Fyctia

Trevor

Un an plus tôt.

Ma cage thoracique me fait atrocement souffrir. Je ne comprends pas ce qu’il se passe. J’entreprends d’ouvrir les yeux, mais un voile transparent vient barrer mon champ de vision. Je peine à soulever complètement les paupières. À chaque fois que j'essaie, une douleur vive s’empare de ma tête comme pour m’empêcher de découvrir la réalité. Un liquide chaud dévale le côté gauche de mon front pour s’écraser quelque part sur mon bras. Je tente de me repérer au fleurage, mais excepté une odeur de fumée, ou bien un son de moteur, je ne perçois rien.

Ni passant.

Ni vacarme à l’extérieur.

Je me redresse à l’aveugle, afin de trouver une position des plus confortables. Au moment de déplacer mes jambes, le bruit de verre brisé fait écho jusqu’à mes tympans. Ce même bruit me renvoie tous les souvenirs de la soirée. La nuit ; la route déserte ; la forêt ; cette voiture qui grille le stop. Avec toute la volonté du monde, j’ouvre enfin ces foutues paupières et découvre l’horreur. Le haut du corps étendu sur le capot, le bas encore dans l’habitacle, elle est inconsciente. Du sang entoure le trou créé dans le pare-brise, aucun de ses membres ne bouge, son ventre ne se gonfle pas au rythme de sa respiration. Mon cœur se tord dans une souffrance des plus insupportable qu’il m’ait été donné d’éprouver. Les larmes viennent franchir la barrière de mes cils, afin d’extérioriser la blessure qui me consume.

Je dois rêver, tout ça n’est qu’un terrible cauchemar et à tout moment, je vais me réveiller dans mon lit.

— He… Hel… Helena, tenté-je d’articuler.

Aucune réaction de sa part.

Je continue à l’appeler encore et encore, malgré la douleur lancinante qui s’empare de ma gorge. J’ai besoin qu’elle me réponde, qu’elle me dise qu’elle va bien même si je sais pertinemment que rien ne va. Sans m’en rendre compte, des gyrophares clignotent près de moi, mais je refuse de la quitter des yeux, cela m’est impossible. Je suis en train de perdre celle que j’aime.

Des paroles, dans un bruit sourd, me sont adressées. Je suis incapable de les écouter ou d’y rétorquer quoi que ce soit, c’est elle qu’on doit aider. Pas moi.

— Mon garçon ! hurle l’homme. Est-ce que tu m’entends ?

— Elle… Sauvez-la… Elle va mourir, le supplié-je, sans la lâcher du regard.

L’obscurité me ramène à elle durant, ce qui me semble, plusieurs longues secondes.

Je reprends conscience lorsque je me sens remué. Un plafond blanc se dessine devant moi. Je cligne lentement des yeux tout en jetant des coups d'œil sur ce qui m’entoure. L’horizon me paraît bien trop flou, mais pas assez pour distinguer des silhouettes qui s’affolent de chaque côté.

— Reste… Nous… Va aller, déclare un homme sur ma gauche.

Du moins, je le suppose par sa coupe de cheveux.

À nouveau le trou noir.

Cette fois-ci, au moment de revenir à moi, je ne suis plus trimballé. Une intense odeur de javel se répand dans l’air, tandis qu’un bip rapide emplit l’atmosphère. Je tourne la tête sur ma droite et c’est le choc.

— Helena… soufflé-je.

Je tends la main avec le peu de force que je réussis à obtenir. Je tente par tous les moyens de l’atteindre, la toucher, la rassurer. Sa chevelure polaire, mélangée à ses racines brunes, retombe de chaque côté du brancard. Son regard perçant est masqué par ses paupières qu’elle refuse d’ouvrir malgré mes appels.

— Mi belleza… je suis là.

Une infirmière marche devant moi, m’obligeant à récupérer mon bras. Je ne comprends pas ce qu’il se passe. Pourquoi ne me répond-elle pas ? J’ai besoin d’elle.

Soudainement, sa machine émet un bruit continu.

Par pitié, mi belleza, ne me quitte pas.