Fyctia
L'odeur de la peur
J'ignore combien de temps je suis restée en cuisine.
Par ordre du Maître, tous les objets susceptibles de nous indiquer les dates et les heures ont été détruits, et il nous est formellement interdit de jeter ne serait-ce qu'un coup d’œil par les quelques fenêtres qui ne sont pas obstruées. La dernière à avoir osé enfreindre la règle s'est fait crever les yeux par le Barbare. On ne l'a plus jamais revue.
Au début, je me fiais à la fatigue pour avoir une idée du temps qui passait. Comme je connaissais mon corps, mon endurance et mes limites, j'arrivais à peu près à savoir combien d'heures s'étaient écoulées. Et puis je suis devenue plus résistante. Au fil des mois, je supportais de mieux en mieux ces heures harassantes, au point qu'il m'était impossible de savoir si j'avais travaillé dix, douze, ou quinze heures.
Aujourd'hui ne fait pas l'exception et j'en viens une fois de plus à être surprise quand je m'aperçois que je n'ai plus rien à faire. Le repas que nous avons préparé est en train de cuire, tout est rangé et nettoyé. Sans tarder, je rejoins les autres femmes ayant fini juste avant moi et me place dos au mur, un genou au sol, la tête baissée.
Les gardes qui nous surveillaient jusqu'à présent rient et se moquent de nous. J'entends l'un d'eux se rapprocher d'un pas lourd, aperçois ses chaussures faire des allers retours devant nous. Quand enfin il s'arrête à quelques centimètres de moi, je retiens mon souffle et m'oblige à fixer mes pieds en restant le plus immobile possible. Quitte à oublier de respirer. Tout faire pour ne pas être remarquée, ne pas être prise pour cible.
Les hommes qui riaient quelques instants plus tôt se taisent subitement, plongeant la cuisine dans un silence oppressant. Les secondes s'égrainent et rien ne se passe. Le temps semble avoir ralenti sa course. L'attente est angoissante, le silence terrifiant. Bientôt, l'odeur de la peur se mêle à celle de la sueur et du repas en train de cuir. Notre tortionnaire s'éloigne enfin de nous. Pourtant, son comportement ne parvient pas à me rassurer. Ses pas pesants martelant le carrelage restent tout aussi menaçants. Quand il s'immobilise à nouveau quelque part dans la pièce, mon cœur se met à battre plus vite.
Tout à coup, le silence est déchiré par un affreux raclement de gorge suivi d'un crachat qui me soulèvent le cœur. Sous les rires sadiques des autres gardes, l'homme revient vers nous à grandes enjambées, s'arrête à nouveau juste à côté de moi et relève brutalement la femme qui se trouvait à ma droite. Un petit cri apeuré s'échappe de sa gorge tandis que je l'entends se faire traîner plus loin. Le garde hurle, déversant sa colère sur la pauvre esclave innocente. Puis il y a ce bruit atroce que je n'aurais jamais cru être capable de reconnaître un jour, celui d'une tête que l'on frappe violemment sur un meuble. Une fois, deux fois. Je ferme les yeux aussi fort que je le peux et tente de remplacer l'horrible son par celui d'une comptine que ma mère me chantait quand j'étais enfant pour m'endormir ou me rassurer. Malgré tout, je ne peux qu'entendre le bruit d'un corps chutant lourdement au sol, bientôt suivi de coups de pieds qui frappent inlassablement.
Je ne montre rien mais à l'intérieur, au plus profond de mon être, une petite fille pleure sur le sort de cette femme sans pouvoir s'empêcher de penser « Ça aurait pu être toi... Ça aurait pu être toi... ».
44 commentaires
Mollusk20
-
Il y a 3 ans
Laeloo
-
Il y a 3 ans
Merixel
-
Il y a 3 ans
Laeloo
-
Il y a 3 ans
Babsoje
-
Il y a 3 ans
Laeloo
-
Il y a 3 ans
cedemro
-
Il y a 3 ans
Laeloo
-
Il y a 3 ans
Laeloo
-
Il y a 3 ans
cedemro
-
Il y a 3 ans