Gaëlle K. Kempeneers Aux quatre vents Alice

Alice

Assise à côté de Nora, je ne peux m’empêcher de songer que notre vie ne tient qu’en deux sacs-à-dos et deux portables. C'est bien peu de choses quand on y pense.


Les doigts de Nora trouvent les miens et les serrent.


C'est suffisant.


Juste nous deux contre le monde entier.


Contre les hommes.


Oh, je sais… #notallmen. Mais on notera que vachement #alotquandmême. Je me sens nettement moins nerveuse en présence Adrien et Victor qu’avec un lambda moyen. Probablement parce qu’ils me regardent avec autant de passion que pour leur mère ou leur sœur. Monsieur Lequezec est encore allé cueillir, comme il dit, Alix et Grégoire, l’hermite. Je n’ai pas bien compris si c’est son nom de famille ou son surnom mais il n’a pas décoché un seul mot depuis qu’il a embarqué. Et, hors inondations, on ne le croise jamais, il reste reclus chez lui. S’il sort, je ne l’ai jamais croisé depuis que nous avons atterri là.


Nous sommes les seuls que monsieur Lequezec ramène, pour le moment.


Les seuls vivants.


Il y a deux corps à l’arrière du bateau. Victor et Grégoire l’ont aidé à les hisser et à les recouvrir d’une bâche.


Des pilotis sortent des flots comme pour nous narguer. Ici, semblent-ils dire, vivaient des gens comme vous. Mais les vents les ont balayés et les flots les ont engloutis.


Heureusement, toutes les habitations surélevées n'étaient pas habitées. Mais ça fait quand même un sacré paquet de victimes potentielles. Bien plus que les deux retrouvées.


Le silence pesant qui règne sur nous six me laisse deviner que je ne suis pas là seule à penser la même chose… à songer que nous voguons sur un tombeau.


Le vent de face m’aide à ne pas trop penser aux morts derrière, ne pas imaginer l’odeur iodée, mêlée d’un début de putréfaction qu’ils devaient dégager. Est-ce que les crabes ont eu le temps de déjà prélever leur dîme de chair ou…



Je m’ébroue, le cœur au bord des lèvres. J’ai beaucoup trop d’imagination ! Je voulais devenir réalisatrice. Travailler sur des scénarios. Me tenir derrière la caméra… Je ne suis pas allée plus loin que stagiaire.


Envolées mes études.


Mes rêves.


Mes illusions.


Un son me percute soudain, brise les flots de mes pensées. Je me redresse.


— Tu entends ?


Nora me regarde sans comprendre et, un instant, je pense avoir imaginé… puis, je l’entends à nouveau. Le regard bleu de ma compagne s’ancre dans le mien, s’agrandit suffisamment pour que je comprenne que je ne m’abuse pas.


Nous sautons sur nos pieds.


— Arrêtez le moteur ! exige Nora.


Je reprends son appel en me précipitant vers la rambarde du bateau.


— Il y a quelqu’un à la mer, je crie pour réclamer le silence par-dessus les protestations des passagers.


Penchée par-dessus le bastingage, je scrute les eaux et les débris qui flottent. Nora a dû convaincre Lequezec de stopper le moteur de son bateau. Un instant, il n’y a plus que nous, suspendus entre le ciel et les flots…


— À l’aide !


— Là !


Je sursaute si fort que je manque en tomber par-dessus bord. Adrien s’est penché à mes côtés, il désigne un amas de bois.


— Y a du mouvement par là !


Il se tourne vers moi, un sourire de gamin au lèvres.


— Bon sang, si tu ne les avais pas entendus !


Il est juste heureux qu'on aie trouvé de potentiels survivants. Et… je je suis. Bien sûr, que je le suis. Mais pour l’instant, tout ce à quoi je parviens à penser c’est à quel point il est près de moi.

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