle n'est pas là.

Je suis pleinement lucide de la réputation qu'a mon ancien meilleur ami. Il a toujours su se créer, d'une certaine manière, une armée de larbins. S'il avait son propre livre, je suis sûre qu'il serait le parrain d'une mafia. Par son charisme, par sa présence, il arrive à contrôler les gens d'une main de maître. Je conçois que mes chances sont nulles à présent, parce qu'il fera en sorte qu'aucun homme de l'université ne m'approche. Ceux de la fraternité ne sont pas assez suicidaires pour se risquer au diable – diablo comme il le dirait – alors, je serais obligée d’élargir mon horizon ; ou bien de laisser tomber et de ne pas m'embêter avec un autre mec. Après tout, je suis certaine que je trouverai différents moyens de me venger.

J'inspire un grand coup, en observant ses doigts triturer le poivrier. Je remonte lentement sur son bras – ses tatouages me donneraient presque envie d’en avoir – puis je m'attarde sur cette chaîne qui encercle son cou pour s'engloutir dans son pull, détaille les spirales qui regroupent Hestia, Hadès, Hécate, par leur symbole de la mythologie grecque, et atteins enfin son minois toujours pilosité de ces poils qui entourent ses lèvres rosées. Au moment de les humidifier, je les quitte rapidement pour replonger dans son regard.

Je me redresse, le buste incliné vers l'avant, les doigts entremêlés entre eux, et je rétorque :

— Tu peux avoir le monopole sur les étudiants, les gens de ta fraternité, mais dois-je te rappeler qu’Austin est assez grand pour que je m'en trouve ailleurs et que je n’ai pas besoin de tes potes pour m’en dénicher un ? Tu ne pourras pas toujours être là pour me surveiller.

Il me sourit à pleines dents. Ce même sourire qui s'estime déjà vainqueur.

— Si je veux, je peux connaître tous tes moindres faits et gestes, déclare-t-il en s’enfonçant dans le divan. Si je dois te faire suivre, je le ferai. Si c'est moi qui dois te stalker pour m'assurer que tu ne tentes pas d'en trouver un autre, alors soit !

Il expire par la bouche, dans un rictus malsain.

— Je te sous-estime peut-être, Helena Brielle. Toutefois, je peux en dire de même pour toi étant donné que tu ne t'attendais à aucun moment à découvrir ma présence en ces lieux.

— Un peu comme toi avec la bombe ? souris-je. Alors, ça fait quoi d'avoir de la peinture rose qui te colle à la peau et qui te démange ? Je suis un brin déçue de ne pas avoir vu ton teint foireux lorsque tu es allé sous la douche, mais j'espère que ça t'a bien démangé.

— Ça a été aussi désagréable que ton retour à l'université, ainsi que ta présence en ces lieux.

Un rire nasal m'échappe. C'est clairement l'hôpital qui se fout de la charité.

— Tu peux partir, comme ça, j'essaierai de rattraper ton coup avec Craig.

Il plisse le front, la tête tournait un instant sur notre table voisine – où un petit couple dépose quelques billets de pourboire – avant de reporter son attention sur ma personne.

— C’est fou comment tu ne t’es pas méfié de notre ami, déclare-t-il pour détourner la conversation de mon ex-rencard.

La manière qu'il a de fuir un sujet, m'irrite complètement. Il me débecte. Néanmoins, je ne peux m'empêcher de penser à Chad qui a tout balancé. Cette pensée m'oblige à contracter la mâchoire tout en enfonçant mes ongles manucurés, sur le dessus de mes mains. Il m'a totalement trahi alors qu'on avait un accord. Je lui ai donné le numéro d'une de mes cousines, tandis qu'en retour – en plus de m’arranger un coup – il devait la fermer. Il en est clairement incapable. Je ne peux même pas lui faire confiance. C'est regrettable.