Gaëlle K. Kempeneers Aux quatre vents Nora

Nora

J’entraîne Alice à ma suite. Ses doigts sont aussi glacés que les miens la veille. Le calme après la tempête, ce n’est pas juste une figure de style. Quand j’ai fini par me décider à braver le froid, j’ai pu constater que nous étions perdues en pleine mer. Ou plutôt que l’océan Atlantique nous avait avalées dans une marée de tempête.

À croire que nous sommes soudain devenues seules au monde.


Il me suffit pourtant de tourner la tête pour voir la maison de Victor et Adrien à une dizaine de mètres. Eux aussi sont sortis pour constater les dégâts. Je leur adresse un signe du bras auquel ils répondent. Mais l’envie de les héler pour voir si tout va bien de leur côté me déserte quand je vois la pale d’hélice encastrée dans la rambarde côté océan de notre refuge. Elle a fendu le bois pourtant épais, a tranché dans le plateau et s’est coincée contre les volets blindés à la fin de son parcours.


— Je n’ai ouvert que côté sud, souffle Alice. Je trouvais que côté est, ils étaient un peu grippé.


Ben ouais…


Sans rire.


Elle dégage sa main pour fourrager dans la crinière de ses boucles brunes. Sous ses tâches de rousseur, je lui trouve l’air un peu palot. En même temps, on ne peut pas dire que le soleil nous rende souvent visite.


Même en plein mois d’août.


Ça fait pas mal rire Alix, notre autre voisine. Rapport à la Bretagne et tout ça. Mais je n’ai jamais trop compris la blague. Il y a dû avoir un naufrage au large en tout cas, peut-être même du côté de l’Angleterre… Je ne vois pas bien d’où elle pourrait venir d’autre.


— Mate-moi sa taille.


— Y a pas que ça qui compte dans la vie, chérie, je dis.


Alice pouffe nerveusement. Je crois qu’elle essaie de ne pas trop imaginer les dégâts que ce bazar aurait pu faire s’il avait forcé le blindage.


En tout cas, c’est là que je comprends tout l’intérêt dudit blindage si jamais j’en avais douté jusque-là.


Le bruit de moteur se rapproche de plus en plus et on s’arrache à la contemplation presque hypnotique de notre nouvel ornement.


Le bateau de Monsieur Lequezec termine de s’approcher. Il n’y a plus beaucoup de garde-côtes. Les forces de l’ordre se regroupent là où il y a des foules à maîtriser et des citoyens à protéger.


Ici, il n’y a plus grand monde, tout court.


— Pas de blessées ?


Je me penche par-dessus la rambarde avant d’hésiter et de reculer. Je ne suis pas sûre qu’elle tienne le coup.


— On va bien. Mais j’ai l’impression que ça n’est pas passé loin, cette fois.


La voix d’Alice tremble un peu sur les derniers mots. Elle le camoufle derrière un petit rire mais depuis deux ans qu’on vit ensemble, je commence à bien la connaître. Et qui pourrait lui en vouloir ? Mes genoux jouent des castagnettes.


Mon esprit ne parvient pas à se fixer sur un sujet plus de deux secondes et je ne parviens pas à rester sérieuse. Tout se transforme en prétexte pour rire nerveusement. L’hélice en premier qui a tout de l’ouvre-boîte avec nous dans le rôle des sardines. Et la maison en bois qui a résisté au souffle de la tempête une fois de plus… une dernière fois ? J’inspire profondément et me pince le bras. Si je continue sur cette voie, je vais finir par me mettre à pleurer pour évacuer.


Et ça, je me refuse à laisser un homme voir mes larmes, aussi gentil soit-il en apparence.


Le garde-côte amarre son bateau à la rampe d’accès et nous rejoint après avoir jeté un coup d’œil à la voiture et au canot.


— Il y a l’air qu’ils ont bien tenu le coup, annonce-t-il en nous rejoignant.


Le bois craque sous ses pas.


— Il faudra qu’on examine la structure quand la marée sera redescendue.


Ça peut prendre pas mal de temps… pour le moment, je suis juste heureuse d’être en vie. La marée de tempête a vraiment tout recouvert. Ça fait longtemps que la vallée de Morlaix a disparu sous les eaux. Mais, là, on ne voit même plus son aqueduc, dernier vestige de son existence.


Juste la forêt bretonne en guise d’horizon, sur le gris de l’Atlantique.


— En attendant, ce n’est pas prudent de rester isolées comme ça. De nouvelles intempéries sont annoncées avec de nouvelles alertes tempêtes. Je rassemble tous les côtiers de mon secteur pour les rassembler plus haut dans les terres. À l’abri. Vous êtes les premières et votre canot n’est pas assez grand pour vous emmener en sécurité avec un minimum de bagages.


J’hésite un instant, prête à protester. Puis, un regard à l'hélice me décide – nous décide, si j’en crois la petite mine d’Alice.


Ce n’est pas la première fois que nous allons plier bagage avec juste le strict minimum.

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4 commentaires

Eva Boh & Le Mas de Gaïa

-

Il y a 2 mois

Rude le réveil.

Gaëlle K. Kempeneers

-

Il y a 2 mois

Ahah... Oui, ça calme 😬
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