Fyctia

Helena

— On est simplement copain, je t'ai dit.

— Tu sais donc qu'il a un date ce week-end ?

— Q-QUOI !? s’emporte-t-elle, tandis que ses pas se stoppent.

J'en réalise de même et me retourne, amusée par son expression de choc et de surprise à la fin.

— Tu n'es pas censée être contente pour lui ? Parce que ta réaction montre un petit peu de jalousie.

— Non ! C'est juste que… c'est que… je suis son amie. Il ne m'a rien dit, donc... il est logique que ça me vexe.

Sa tentative de justification est si pathétique, mais elle me fait tellement rire. C'est pile ce qu'il me fallait pour valider mon intuition. Maxine en pince totalement pour Dori. Maintenant, je dois parvenir à les surprendre pour qu'ils assument enfin cette amourette.

— Allez, bouge-toi le cul, ma petite rouquine. Mon prince charmant m'attend !

La devanture de la pizzeria Texiza illuminée par des LED aux couleurs rougeâtres se déniche finalement sur le trottoir. Sur le dessus à gauche, un cow-boy tente de fourrer dans sa bouche une part de pizza au fromage dégoulinant. Je pousse la porte et déclenche ainsi une sonnette, puis nous pénétrons dans les lieux. Derrière le comptoir, Chad patiente, le regard rivé sur son téléphone. Il relève la tête au moment où nous approchons.

— Tiens, les plus belles femmes de la terre viennent de faire leur apparition.

Je laisse mes yeux rouler vers le ciel, dans une réponse qui veut tout dire.

— Garde ton option dragueur pour toi, Chadounet ! lui réplique notre amie.

Nous prenons toutes les deux places sur des chaises hautes qui se trouvent devant le comptoir. L’endroit est assez petit, mais très accueillant. Les vastes baies vitrées donnent un visuel sur l’extérieur, ce qui incite les passants à jeter des coups d’œil à l'intérieur et ainsi, être attirés par les menus proposés sur un grand écran ; parce que Texiza ne fait pas que dans les pizzas.

Il n'y a que quatre tables alignées dans notre dos avec des banquettes. Au total, l'endroit peut accueillir vingt-quatre personnes, plus quatre, grâce aux chaises sur lesquelles nous sommes déjà assises. Le décor part sur des tons boisés. Un marron chêne pour les murs, un rouge foncé pour les divans, un blanc cassé pour les tables, tandis que le sol est un parquet assez sombre. Derrière le comptoir, une fausse fenêtre est aménagée pour que nous puissions voir les pizzaïolos à l'œuvre.

— Bon alors, entamé-je la première, où est-ce superbe mec ?

Il me lance son incontournable sourire charmeur avant de lever son index en l'air.

— Ne bougez pas mesdemoiselles, je veux aller le chercher.

Il nous tourne le dos et franchit le seuil.

— CRAIG !

Il revient quelques secondes plus tard avec son fameux ami. À vue d'œil, et si j'en juge par la proximité des deux garçons, il dépasse le mètre quatre-vingts ; un bon point à mon égard parce que je les adore grands. Un immense brun aux yeux sombres, une touche de pilosité comme j'aime, et des cheveux légèrement en bataille. Même les tatouages qui parsèment ses bras, ainsi qu'une partie de son cou, suffisent amplement pour que j'accepte d'avoir un tête-à-tête avec lui. J'ignore au niveau du caractère comment il est, mais si mon plan peut marcher, alors ce sera parfait.

— Craig, je te présente Helena, la fameuse fille dont je t'ai parlé. Helena, voici Craig, ton prochain rencard.

— Bonsoir, sourit-il.

— Salut, soufflé-je en retour, un peu perturbée par une telle beauté.

On se contente de se fixer sans prononcer le moindre mot. Je n'ai jamais su faire la conversation avec des gens que je ne connaissais pas, ou il suffit que ce soient eux qui l'engagent pour que je suive. Mais j'ai l'impression qu'il est plus intimidé qu'autre chose. J'espère néanmoins que cette fixation qu'il a pour moi est de l'admiration et non un tas de questions qui pourraient le pousser à regretter ma présence. Après tout, j'ignore si je lui plais ou bien si je suis son style de femme.

— Bon et bien, quand est-ce que vous voulez faire ce rencard ? nous interroge Chad.

— Tu pourrais au moins me laisser faire connaissance avec cette belle femme, tu ne penses pas ? réplique Craig.

Cette belle femme.

Il soupire.

— J'aurais beaucoup aimé, mais n'oublie pas que tu as une grosse distribution de pizzas qui t'attend. Alors va falloir que tu passes la seconde mon pote.

Je fronce les sourcils, surprise que ce ne soit pas lui qui y aille.

En temps normal, le livreur s'est lui et personne d'autre. Toutefois, il est vrai que ces derniers temps, le patron a restreint son personnel. D'après ce que j'ai pu comprendre de la part d’Omar la semaine passée, dans les couloirs de l'université, c'est que notre ami cuisinait les pizzas tout en s'occupant des acheminements, mais seulement les dernières avant la fermeture. Je sais également qu'il continue à en préparer pour la fraternité, quand il est l'heure de partir. Il n'y a pas de caméra ici, les ingrédients ne sont pas comptés, son patron ne peut donc pas savoir ce qu'il fait dans son dos. Ainsi, il lui donne toute sa confiance.

— Si tu veux, le week-end prochain, on peut se rejoindre au Gusto Grove. C'est un endroit plutôt sympa.

J'accepte sans hésiter. Ce lieu est tellement fréquenté que plusieurs étudiants seront de la partie. Ils parleront bien assez de ma venue avec un nouvel homme.

— Avant que je parte en livraison, je peux vous proposer un petit truc ?

On se regarde un instant avec ma meilleure amie, un sourire malicieux au coin des lèvres. Il est évident que nous n'avions pas l'intention de filer d'ici sans avoir rempli notre estomac. Bien que j'aie promis un camembert au four et des Mac and cheese à Maxine, nous allons reporter notre péché mignon à un autre soir ; ce n'est pas le temps qui nous manque.

Il se penche près du comptoir et laisse son odeur sucrée planer dans l'air. J'aspire profondément pour humer cette bonne odeur alléchante tout en papillonnant de mes longs cils que je maquille bien assez souvent avec du mascara.

— Si ce que tu cuisines est aussi délicieux que ton parfum, tenté-je de le draguer, alors je veux bien que ce soit toi qui nous prépares notre repas.